Ressources humaines
Les entreprises commencent à adopter des chartes et des directives pour encadrer la parole de leurs salariés sur les médias sociaux. Une manière de protéger leur e-réputation et de prévenir tout risque juridique…

Un salarié peut-il encore parler de son travail sur un réseau social sans porter atteinte à l'image de son employeur? Le sujet a fait grand bruit le mois dernier: le conseil des prud'hommes de Boulogne-Billancourt (Hauts-de-Seine) a validé le licenciement de deux ex-salariées de la société de services en ingénierie informatique Alten-SIR, qui avaient critiqué leur hiérarchie sur Facebook en septembre 2008.
Dans cette affaire, les mouvements d'humeur publiés par une salariée sur son «mur» Facebook, les rendant ainsi visibles par «ses amis et leurs amis», ont mis le feu aux poudres. «Avec ce paramétrage, on considère que l'information tombe dans le domaine public», précise Emmanuel Walle, avocat, directeur du département droit du travail numérique au cabinet Alain Bensoussan. Pourtant, d'après un sondage BVA réalisé fin novembre pour La Tribune, 67% des Français – et 89% des 15-24 ans – estiment qu'on «peut très bien s'inscrire sur Facebook» à condition de faire attention.

Les deux salariées concernées ont fait appel. Mais si la décision est confirmée, elle fera jurisprudence. Une petite bombe potentielle, car elle consacre Facebook comme un lieu d'expression public. Et incite d'autant plus les employeurs à rappeler les règles du jeu, à l'heure où ce réseau compte plus de 20 millions de membres en France et où vie privée et vie professionnelle s'entremêlent.

Et ce n'est pas fini: plusieurs dossiers de contentieux similaires sont en cours de traitement. Comme celui de ces trois ex-salariées de l'association SOS-Femmes de Périgueux, licenciées après des propos émis sur Facebook. Ou l'affaire de la «petite Anglaise», cette blogueuse licenciée d'une maison d'édition parisienne pour avoir relaté avec humour son quotidien dans son entreprise. Ou encore cette «blonde qui dérange», salariée dans l'hôtellerie et blogueuse à succès sur Lepost.fr, licenciée car elle y racontait parfois sa vie professionnelle.

Afin de se prémunir de tout risque de contentieux, beaucoup de services RH cherchent désormais une manière de formaliser la manière dont les salariés peuvent parler de leur «vie en boîte» sur les médias sociaux. Aux États-Unis, les Social Media Guidelines font florès. Référencées sur le site Social Media Governance, ces directives ont permis à IBM, Cisco, Intel, Kodak, Best Buy ou Coca Cola de rappeler des règles de bon sens: l'e-locuteur doit cultiver la clarté («Identifiez vous clairement et précisez que ces publications reflètent vos opinions, pas celles de l'entreprise»), l'optimisme («Restez fier», «Soyez un leader»), la discrétion (ne jamais révéler une allégeance politique, des chiffres, etc.) ou la prudence («Gardez à l'esprit que ce que vous publiez restera en ligne longtemps»).

Les entreprises françaises sont elles aussi en pleine réflexion. D'après nos informations, La Poste et la Société générale planchent sur le sujet. Le groupe Pages jaunes réfléchit à un guide de bonnes pratiques qui expliquerait comment fonctionnent les réseaux sociaux, et comment y communiquer. Alcatel, pour sa part, a adopté dès mai 2009 une charte interne. «Nous l'avons mise à jour en mai 2010 en y incluant les médias sociaux. Nous y donnons des conseils: ce que l'on peut dire ou pas sur ces espaces publics, par exemple ne pas divulguer des informations confidentielles sur l'entreprise, sur des clients sans leur accord préalable, etc.», explique Stéphane Lapeyrade, animateur de communauté chez Alcatel. Bouygues Telecom, lui, a adopté sa charte il y a un an. «Elle tient sur deux pages, mais au moins, ce sont des règles écrites», précise Alain Moustard, directeur des systèmes d'information de l'opérateur mobile.

Cadrer ou éduquer?

Plusieurs médias sont également en pointe sur le sujet. Le New York Times ou Reuters ont ainsi édicté des règles quant à l'utilisation de Twitter (lire l'encadré). Reuters, dans son «Handbook for Journalism», rappelle l'interdiction de dévoiler ses scoops sur Twitter, la nécessité de disjoindre compte professionnel et compte personnel, etc. À l'AFP, François Bougon, journaliste chargé des réseaux sociaux depuis septembre et «social media editor», élabore une charte maison. «Nous y rappellerons des faits objectifs, des règles juridiques: c'est indispensable lorsqu'on est présent sur de nouveaux territoires comme Twitter», précise-t-il.
Mais le sujet est délicat: à Radio France, l'idée même de charte fait débat. «Je préfère un mode d'emploi où l'on nous donnerait des conseils. À mon avis, une charte est par essence restrictive. Il faut plutôt s'autoréguler», plaide Benjamin Muller, journaliste et «twittos» averti.

Côté entreprises, l'enjeu de l'e-réputation est crucial, alors que les RH ou la communication ne sont plus les uniques dépositaires de la parole corporate. «Il s'agit aussi de défendre la marque-employeur auprès de recrues potentielles. D'autant que les salariés peuvent devenir des ambassadeurs de la société», souligne Ludovic Bajard, directeur associé de l'agence Human to Human. «Cela devient d'autant plus crucial que bon nombre d'entreprises, qui bloquaient Facebook pour des raisons diverses, subissent aujourd'hui la pression des fameux “digital natives” et des services de communication, qui souhaitent associer les employés à leurs efforts sur les médias sociaux», insiste Stanislas Magniant, directeur de Publicis Consultants Net Intelligenz, qui gère des projets de chartes pour quelques clients.

Bref, ces divers documents ne viseraient pas à «cadrer» l'employé, mais plutôt à l'éduquer, et tiendraient plus du guide pratique que du document juridique. Même si, estime Emmanuel Walle, du cabinet Alain Bensoussan, ces documents, même informels, peuvent servir «aux juges en cas de contentieux»

 


Encadré
Journalistes, sachez tweeter avec modération

Outre-Atlantique, plusieurs médias (comme la BBC, le Washington Post ou le New York Times) ont édicté dès 2009 des règles interdisant à leurs journalistes de livrer leurs opinions politiques ou observations personnelles sur les réseaux sociaux. En juillet dernier, une journaliste de CNN, qui couvrait le Moyen-Orient, a été prestement remerciée par son employeur pour avoir exprimé sur son fil Twitter sa tristesse à la mort de l'ayatollah Fadlallah, l'un des mentors du Hezbollah.

Suivez dans Mon Stratégies les thématiques associées.

Vous pouvez sélectionner un tag en cliquant sur le drapeau.