Année des médias 2010
Raymond Soubie, ancien conseiller social de Nicolas Sarkozy, aujourd'hui président de l’agence d’information AEF, revient sur la grande réforme de l’année.

Avec 70% d'opposants à la réforme en juillet, est-ce le signe que le gouvernement a raté sa campagne de communication sur les retraites?

Raymond Soubie. La retraite est un sujet compliqué, avec des termes très techniques, décote, pénibilité. En outre, bien souvent, les salariés ne se préoccupent de ces mécanismes de retraite qu'en fin de carrière. Du coup, pour la majorité des gens, on partait d'un niveau de connaissances proche de zéro. Cela a donc été compliqué de réaliser une campagne d'explication. On a opté pour une communication destinée à préparer l'opinion sur la nécessité de réformer le système. Utile, mais insuffisant. Il aurait fallu bâtir aussi une communication qui touche les gens personnellement. Ce qui est fait aujourd'hui..

 

Comment se sont déroulées les prises de décisions avec le chef de l'État et le ministre du Travail, Éric Woerth, très affaibli par l'affaire Bettencourt?

R.S. Il y a eu sept réunions entre avril et juillet sur ce thème, avec le président, le Premier ministre Eric Woerth, qui s'est beaucoup impliqué personnellement. Tous les scénarios possibles, établis sur les simulations du Conseil d'orientation des retraites, ont été examinés. Le président a retenu 62 ans en 2018. Puis le projet de loi a été élaboré et présenté en Conseil des ministres mi-juillet. L'instruction technique se faisait au ministère du Travail. Mon rôle était de proposer la synthèse de ces travaux, avec des options possibles, au président, au Premier ministre, aux ministres du Travail et du Budget.

 

À partir de quand avez-vous senti que ça allait se corser?

R.S. Dès le départ, j'ai dit à vos confrères que ce ne serait pas une promenade de santé. Le projet revenait sur un tabou: la retraite à 60 ans. J'ai aussi très vite compris que contrairement à la réforme de 2003 [la réforme Fillon où la CFDT avait été signataire], cette fois, aucun syndicat n'accepterait de s'engager. D'ailleurs, à leur place, j'aurais sans doute fait pareil car le risque électoral était très élevé pour eux. Les conséquences à court terme sur les procédures du dialogue social ont été réelles, mais elles ne sont à mon sens que temporaires.

 

Devant l'ampleur de la contestation sociale, en octobre, avez-vous envisagé de reculer?

R.S. C'était impossible si l'on voulait assurer le paiement des retraites et montrer que la France est un pays responsable. Je savais que sauf si le gouvernement abrogeait la réforme, il n'y avait pas d'accord possible avec les syndicats. Il y a eu des mouvements dans la rue, forts, bien organisés, bien contrôlés. Le seul risque pour nous était que les cortèges continuent à grossir et dérapent. Mais quand on étudie l'histoire des manifestations en France, on se rend compte que c'est toujours une courbe en forme de cloche. Cela atteint un maximum, puis ça redescend.  Chaque jour, je prenais la température du mouvement, grâce à mes contacts dans les syndicats, dans les entreprises et aux enquêtes d'opinion, baromètres de chaque entreprise du secteur public pour avoir une idée de la réalité de la situation et de l'ampleur des risques.

 

Aviez-vous en tête le «syndrome de 1995», la France totalement bloquée?

R.S. Non. La situation n'avait rien à voir. La pénurie d'essence a duré huit jours. Alors qu'en 1995, il y avait eu trois à quatre semaines de grèves, sans train ni métro. Cette fois, il n'y a pas eu de paralysie dans les transports publics. Et dès septembre, on savait qu'il n'y avait pas de risque de contagion massive au secteur public. L'autre facteur que l'on observait de près était le degré de mobilisation des jeunes. Or, ils ne se sont pas réellement impliqués dans le mouvement.

 

Pourquoi avez-vous quitté l'Élysée et, à 70 ans, avez-vous envisagé de prendre… votre retraite?

R.S. Je n'avais pas l'intention de rester jusqu'à la fin du quinquennat. Au départ, j'étais venu pour douze ou dix-huit mois. Le président m'a demandé de prolonger jusqu'à la fin de la réforme des retraites. Je n'ai pas du tout pensé prendre ma retraite, car l'activité est un élément d'équilibre indispensable pour moi. Et puis je sais que je peux être utile à mes entreprises. D'un côté, j'ai repris la direction de l'agence d'information AEF. En parallèle, je dirige Alixio, une société de conseil créée en juin par d'anciens amis d'Altedia.

 

Vous connaissez bien la presse professionnelle. A-t-elle encore de l'avenir?

R.S. Bien sûr! On a plus que jamais besoin d'être informé sur son métier, sur l'évolution de ses techniques, de connaître les professionnels de son univers. La vraie question est celle de la pertinence du modèle économique. Celui de l'AEF est l'Internet payant sans publicité. Après son fil sur l'éducation et les universités, Marc Guiraud, le fondateur de l'entreprise, a lancé une série d'autres fils : ressources humaines, formation, environnement, développement durable, habitat, urbanisme et logement, sécurité.  Et notre chiffre d'affaires progresse régulièrement chaque année.

 

Où en est le livre que vous avez promis à votre éditeur sur les relations sociales en France?

R.S. J'aimerais toujours écrire un ouvrage sur un thème qui me paraît central pour notre avenir : comment conduire les réformes à bon port dans notre pays.

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