Agence
Lancer une agence, très bien. Mais après? Stratégies est revenu sur le parcours de deux entrepreneurs qui ont sauté le pas en 2013. Quatre ans après, chacun fait le bilan d’un parcours réussi, instructif et ouvert sur l'avenir.

Ils se sont lancés dans l’aventure en 2013 en créant une agence dans un contexte qui poussait plutôt à la frilosité. Et leur bagage était mince: 1000 euros pour Christelle Delarue, un ordinateur flambant neuf pour Loïc Chauveau. Quatre ans plus tard, ils ne regrettent pas leur audace. L’agence de Christelle Delarue, Mad & Woman, emploie 22 salariés et travaille pour 11 clients tandis que celle de Loïc Chauveau, Brand Station, affiche une trentaine de salariés pour une vingtaine de budgets. Les chiffres sont tout aussi parlants. En 2016, Brand Station a réalisé un chiffre d’affaires de 2,4 millions d’euros, en progression de 47%, et dégagé une marge brute de 1,6 million d’euros (+74%). Christelle Delarue se montre moins loquace pour protéger son indépendance: «Je ne communique pas la marge brute de l’agence car cela donne des infos à la concurrence, qui a les moyens financiers pour tenter de nous attaquer.»

Phase de tests

Grandir n’aura pas été de tout repos pour autant. «Créer une agence indépendante, c’est entrer dans la catégorie "out of the box" et être perçu comme "la petite agence" nouvelle qui va être testée, encore et encore», résume Christelle Delarue. Confinant au bizutage, ce système consiste à courir plusieurs lièvres, mais remplit rarement la gibecière, confirme Loïc Chauveau: «Jusqu’en 2017, nous sommes souvent arrivés au terme final de nombreuses compétitions, mais les clients se posaient alors la question de la taille. Allaient-ils confier leur budget à une agence de 30 personnes ou à une grande structure, insérée dans un réseau international? Nous vivons dans un pays frileux.»

L’apport de l’agence peut en être occulté, selon Christelle Delarue: «Le test à outrance est une mécanique qui écarte le processus d’identification du positionnement qui ferait sens pour l’annonceur. C’est comme s’il fallait démontrer qu’on a le droit d’être dans la compétition. Je me suis entendu dire plusieurs fois que j’étais passée à deux doigts du pitch…» Même si ce passage du gué peut s’avérer instructif pour les postulants, les incitant à se perfectionner et à découvrir leurs forces et leurs faiblesses, son utilité reste sujette à caution, estime Christelle Delarue: «Plus globalement, cela repose la question du périmètre de compétition qui englobe l’offre, et de son adéquation avec les attentes des clients.»

10h - 19h

Si la première année est celle de la «liberté», c'est au cours de la troisième année qu'il faut savoir utiliser au mieux son temps, entre prospection et gestion: «On a plus de clients mais se pose la question du rythme, pointe Christelle Delarue. Il faut trouver un équilibre entre les budgets en cours et les compétitions pour ne pas essouffler les équipes. Il faut savoir choisir les compétitions.»

Une question au cœur de la démarche de Loïc Chauveau. L'homme a en effet décidé de fonder sa propre agence pour ne plus subir les fameuses «charrettes»… Et il y est arrivé. Les salariés de Brand Station arrivent à 10h et partent à 19h. La solution tient à une démarche en deux volets. Le premier passe par une sélection rigoureuse des compétitions: «Nous les choisissons avec deux critères. D’abord la précision du brief. Si le client ne sait pas quelle problématique il cherche à régler, alors il ne sert à rien de répondre au brief. Le second critère est le nombre d’agences, pondéré par le budget en jeu.»

Depuis avril, il a ajouté un codicille dans la droite ligne du label «La Belle Compétition». Désormais, Brand Station ne s’aligne qu’à condition d’avoir l’assurance d’obtenir un dédit de 5000 euros si un autre compétiteur était choisi. Et ça marche: «Nous avons peu de refus car nous faisons un tri efficace en amont», résume Loïc Chauveau.

Le second volet de la solution? Une organisation au cordeau basée sur une «time line» pour chaque profil de l’agence. Sitôt qu’un décalage se profile, Loïc Chauveau intervient pour régler le problème et lorsque des heures supplémentaires sont nécessaires, des récupérations sont prévues. Si ce modèle attire les jeunes recrues désireuses de disposer de leurs soirées, il laisse les annonceurs de marbre: «Ce sont nos campagnes qui les intéressent, pas notre organisation», constate Loïc Chauveau.

Uniquement des salariés

Chez Mad & Woman, Christelle Delarue avait aussi des opinions bien arrêtées sur le management de l’agence. Elle a, d’emblée, banni les free-lances, CDD et autres stages. «Je voulais défendre un positionnement avec des gens à mes côtés.» Se positionner a cependant pris du temps. «J’avais des convictions déjà fortes sur le féminisme mais je n'osais pas le revendiquer par peur du jugement. C'était une erreur. Depuis que j’ai affiché ces convictions avec un slogan clair – une agence féministe et indépendante – les annonceurs viennent spontanément nous voir pour apprendre et comprendre ce en quoi c'est important et unique.» Christelle Delarue a aussi créé Mad Squad, une structure qui regroupe 22 entrepreneuses, et accompagne le développement de la newsletter féministe «Les Glorieuses», fondée par Rebecca Amsellem, et forte de 80 000 abonné(e)s depuis 2017. 

S’ils comptent poursuivre leur aventure, ces deux créateurs d’agence sont aux prises avec des défis bien différents. Pour Loïc Chauveau, recruter reste un processus délicat tant la capacité opérationnelle des diplômés lui semble faible: «Peu d’écoles forment bien, de sorte que les jeunes diplômés manquent de vocabulaire technique et ne comprennent pas l’empilement des différentes compétences. Dans le domaine du digital, je constate que beaucoup de gens ne sont pas formés à la publicité, ils n’ont pas la culture "branding" et "marque".» Les candidats passés par les grandes structures présentent d’autres lacunes: «Ils ont du mal à travailler de façon autonome. Cela tient peut-être au modèle dominant des agences, qui privilégie une organisation très pyramidale où l'autonomie de chacun reste faible.»

Christelle Delarue se trouve, de son côté, confrontée à l’isolement: «Piloter seule une agence n’est pas chose évidente. J’ambitionne de trouver des associé(e)s pour mieux agiter le marché et poursuivre nos innovations, faire vivre notre positionnement dans tous les secteurs et être plus tranquillisée sur les questions de trésorerie.» Une préoccupation similaire pointe chez Brand Station qui prévoit de recruter un directeur général en 2018 pour affirmer son «positionnement d’agence intégrée». La cinquième année serait-elle celle de la maturité?

Les facteurs favorisant la pérennité 

Les premières années d’existence d’une entreprise sont les plus dangereuses, mais l’époque est bien plus favorable que le début du siècle. La crise de 2008 a eu des effets néfastes sur les créations des années précédentes. Ainsi, pour les entreprises fondées en 2010, le risque de cessation d’activité d’une année sur l’autre se stabilise autour de 12%. Pour celles nées en 2006, il atteignait déjà 14% en deuxième année (2008) et 16% en troisième année (2009). Les facteurs favorisant la pérennité sont un fort investissement initial, un niveau de formation élevé du créateur/rice et l’expérience accumulée dans le même secteur. Pour en savoir plus : le rapport de l'Insee

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