Le gouvernement allemand envisage de légiférer pour bannir les chasseurs de têtes du réseau social le plus fréquenté au monde. Et si ce projet traversait le Rhin ?

Le recruteur, persona non grata sur Facebook! Le gouvernement allemand envisage d'interdire aux chasseurs de têtes de traquer leurs proies sur ce réseau social. S'ils sont repérés en train de fureter sur Facebook, ils écoperont d'une amende. Le très sérieux projet de loi porté par le ministre allemand de l'Intérieur, Thomas de Maizière, devrait être discuté au Parlement dans les prochains mois.

Pourquoi une mesure aussi radicale? Sera-t-elle vraiment applicable? Et surtout, cette idée a-t-elle des chances de traverser le Rhin? Depuis le printemps dernier, la défense de la vie privée sur Facebook est devenue un enjeu politique en Allemagne. Début avril, la Fédération des associations de consommateurs allemands (VZBZ) avait appelé au boycott du réseau. Une réponse à la décision de Facebook de rendre public par défaut l'accès au profil de ses membres.

Autodiscipline

L'idée part d'une bonne intention: les recruteurs n'ont pas besoin de savoir si un candidat est le roi de la blague vaseuse ou adore les soirées déguisées pour décider ou non de l'embaucher. D'ailleurs, la loi ne visera que Facebook et pas les réseaux plus «pros» tels Linked in, Viadeo ou Xing.

La grande question est de savoir si cette décision sera applicable. Rien n'est moins sûr, car Facebook ne dispose pas, comme Viadeo, d'une fonctionnalité permettant de savoir qui a consulté votre profil. En outre, les façons de contourner l'interdit sont nombreuses: la plus évidente consiste à demander à un proche de visionner le profil à sa place. À moins que les Allemands ne comptent sur la peur du gendarme pour que les recruteurs s'autodisciplinent.

Ce projet a-t-il des chances de traverser le Rhin? En France, 32% des recruteurs ont déjà pris l'habitude de «googliser» les candidats, selon une étude du site emploi Régions Job, et bon nombre n'hésitent pas à fouiner sur Facebook pour dénicher la perle rare. Pas impossible donc que la démarche allemande ne trouve un écho à l'Assemblée nationale dans les mois qui viennent. D'autant que, selon Claude Monnier, DRH du groupe Hi-Media et vice-président du club des DRH du Net, «l'année 2011 sera celle de l'explosion des réseaux sociaux dans le recrutement». Un mouvement massif qui s'accompagnera inévitablement de dérapages.

 

Encadrés verbatims

 

 

Un syndicaliste

Pascal Pradot, secrétaire adjoint du Bétor Pub

Non. «Je ne vois pas comment on pourra empêcher quelqu'un de consulter les informations sur Facebook. Officiellement, il n'aura pas le droit d'accéder à votre profil. Mais il y aura toujours un moyen de contourner la législation. Le patron de l'entreprise peut très bien demander à un collaborateur de faire la taupe, en devenant l'ami du candidat sur Facebook pour obtenir des informations. Les gens doivent apprendre à mieux compartimenter leurs informations publiques et privées».

 

Un patron d'agence

Vincent Leclabart, président de l'agence Australie

Non. «Se renseigner sur Facebook à propos d'un candidat, c'est très classique. J'ai la même démarche quand je suis contacté par un annonceur: je commence par aller sur son profil pour en savoir plus sur lui. A fortiori dans notre secteur, puisque nous recherchons des personnes au comportement hors normes. Si cela transparaît sur leur page, ce sera donc plutôt un atout. À l'inverse, le fait de ne pas être sur Facebook peut même sembler suspect. J'aurais peur de tomber sur un asocial.»

 

Un patron d'agence Web

Jean-François Ruiz, fondateur de l'agence de webmarketing Power On

Non. «C'est une vaste blague, et complètement inapplicable techniquement. Comment empêcher qu'un recruteur regarde, de chez lui, le profil d'un candidat? Et puis ce serait une aberration de dire : vous pouvez utiliser Google mais vous n'avez pas le droit d'aller sur Facebook. D'ailleurs, beaucoup de gens se servent de Facebook comme d'un réseau professionnel. Et moi-même, si je recrute un “community manager”, je vais systématiquement regarder sur son profil quelle est son activité.»

 

Un avocat

Emmanuel Walle, directeur du département droit social numérique du cabinet Alain Bensoussan

Oui, mais. «Faire un focus là-dessus, c'est bien. Et si cela aboutit à un mécanisme complet qui permette de mettre fin à ce type d'agissements et de punir les contrevenants, pourquoi pas. Mais cette loi devra être précise quant aux peines encourues, au montant des amendes, à la récidive éventuelle, aux moyens de sanction et au recueil de la preuve. Sinon, cela risque de donner naissance à un dispositif inapplicable.»

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