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Sur les réseaux sociaux ou les blogs, certains internautes, pas toujours anonymes, n’hésitent plus à critiquer leur entreprise. Un mouvement qui est en train d’exploser.

«La chasse aux seniors est ouverte.» «Recette du fracassé de salarié façon “Nouvel An”»… Dans leurs écrits, les rédacteurs – anonymes – du blog «Consultons», qui se présente comme le «vrai journal interne de Publicis Consultants», n'y vont pas de main morte. Les critiques envers l'entreprise sont virulentes. Et depuis que le blogueur Émery Doligé a évoqué, il y a quelques jours, l'affaire sur son propre blog, il y a eu un emballement.

Au point que le président de Publicis Consultants, Fabrice Fries, a choisi de poster un long commentaire en ligne: «Nous vivons avec ce blog depuis trois ans maintenant… L'agence, comme bien d'autres en temps de crise, a été pas mal chamboulée, son management a été renouvelé, cela ne fait pas plaisir à tout le monde… Parfois, le blog est pertinent dans la critique, bien fichu, drôle. Parfois, il est mensonger ou verse dans la charge ad hominem, ce qui le discrédite…»

En choisissant de répondre et en jouant la transparence, plutôt que d'attaquer le blog contestataire bille en tête ou de le faire interdire dans son entreprise, le patron de Publicis Consultants a marqué des points. Sa réaction était très attendue: il conseille lui-même des clients en matière d'e-réputation! «Il y a une règle d'or sur les médias sociaux, il faut répondre quand on est interpellé», recommande-t-il au passage. Il faut comprendre que la critique en ligne, cela va devenir une pratique d'une grande banalité.»

Ce que confirme une enquête Hopscotch-Viavoice, qui vient d'être publiée en janvier: 15% des salariés reconnaissent qu'il leur arrive d'évoquer leur entreprise dans les réseaux sociaux, ce qui représente tout de même quelque 2,5 millions de personnes. Et 21% d'entre eux, soit 500 000 internautes, n'hésitent pas à la dénigrer. Les plus enclins à décrier leur employeur étant les 25-34 ans. Une bonne nouvelle tout de même pour les dirigeants: 67% des salariés, bavards sur les plates-formes communautaires, prennent la défense de leur entreprise.

«Ces commentaires peuvent être de deux natures distinctes», détaille Jérôme Lascombe, président de l'agence Hopscotch. Premier cas, «ils sont prononcés par inadvertance, sans intention de nuire.» C'est de plus en plus courant dans les réseaux sociaux, sur Facebook en particulier, où les notions de vie privée et publique se mélangent allègrement. «Le psychanalyste Serge Tisseron parle à ce propos d'“extimité”, une contraction d'extérieur et intimité, poursuit Jérôme Lascombe. Deuxième cas de figure, «le salarié décide de devenir une sorte de justicier parce qu'il a des comptes à régler. Une tendance portée probablement par un effet Wikileaks».

Limites de la liberté d'expression

Certaines collectivités locales se raidissent devant l'e-transparence. Le 1er janvier, un ingénieur au conseil général des Bouches-du-Rhône, Philip Sion, a ainsi créé un blog, dénommé Wikileaks13, pour «dénoncer ce qui est mal, ce qui est faux, ce qui est courbe et contraire à l'intérêt d'une ville magnifique [Marseille] et de celui de tous ses habitants.» Le 4 janvier, il est suspendu de ses fonctions et tente de se suicider.

Au conseil régional d'Aquitaine, Aurélie Boullet, jeune cadre territoriale, a aussi commencé par créer un blog anonyme pour dénoncer «les dysfonctionnements et décisions absurdes» dans son service, avant de rédiger un roman à succès (voir encadré).

Dans l'univers de la publicité, le phénomène se constate aussi dans des agences comme Euro RSCG, qui a eu droit à son blog de contestataires, baptisé Vu au bureau chez Euro, actif jusqu'en 2009.

Si les salariés sont très loquaces en ligne, dans le même temps ils sont de plus en plus conscients des limites de cette liberté d'expression. Selon l'enquête Hopscotch-Viavoice, 86% d'entre eux connaissent les risques de sanction. Et ce même si seulement 12% des personnes interrogées ont été sensibilisées par une charte ou un guide de l'usage des médias sociaux. Cette peur du gendarme serait plutôt due aux nombreuses affaires de salariés licenciés à cause de Facebook, abondamment relayées par les médias ces derniers mois. Selon un collaborateur de Publicis Consultants, qui préfère garder l'anonymat, depuis la multiplication de ces histoires, l'attitude de ses collègues serait en train d'évoluer: «Avant, ils avaient tendance à croire qu'il y avait une impunité à parler de leur entreprise en ligne.  Maintenant, ils prennent conscience des risques et sont de plus en plus vigilants.»

Pour régler le problème, certaines sociétés encadrent l'usage de Facebook via des chartes (cf. Stratégies n°1613), voire le bannissent totalement des «open-space». Mais cela reste minoritaire.

Comme le problème n'est pas réglé, il faut s'attendre à ce que le nombre de licenciés pour dénigrements sur réseaux sociaux augmente encore cette année. Autant de nouvelles recrues pour le groupe Facebook intitulé «Fired by Facebook», qui compte déjà quatre cents membres…

 

 

encadré

Le roman qui empoisonne la région Aquitaine

«Vous appelez à propos d'Aurélie Boullet? On ne fait plus de commentaires.» Au service de communication de la région Aquitaine, l'auteur de l'ouvrage Absolument débordée (190 000 exemplaires vendus), malgré un pseudonyme d'écrivain (Zoé Shepard), est connue comme le loup blanc. L'hypermédiatisation de son retour au travail, début janvier, après quatre mois de suspension pour non respect du devoir de réserve, agace au plus haut point la région. Ici, son roman, très drôle, ne fait plus rire depuis longtemps. Sa description des dysfonctionnements dans une collectivité locale et ses personnages au vitriol, comme «Coralie “coconne” Montaigne, qui a une faculté peu commune à faxer systématiquement les lettres à l'envers…», ont créé un vrai malaise. La page n'est pas prête d'être tournée, puisque UGC vient d'acheter les droits du livre pour en faire un film.

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