numérique

Nathalie Kosciusko-Morizet, secrétaire d'Etat à la Prospective et à l'Economie numérique, fait le bilan de la consultation publique menée jusque la fin mai sur le droit à l'oubli numérique. 

 

Une ministre allemande a annoncé son départ de Facebook. Avez-vous déjà envisagé de quitter un réseau social?

Non, pas particulièrement. Mais il y a des réseaux dans lesquels je n'ai pas envie d'aller. Par exemple, les réseaux géolocalisés. Je suis maire de Longjumeau [Essonne] et je trouve normal que l'on puisse m'interpeller dans la ville. Mais je n'en ai pas envie quand je suis dans un café à Paris. S'agissant de Facebook, je modifie régulièrement mon statut et j'en ai une utilisation qui se rapproche de Twitter. Il y a une partie de mon activité sur mon blog qui a plutôt migré sur Facebook pour l'échange de fond et sur Twitter pour l'instantané.

 

A la lumière de la consultation que vous avez menée sur le droit à l'oubli numérique, considérez-vous que la géolocalisation doit avoir des limites?

J'observe que c'est un des sujets pour lesquels les internautes marquent une sensibilité forte, y compris ceux qui sont très ouverts sur le dévoilement de leur vie personnelle ou le «profilage» de leurs activités. Très souvent, cela les heurte. Ce qui est important, c'est qu'on puisse avoir le choix et qu'on ne se retrouve pas dans un système où l'on est suivi et référencé partout. Il faut qu'on soit dans un univers très protecteur et que tout ce qui va vers le dévoilement de soi et la géolocalisation soit de l'ordre de l'«opt in» [option d'adhésion].

 

Beaucoup de directions des ressources humaines tapent le nom d'un candidat avant de le recruter. Est-ce normal?

Je ne trouve pas cela forcément scandaleux, d'autant qu'il y a des réseaux sociaux comme Linked In ou Viadeo qui sont faits pour cela… Je trouve donc normal qu'une offre rencontre une demande et puisse participer de la fluidité du marché du travail. En revanche, les réseaux sociaux d'ordre privé ou amical ne doivent pas pouvoir servir à n'importe quoi. Les directions de ressources humaines qui tapent régulièrement les noms des employés dans ces réseaux sont en dehors de leur rôle.

 

Comment les en empêcher?

Le seul moyen, c'est d'avoir des internautes qui se rendent compte que les données mises dans des espaces privés sont en fait semi-publiques. On retombe sur des profils par défaut protecteurs de la vie privée. Aujourd'hui, si vous vous inscrivez sur Facebook, votre profil est référencé sur Google. Votre employeur tape votre nom, tombe sur votre profil, peut se faire passer pour untel pour devenir votre ami et aller voir ce que vous mettez sur votre mur. Un système où votre profil ne serait référencé sur Google que si vous le souhaitez serait beaucoup plus protecteur, y compris vis-à-vis du risque professionnel.

 

Cela passe par une charte, par l'agrément de tous les acteurs impliqués? Ou voulez-vous être plus incisive?

Je crois à la rencontre entre la pression des internautes et la prise de conscience des prestataires qui, même s'ils sont réticents, savent que leur richesse provient de ces mêmes internautes. Si la protection de la vie privée devient leur critère de choix privilégié, les gens peuvent se tourner vers des réseaux sociaux alternatifs en cours de création, comme Movim en France ou Diaspora aux Etats-Unis. Ce sont des réseaux partagés, mutualistes, dont le projet n'est pas de faire du profit, mais de laisser aux internautes la possibilité de maîtriser leurs données personnelles en dehors de toute exploitation commerciale. Les réseaux comme Facebook ne peuvent être insensibles à cela. On peut aussi passer par des voies institutionnelles, via l'assemblée des Cnil européennes (G29).

 

Peut-on envisager un droit de retrait des moteurs de recherche?

Cela fait partie des demandes. Cela passe par un accord avec les moteurs de recherche. Les résultats de la consultation montrent que les internautes sont très demandeurs du droit à l'oubli pour eux-mêmes, mais ils ne veulent pas de contraintes sur ce qu'ils mettent en ligne pour eux et pour les autres. Chacun d'entre nous est porteur de contractions.

 

Etes-vous contre le ciblage comportemental?

Je ne suis pas contre tout ciblage comportemental par principe, mais je suis pour l'éducation. Il faut que les gens comprennent comment fonctionne un cookie [témoin]. Il faut leur demander s'ils acceptent de recevoir des cookies sur tel ou tel site. Il faut aussi une option, activable par défaut, de refus de tous les cookies sans pour autant que le site soit dégradé.

 

Google a réduit à six mois son temps de conservation des données personnelles. C'est suffisant?

Il faut un temps homogène pour avoir des contrôles plus faciles. Plus il est court, plus il est respecteux de la vie privée. Nous sommes sur un objectif de trois mois et c'est déjà considérable. Vous imaginez ce que cela veut dire en termes de densité de profil. On peut avoir tout votre surf sur Internet enregistré, on peut savoir tout ce que vous achetez.

 

Soutenez-vous la proposition de loi du sénateur Jean-Louis Masson qui conteste le droit à l'anonymat des blogueurs?

Je crois qu'il doit y avoir une part de l'espace qui est anonyme. Cela participe de la liberté d'expression. Cela ne veut pas dire que tout doit être anonyme. Il y a aura une valeur ajoutée à s'identifier avec des certificats Idenum. Certains blogueurs ont recours à l'anonymat pour protéger leur vie professionnelle, et cela me semble une bonne chose. Cela ne veut pas dire qu'on peut faire n'importe quoi. Il y a des adaptations à faire pour qu'on ne soit pas diffamé sur Internet après le délai de trois mois prévu pour les publications.


Des adaptations à faire sur le droit de la presse?

Il y a une réflexion en cours et une demande d'évolution législative de la part de certains acteurs. Notre droit en matière de diffamation est inadapté à Internet où, par système de référencement, on peut retrouver, des années après, des choses qui auraient dû être retirées. Il faudrait établir la question de la bonne foi de la mise en ligne. Un des moyens de diffamer sur Internet est de mettre en ligne un contenu de manière très discrète sur un site qui n'est pas référencé et, trois mois après, d'en faire la publicité. Il en va de même pour le casier judiciaire, qui peut être effacé, de par la loi, mais se retrouver sur Internet.

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