Innovation
Sean Ellis est le pape du «growth hacking», un concept très en vogue dans les start-up qui consiste à appliquer à l’entreprise et au marketing des méthodes disruptives afin d’accroitre les ventes. Interview.

Comment définiriez-vous le «growth hacking»?

Sean Ellis. Le growth hacking est un processus d’expérimentation agile qui vise à accroitre le nombre de clients et le chiffre d’affaires. Il se situe à la croisée de l’analyse de données, de l’expérience utilisateur, du marketing et des produits. Traditionnellement, le marketing privilégie une approche axée sur la publicité. Le growth hacking va beaucoup plus loin dans l’expérience produit afin de débloquer des moteurs de croissance supplémentaires. 

Les spécialistes du marketing peuvent-ils devenir des «growth hackers»?

  S.E. Le growth hacking, c’est ce que le marketing aurait toujours dû être: de mon point de vue, les meilleurs professionnels sont déjà au fond d’eux des growth hackers. Cela consiste à être très curieux, à avoir la volonté de générer des résultats significatifs en termes de croissance de la clientèle et des revenus, à rechercher des preuves dans les données… Pour être growth hacker, il faut avoir de l’expérience dans des domaines qui vont de la science des données à l’ingénierie, aux ventes et au marketing. Donc oui, les spécialistes du marketing peuvent et même doivent devenir des growth hackers.  

Pouvez-vous nous donner des exemples de pratiques growth hacking connues?

S.E. Il ne faut pas s’attendre à des exemples impressionnants car le growth hacking correspond plutôt à des petites expérimentations mais qui peuvent avoir de grands effets... Une des techniques les plus connues est issue d'une découverte effectuée par Facebook: les dirigeants de la plateforme ont pris conscience du fait que pour que les internautes se rendent compte de la valeur du réseau social, ils devaient se connecter avec sept amis en dix jours. Du coup, Facebook a lancé de multiples petites expériences visant à accélérer la mise en relation. On peut également citer l’exemple d’Airbnb, qui a eu l’idée de reposter ses listings sur le site de petites annonces Craigslist: d’un coup, la start-up a accru considérablement la visibilité de ses annonces de location d’appartements et donc les réservations.

En quoi consiste le processus de growth hacking?

S.E. En réalité, le growth hacking est simplement un processus scientifique évolutif. Il repose sur le fait qu’il est nécessaire d'apprendre à stimuler la croissance dans une entreprise, et que cet apprentissage est le fruit de tests et d'analyses scientifiques. Concrètement, les meilleures équipes dédiées à cette croissance se réunissent chaque semaine: elles bâtissent un processus de croissance qui repose sur la réalisation d’objectifs spécifiques à fort effet de levier. Chaque idée est transformée en une expérience qui comprend une hypothèse, des recherches utilisateur et l’analyse de données. Les étapes clés du processus sont : 1-Analyser la situation; 2-Générer des idées liées à l’objectif; 3-Établir les priorités des calendriers de tests; 4-Effectuer les tests… Et ensuite mettre à jour les analyses en fonction des résultats des tests. C’est un cycle continu qui fonctionne en stimulant l’apprentissage, et donc finalement la croissance.  

Quels sont les indicateurs clés des growth hackers? Quelle est leur véritable obsession?

S.E. Les meilleurs growth hackers ont pour principal objectif de stimuler une croissance durable des clients et des revenus. Ils tentent de trouver un indicateur unique et significatif afin de représenter les progrès par rapport à cet objectif. L’idée d’un indicateur significatif est étroitement liée à la valeur cumulée offerte aux utilisateurs. Si la valeur n’augmente pas, la croissance ne peut pas être durable. De plus, la valeur stimule un autre indicateur important: la fidélisation de la clientèle. Le dernier indicateur clé est ce que les growth hackers appellent le moment de révélation («aha moment»). Il s'agit du moment où un nouvel utilisateur utilise le produit d’une certaine manière, et continuera très probablement à l’utiliser. Les indicateurs de fidélisation à long terme sont étroitement liés au fait que les utilisateurs atteignent ce moment. L’exemple que j’ai cité précédemment concernant Facebook et le principe des 7 amis en 10 jours correspond à un moment de révélation. 

Beaucoup de start-up disposent d’équipes dédiées mais pensez-vous que cette approche peut s’appliquer aux groupes?

S.E. Les grandes marques prennent de plus en plus conscience du pouvoir du growth hacking. Mais elles doivent relever un défi: le growth hacking requiert une vraie agilité dans l’utilisation des données. Les grandes entreprises progressent: par exemple, Walmart a créé les Walmart Labs qui ont pour objectif de faire bénéficier au distributeur des méthodes du growth hacking. Microsoft et IBM ont également mené des initiatives réussies. Pour que cela fonctionne, il faut avoir prise sur l’ensemble du processus de création de valeur, et cela peut s’avérer difficile dans les sociétés B to B qui n'ont pas de lien direct avec leurs clients. Ainsi l’acquisition de Dollar Shave Club (site e-commerce de ventes de rasoirs) par Unilever montre bien que certaines entreprises changent de cap afin de pouvoir utiliser le growth hacking.   

Le growth hacking repose principalement sur l’analyse de données. Cette approche ne risque-t-elle pas de nuire aux dimensions créatives et artistiques, centrales dans les métiers du marketing et de la communication?

S.E. Le growth hacking est certes dépendant des données pour déterminer où mener des expériences et savoir si elles sont réussies, mais c’est bien la créativité qui crée le résultat final. Je pense qu’à la différence du marketing traditionnel, il s'agit plutôt d’une créativité axée sur la résolution des problèmes. Le marketing traditionnel encourage souvent la créativité ingénieuse, or il est difficile de mesurer son impact, de déterminer si elle a réellement joué un rôle dans l’obtention de résultats. Je ne dirais donc pas que le growth hacking est une menace pour la créativité, mais plutôt qu’il aide à donner plus de sens à cette créativité. 

Growth hacker en chef

À la fois CEO et fondateur de Growthhackers.com, Sean Ellis gère une communauté virtuelle qui revendique plusieurs millions d’utilisateurs. Il a inventé l’expression «growth hacker» en 2010, après avoir utilisé cette méthode pour doper la croissance de start-up comme Dropbox, Eventbrite ou Log Me In. Il est également l’auteur du blog Startup-marketing.com. L’expression «growth hacking» pourrait se traduire littéralement par «pirater la croissance», il s’agit de techniques marketing permettant d'accélérer significativement le développement d’une entreprise.

 

A propos de Lubomira Rochet

Lubomira Rochet est chief digital officer et membre du comité exécutif de L’Oréal Group depuis 2014. Franco-bulgare et économiste de formation, elle est diplômée de l’Ecole normale supérieure, de Sciences Po Paris et du Collège d’Europe, à Bruges. Elle débute en 2003 chez Sogeti (Capgemini) en tant que vice-présidente, chargée de la stratégie et du développement. Elle rejoint Microsoft en 2008 pour gérer les relations avec les start-up, puis devient directrice générale adjointe de l’agence de marketing digital Valtech en 2010, responsable des activités opérationnelles en Europe du Sud.


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