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La crise de la presse suscite des vocations de communicants parmi des journalistes chevronnés. Un nouveau métier qu’ils ne voient pas si éloigné de l’ancien.

Ils sont passés de l'autre côté du miroir en devenant des chantres de la «communication». Journalistes, rédacteurs en chef, directeurs de rédaction… ils sont de plus en plus nombreux à aborder ce continent. Terra incognita? Pas vraiment. À les écouter, un tel métier fait appel aux mêmes qualités et n'a d'autre but qu'apporter l'information aux différents publics de l'entreprise: actionnaires, clients, salariés, etc. Certains vantent même la panoplie de moyens dont disposent les agences ou les services de communication, prêts à les choyer. Fiers d'apporter leur savoir-faire et leur expérience, ils disent mener à bien des investigations fouillées que la plupart des journaux s'interdisent, contraints le plus souvent de réduire la voilure. Portraits de trois ex-journalistes devenus communicants.

 

Alain Louyot, l'observateur devenu acteur

Il a fait le tour du monde plusieurs dizaines de fois. Une centaine de pays au compteur pour Le Point ou L'Express. Il a couvert l'assassinat de Sadate au Caire, le renversement du Shah à Téhéran, les élections américaines, l'épopée sanglante des Brigades rouges en Italie, la guerre Iran-Irak, le démantèlement de l'apartheid en Afrique du Sud, une flopée de sommets internationaux, etc.

Prix Albert Londres en 1985, Alain Louyot a vu le monde changer. Et la presse décliner. Quel journaliste se verrait aujourd'hui offrir la possibilité de visiter toute une région du globe avant d'entrer dans le pays qu'il doit couvrir et sans avoir écrit une seule ligne?

Cet hiver, après avoir dirigé la rédaction de L'Expansion, il a été contacté par deux hebdomadaires pour intégrer l'équipe de direction en tant que numéro deux. Mais il a refusé: «La presse n'a pas de visibilité et je n'avais pas envie de passer mon temps à gérer les réductions de moyens. Je voulais plutôt foncer.» Il a donc «traversé le miroir» pour devenir vice-président de l'agence Élan. Un choix mûrement réfléchi: «Cette agence incarne une nouvelle façon de communiquer basée sur le décryptage des logiques d'influence.»

Pour autant, Alain Louyot n'a pas le sentiment d'avoir changé: «Je continue à être un passeur d'information. Avant, cela passait par des articles que je signais pour les lecteurs de mon journal. Maintenant, c'est par les textes que j'écris anonymement pour les clients de l'agence, mais aussi par les contacts que je noue pour eux.» Grâce à lui, de grands patrons peuvent rencontrer des sommités auxquelles il n'auraient pas pu accéder autrement. Avec parfois, de vrais moments de bonheur: «J'étais très heureux lorsque, quand j'étais encore dans la presse, j'ai permis à une héritière de Picasso de rencontrer le président d'une ONG. Toute ma vie, j'ai posé des questions. Maintenant, j'aide de grands dirigeants à trouver des réponses. D'observateur, je suis devenu acteur.»

 

Martine Esquirou, la spécialiste des transitions

Elle doit sa première incursion dans le monde de la «com» à François Bayrou. En 1992, il était ministre de l'Éducation nationale. Alors qu'elle est journaliste économique à L'Express, il lui propose de devenir sa «plume». Martine Esquirou occupera cette fonction pendant deux ans avant de revenir à Libération en 1994. «C'était un rôle “à part”, mais transversal qui m'a permis de suivre de nombreux dossiers», confie-t-elle.

Sept ans plus tard, ce sera le grand saut. La spécialiste des médias des Échos devient directrice adjointe des relations extérieures de Vivendi Universal, avant de piloter la communication de Canal+. Puis, après un bref passage à la Socpresse, dont elle conseille le président, et à Télé Images, elle devient directrice de la communication extérieure de Thomson en 2005. À chaque fois ou presque, elle est confrontée à des groupes aux prises avec des fusions ou des restructurations radicales: «J'ai travaillé sur des communications de transition. J'ai accompagné ces sociétés dans des phases d'évolution de leurs métiers et de leur environnement.»

Son expérience de journaliste? Un atout clé: «Les fondamentaux sont les mêmes. Il faut avoir une curiosité développée, savoir synthétiser un dossier et restituer l'information de façon intelligible à différents publics.» Parmi lesquels les journalistes. Une catégorie dont le poids relatif diminue progressivement. «L'influence de la presse dans le champ économique est concurrencée par la multiplicité des échanges et des sources d'information disponibles sur le Web», constate Martine Esquirou.

 
Jean de Belot , le tailleur sur mesure

C'était le 20 juillet 2007. Pendant les vacances, des amis lui disent qu'il pourrait se mettre à son compte, que les clients ne manqueraient pas. Alors Jean de Belot s'est lancé dans une activité nouvelle: le conseil en communication. Après avoir dirigé la rédaction des Échos, puis celle du Figaro, il crée Aria Partners. À la tête de cinq autres consultants, il se consacre désormais au lobbying, à la communication classique, mais aussi à la gestion de crise. «Nous aidons les acteurs à faire évoluer les perceptions auprès de leurs différents publics, raconte-t-il. Mon rôle consiste à construire avec eux un discours et un calendrier compatibles avec ces objectifs.»

Son expérience lui attire des clients prestigieux. Après la découverte du «problème Kerviel», la Société générale fait appel à lui. L'urgence est totale, mais Jean de Belot ne s'affole pas. Il active aussitôt son expérience de journaliste de quotidien: «C'est ce qui m'a appris à analyser, réagir et décider dans l'urgence.»

Un atout dont l'importance ne fera que croître, selon lui: «Les acteurs agissent dans des schémas de plus en plus contraints parce que le périmètre de diffusion de l'information a explosé. Le temps où l'essentiel était fait quand on avait eu Le Monde, Les Échos et TF1 est terminé.» Plus complexe, la communication réclame donc toujours plus de sur-mesure. Jean de Belot n'hésite pas à faire le parallèle avec l'univers de la couture: «Nous sommes des tailleurs. À la vue d'un homme séduisant, personne ne pense à celui qui a confectionné ses habits. Une bonne communication doit produire le même effet: tout le bénéfice doit en revenir au client.»

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