Ressources humaines
À l’initiative de Psychologies magazine, une journée de la Gentillesse est organisée le 13 novembre avec le soutien de nombreux médias. Faut-il y voir l’antidote à la souffrance au travail?

Le 4 novembre, un délégué CGT de France 3 Île-de-France est convoqué pour un entretien préalable à une sanction disciplinaire. En pleine grève sur les retraites, l'homme est accusé d'avoir agressé physiquement un cadre de l'antenne de proximité, lequel se voit lui-même reprocher par le syndicat d'avoir «frappé d'un coup de pied» son représentant. Tous les salariés de France Télévisions ont été appelés à un débrayage d'une heure en guise de protestation. Et si, au-delà des motivations profondes invoquées («souffrance au travail», «respect du droit de grève», «climat d'intimidation et de harcèlement»), cette affaire ne faisait que refléter la violence des relations au travail?

C'est en tout cas ce qui motive en grande partie la journée de la Gentillesse que lance Psychologies magazine, le 13 novembre, en partenariat avec l'assureur MMA. «Le respect et le dialogue sont essentiels, y explique dans une interview le syndicaliste CGT Christian Larose, vice-président du Conseil économique et social. Les salariés peuvent comprendre les choses les plus difficiles, à condition qu'on leur dise la vérité, qu'on prenne le temps de les écouter.» L'homme, qui rappelle que le travail ne se résume pas à la production de richesses mais représente aussi du «vivre ensemble», souligne qu'on a «tellement rogné sur les temps morts que les gens ne se parlent plus en dehors des réunions officielles».

Arnaud de Saint-Simon, directeur de la rédaction de Psychologies magazine, qui en est à sa deuxième édition de la journée de la Gentillesse (adaptation du World Kindness Day), reconnaît qu'il a été surpris de voir à quel point son idée a pris l'an dernier dans les médias. «Tous, y compris les plus grinçants, ont adhéré, témoigne-t-il. Je pensais rencontrer beaucoup plus de sarcasmes et que cette initiative provoquerait davantage de controverses. Mais le sentiment de vivre dans un monde du chacun pour soi, accentué par la crise, l'a emporté. Il y a les suicides à France Télécom, mais aussi un vrai besoin de solidarité, de renouer des liens, de sortir de la méfiance.»

Levier de performance

Pour mener à bien ce chantier, Psychologies magazine s'est associé cette année à de nombreux médias (France Télévisions, Metro, Journal du dimanche, quotidiens régionaux), a multiplié les approches thématiques (l'école, les voisins, les personnes âgées, la souffrance au travail) ainsi que les partenaires (MMA, Clarins, Nikon, etc.). Une conférence à Sciences Po a également été organisée le 9 novembre pour examiner en quoi la bienveillance peut être une solution au malaise en entreprise. «Touche mon cœur», affiche le logo, signé Aurèle.

Gentillet, tout ça? Muriel Pénicaud, directrice des ressources humaines de Danone, qui participe au débat de Sciences Po, n'élude pas la question. «L'entreprise n'a pas à être gentille. Mais, derrière cette notion, il y a l'empathie, le bien-être, le lien social. Autant de leviers de performance. Des gens qui s'engagent à 120% font toute la différence. On ne peut pas décréter la gentillesse, mais on peut favoriser des relations sociales positives dans l'entreprise. En France, notamment, il y a une énorme attente par rapport au travail, source de rémunération mais aussi de réalisation de soi, de relations sociales, etc.»

Pour la DRH, Danone reflète cette préoccupation dans la rémunération de ses 1500 directeurs, dont un tiers de la part variable dépend de critères «sociétaux» et un autre tiers du management (le dernier tiers étant lié à la réussite économique). «Si on ne mesure les gens que sur des résultats financiers, l'humain ne sera qu'une variable d'ajustement», pointe-t-elle. Chez Danone, affirme-t-elle, un manager qui ne témoigne pas d'une attitude d'ouverture aux autres et d'engagement verra sa carrière limitée, même s'il est économiquement performant. Pour véhiculer ces valeurs, le groupe a notamment mis en place la Danone World Cup, à laquelle participent 20 000 salariés, et qui vise à renforcer les échanges au sein de cette «communauté humaine». Les Restos du cœur attirent, de leur côté, 2000 salariés volontaires. Quant à l'open space, il n'est pas vécu, selon elle, comme un facteur de stress mais comme une «place de village» contribuant à faciliter les relations non hiérarchiques: du numéro deux à la base, tout le monde y est posté.

Écouter et expliquer

«Est-ce que la gentillesse augmente la performance?, s'interroge Muriel Fagnoni, vice-présidente de BETC Euro RSCG. On peut en dire autant de l'agressivité. Il s'agit d'abord de savoir si c'est une valeur humaine qu'on a envie de porter avant de la réinstrumentaliser dans l'entreprise.» Si la publicitaire lui préfère le concept de bienveillance, elle retient que l'essentiel est dans l'attention que l'on témoigne à ses collègues ou à ses collaborateurs: «Quitte à être parfois dure et cassante, la gentillesse fondamentale est le contraire du désintérêt. Un problème bien écouté est à moitié résolu.»

La tonalité du discours compte aussi, rappelle Christian Courtin-Clarins, président du directoire de Clarins. L'homme se souvient avoir songé au mot de cinq lettres en découvrant des visuels publicitaires. Avant de déclarer courtoisement: «Tiens, vous avez traité le sujet sous une forme à laquelle je n'avais pas pensé.» Le patron insiste sur «l'écoute, la considération et le respect», qui sont déterminants dans la gestion d'une entreprise: «Il faut prendre la peine d'expliquer, y compris en cas de séparation. Même si cela se passe mal, le salarié se souviendra avoir été considéré, estime-t-il.Et beaucoup de restructurations sont mal vécues car on n'a pas pris le temps d'expliquer là où on veut aller.»

La gentillesse serait-elle alors un outil de management comme les autres? Jawad Mejjad, sociologue et auteur du Rire dans l'entreprise (L'Harmattan, 2010), rappelle que la gentillesse affichée et prônée, typiques des start-up où l'on est supposé se donner à fond avec le sourire, n'est pas celle qui est réclamée. N'est-ce pas encore une forme de violence? «Les gens veulent être solidaires, note-t-il. La gentillesse fait un retour non pas en tant que valeur de management, mais en tant que besoin des gens pour se sentir bien. La modernité a jusque-là été marquée par l'individualisme forcené, qui allait à l'encontre de toutes les valeurs de groupe, avec l'idée que l'intérêt général en sortirait renforcé. Le gentil, c'était le couillon. Ce modèle-là, les jeunes notamment n'en veulent plus. On est plutôt dans le don contre don cher à Marcel Mauss.»

Suivez dans Mon Stratégies les thématiques associées.

Vous pouvez sélectionner un tag en cliquant sur le drapeau.