Christine Ockrent, numéro 2 de l'Audiovisuel extérieur de la France (AEF), est de plus en plus contestée en interne. Le PDG, Alain de Pouzilhac, garde un soutien à France 24 mais est tout aussi rejeté à RFI.

Quelques jours après l'éviction de son compagnon Bernard Kouchner du Quai d'Orsay, le 14 novembre, Christine Ockrent pouvait encore faire la sourde oreille: «Un remaniement? Quel remaniement?», répondait-elle quand on lui demandait si la nomination d'un nouveau gouvernement modifiait sa situation à la tête de l'Audiovisuel extérieur de la France (AEF).

Depuis, la question n'est plus seulement de savoir le crédit que lui accordera l'État actionnaire, mais combien de temps la «reine Christine» résistera à des salariés qui, de RFI à France 24, se sont juré d'obtenir sa destitution.

Le 15 décembre 2010, alors que la totalité des directeurs et sous-directeurs de la chaîne refusent de se réunir en sa présence, 85% des 304 salariés votants de France 24 lui dénient leur confiance. Décidée à défendre son honneur, en pleine affaire de piratage informatique impliquant sa collaboratrice Candice Marchal, Christine Ockrent déclare le lendemain sur France Info: «Je reste.» Le sort des responsables de l'audiovisuel public, dit-elle, ne se décide pas dans les assemblées générales.

Seulement voilà, même si sa culpabilité dans ce feuilleton d'espionnage reste à démontrer – Christine Ockrent crie à la calomnie et à la diffamation, et la présence de 2,5 millions de fichiers provenant de l'AEF sur l'ordinateur de sa collaboratrice ne constitue pas une preuve –, la colère gronde chez les salariés. Le syndicat majoritaire de France 24, la CFDT, ainsi que son homologue de RFI ont déposé un préavis de grève pour les 13 et 11 janvier en mettant en cause le silence du gouvernement. «Quelles sont les raisons qui poussent les autorités de tutelle à maintenir en poste un cadre supérieur désavoué par la majeure partie des salariés et par ses cadres?», interroge un communiqué. Et de déplorer un «climat de crise» qui «nuit fortement au moral et à la motivation du personnel».

Mieux, la CFDT se demande si un «arrangement politique» n'aurait pas été passé avec l'ex-ministre des Affaires étrangères. L'hebdomadaire Marianne évoquait en effet en décembre un accord passé entre Bernard Kouchner et Nicolas Sarkozy pour maintenir Christine Ockrent en place.

Défaut de conception?

À RFI, afin de «rétablir une gestion normale de l'entreprise», les élus de l'intersyndicale SNJ-FO-CGT montent à leur tour au créneau le 21 décembre, en demandant à la justice la nomination d'un administrateur provisoire pour remplacer Christine Ockrent… mais aussi Alain de Pouzilhac. Pourquoi le PDG lui-même? «Je ne pense pas un seul instant qu'il y ait de différence entre les deux dirigeants, répond Nina Desesquelle, déléguée SNJ. Ils ont pris les mêmes décisions, ils incarnent la même stratégie, et même leur guerre pour le pouvoir ne nous a pas surpris: cette gestion bicéphale fait partie intégrante des défauts de conception de l'AEF.»

À en croire l'ancien patron d'Havas, pourtant, «il n'y a en aucune façon une guerre des chefs». Le licenciement pour faute lourde d'un proche de Christine Ockrent, Vincent Giret, de la direction de la rédaction de France 24 cet été, a sanctionné le recrutement de 30 personnes en vue de la version 2 de la chaîne, représentant un dépassement budgétaire d'1,1 million d'euros en 2009.

«L'État a nommé un chef d'entreprise, nous déclarait-il fin novembre. Il y a eu des dérives financières et sociales, je les ai corrigées. L'affaire est close.» Pour lui, la tutelle a prouvé son soutien à sa gestion en réinjectant de l'argent dans France 24, en recapitalisant RFI et en prenant à sa charge le coût de son déménagement (21,5 millions d'euros) aux côtés de la chaîne, à Issy-les-Moulineaux. Et toutes les entreprises de l'AEF sont désormais à l'équilibre.

Mais comment un chef d'entreprise peut-il ignorer 30 embauches en dehors de tout cadre budgétaire? Rodolphe Paccard, délégué CFDT de France 24 qui a toujours revendiqué le «dialogue constructif» avec ce président-fondateur chez qui il sent «un attachement sincère au projet France 24 et AEF», risque une explication: «Alain de Pouzilhac nous a dit avoir été informé [du dérapage budgétaire] en juillet 2010. C'est vrai qu'avant, il n'était pas PDG mais uniquement président, puisque Christine Ockrent assurait la direction générale, et qu'il était occupé à la réforme de RFI. Mais cela nous paraît quand même bizarre.»

Bizarre en effet car, à supposer que Christine Ockrent (avant d'être rétrogradée directrice générale déléguée) dissimulait des informations comptables à son président, ce ne pouvait être le cas du directeur financier de France 24, Frédéric Geneau, qui devait rendre des comptes à son partenaire et homologue de l'AEF, Thierry Delphin, lequel rapportait au président.

Commission d'enquête

Le patron de l'AEF a-t-il délibérément laissé la situation se détériorer pour accabler sa numéro 2? Le terrain est en tout cas propice à la mise en place d'un système d'espionnage informatique. Dès octobre, un courriel interne de Thierry Delphin est cité dans Le Canard enchaîné, faisant état d'une «impasse budgétaire significative en 2011» compte tenu des indemnités à verser pour les licenciements à l'AEF.

Cette fois, c'est la gestion de Pouzilhac à RFI qui est en cause. Selon les syndicats, le plan de départs volontaires, qui devait coûter 20 millions d'euros à la radio, se solde par une facture salée de 41,2 millions d'euros, avec 206 départs (et 69 autres attendus). Sans sa recapitalisation, RFI accuserait un déficit net de 28,5 millions d'euros.

Faut-il voir la main de Christine Ockrent derrière l'affaire de piratage informatique qui implique un prestataire qu'elle a elle-même recruté, l'informaticien Thibault de Robert? Ou doit-on entendre le vice-président d'Havas, Jacques Séguéla, quand il dit qu'Alain de Pouzilhac, son ancien patron, est «prêt à tout quand il voit qu'il est acculé»? Ce sera à l'enquête de police de déterminer les responsabilités.

Toujours est-il que l'espionnage informatique – évoqué dès l'été 2010 en comité d'entreprise de France 24 et donnant lieu à une plainte de l'AEF – ne suscite que peu d'émoi jusqu'à la découverte de fichiers piratés sur l'ordinateur de Candice Marchal. Soit quelques jours après le remaniement gouvernemental (elle est mise à pied le 26). Le résultat d'une enquête du cabinet privé Forensic & Legal Services menée à la demande d'Alain de Pouzilhac.

Dans l'attente de l'épilogue policier, une commission d'enquête parlementaire s'est saisie du dossier. Objectif: faire toute la lumière sur l'AEF. Elle ne pourra que constater à quel point ses dirigeants sont aujourd'hui coupés de leur personnel. Forts d'un salaire de 315 000 euros (avec 70 000 euros de part variable), ils ne parviennent plus à faire adhérer les représentants des salariés au projet de l'AEF.

«Il y a une perte de confiance dans l'entreprise, estime Maria Afonso, déléguée FO, et RFI perd des compétences. Si Pouzilhac et Ockrent restent aux manettes, on va mourir.» L'intersyndicale de la radio fustige un démantèlement programmé de RFI, un budget qui stagne au bénéfice de France 24, l'appauvrissement de la grille pour les émissions tournées vers l'Asie ou l'Amérique latine et une stratégie qui détournent l'ex-«voix de la France» de sa base d'auditeurs populaires.

Démotivation générale

«Nous sommes dans une situation de blocage et nous n'avons ni cahier des charges ni contrat d'objectifs et de moyens», rappelle Élisa Drago, secrétaire SNJ-CGT du comité d'entreprise. À France 24, où Alain de Pouzilhac a recueilli le 15 décembre 54% de votes de confiance, Rodolphe Paccard (CFDT) estime néanmoins que le fondateur est le plus à même de mener le projet de fusion avec RFI et Monte-Carlo Doualiya. Pour lui, inutile de se voiler la face, «le but premier de l'AEF est de réduire le coût global de l'audiovisuel extérieur». En atteste la réduction prévue de l'enveloppe budgétaire de l'État de 10% entre 2011 et 2013.

La «CNN à la française» sera-t-elle touchée ? Il ne sera en tout cas pas nécessaire de faire partir des salariés. «Nous avons eu un taux de rotation du personnel de 16% en 2009 et il ne peut qu'augmenter en 2010, confie Rodolphe Paccard. Toutes ces manipulations ont terni le projet AEF, et on voit des gens talentueux qui se démotivent. D'autant que le rythme est très intense et les conditions de travail pas idéales.»

 

Encadré

France 24 et RFI en régie chez FTP

En contrepartie d'une dotation publique en hausse de 3% en 2011, à 330,3 millions d'euros, l'AEF doit augmenter ses ressources propres. Pour cela, l'entreprise externalise auprès de France Télévisions Publicité International sa régie publicitaire à compter du 1er janvier 2011. Objectif: doubler ses recettes dès cette année, en passant de 3,4 millions d'euros à 6,9 millions d'euros. TV5 Monde (filiale d'AEF à 49%) est déjà en régie chez FTP.

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