Après le colloque des Nouvelles News sur «la place des femmes dans l'information» au conseil régional d’Île-de-France, le groupe Marie-Claire ouvre un forum sur l’égalité salariale entre hommes et femmes. Pour faire bouger les choses...

«Je gagne moins à compétence égale, diplôme égal, qu'un collègue qui est entré en même temps que moi dans la société. Mais je m'investis moins que lui, qui bosse pour la boîte comme un fou le week-end et le soir très tard. Il a accédé à plus de responsabilités et je trouve donc cela normal. Donc, oui, je suis discriminée en théorie mais en pratique c'est normal.»

 

Ce commentaire anonyme, posté le 15 juin sur le site Web de Marie-Claire, est de ceux qui justifient une mobilisation. Depuis le 14, le groupe de presse féminine s'est engagé dans la lutte pour la réduction des inégalités de salaires entre hommes et femmes à travers un grand forum, le premier du genre, qui donnera lieu, après l'été, à un livre blanc à destination des pouvoirs publics.

 

Attention, on ne parle plus aujourd'hui de parité des sexes ni même d'inégalités salariales mais d'injustices criantes: le Forum économique de Davos a montré que la France se situait, en ce domaine, à la 127e place sur 134. Une Française touche en moyenne 27% de moins que son collègue masculin dans les entreprises de plus de 10 salariés (et 16% de moins sur le seul salaire horaire, sans tenir compte du temps partiel qui affecte surtout les femmes).

 

Le grand écart

«Les femmes, nonobstant leurs compétences et leur talent, sont impuissantes à envoyer un signal fort qu'elles vont s'engager à long terme dans l'entreprise, explique Brigitte Grésy, inspectrice des Affaires sociales et auteure d'un rapport sur l'égalité professionnelle hommes/femmes. Pour l'employeur, elles sont un agent à risque: à partir du moment où une femme se met en couple et a un enfant, il considère qu'il y a rupture du contrat de confiance entre l'entreprise et la salariée.»

 

En principe, pourtant, l'arsenal juridique existe. Un accord du 9 juillet 2010 relatif à l'égalité professionnel assure que «l'embauche, la rémunération à l'embauche et le positionnement d'un emploi dans la grille de classification ne doivent, en aucun cas, tenir compte ni du sexe, ni de la situation familiale du futur titulaire ou titulaire de l'emploi concerné».

 

Un article du code du travail (L.2241-9) demande aussi que les négociations sur les salaires et les classifications visent «à programmer les mesures permettant de supprimer les écarts de rémunération entre les hommes et les femmes». Encore faut-il qu'il soit suivi.

 

Comme le rappelle Natacha Henry, créatrice de l'association Gender Company, dédiée à l'analyse du sexisme dans la culture populaire et les médias, il est même prévu d'intégrer des éléments sur l'égalité des sexes dans la formation des enseignants. «Mais on ne dit rien du partage des tâches entre hommes et femmes, comme s'il y avait une séparation entre l'espace public et l'espace privé», a souligné cette journaliste lors d'un colloque sur «la place des femmes dans l'information» organisé le 9 juin par les Nouvelles News au conseil régional d'Île-de-France.

 

Quel rapport entre l'inégalité salariale entre hommes et femmes et le sexisme de l'information? En réalité, tout se tient. C'est parce que les médias sont le plus souvent dirigés par des hommes, ou que la hiérarchie journalistique est généralement masculine, que les stéréotypes se perpétuent et qu'il est fait si peu de place aux indignations sur le sexisme de la société.

 

L'Observatoire des métiers de la presse vient de confirmer que l'écart de rémunération affecte les journalistes encartés comme le reste des salariés: là où une femme touche 3 361 euros bruts en moyenne en CDI, le salaire est de 3 816 euros pour un homme journaliste, soit 13,5% de différence.

 

Mais quand les femmes sont aux commandes, tout peut changer: c'est avec une directrice de la rédaction, Sylvie Kauffmann, par exemple, que Le Monde s'est intéressé à la place des femmes dans ses sujets d'actualité et ses portraits. Début 2010, une enquête interne en comptabilise alors entre 18 et 19%. En mettant en avant des femmes expertes ou en situation de «leadership», ne contribue-t-on pas à modifier le regard que la société, à commencer par les femmes, porte sur elle-même?

 

Cela ne va du reste pas toujours de soi: «J'essaie d'avoir au moins une femme sur quatre sur le plateau, raconte Hélène Risser, rédactrice en chef adjointe de Public Sénat, mais c'est extrêmement difficile à tenir.» Motif: les gens «un peu sûrs d'eux» ont cherché à se faire connaître entre 30 et 40 ans et c'est souvent l'âge où de nombreuses femmes sont mobilisées par leur rôle de mère.

 

A l'école des clichés 

L'amélioration de la situation salariale des femmes passe pourtant par la revalorisation de leur image professionnelle. Pourquoi un employeur gratifierait-il une femme à compétence égale s'il songe spontanément à un homme pour un poste à responsabilités? L'école, «creuset de reproduction des stéréotypes» selon Brigitte Grésy, est aussi en cause. Quand les filles fuient le pugilat, les garçons apprennent à se mettre en avant.

 

Or, l'augmentation de salaire se conquiert de haute lutte. Même l'Education nationale, «premier employeur de France», propage des clichés en véhiculant, dans sa dernière campagne de publicité, l'idée que la femme a «des rêves» quand l'homme a «des ambitions». 

 

Alors que faire? Il ne suffira pas, comme les écoles de journalisme, de s'engager «pour un traitement paritaire de l'information». Il faut aussi que l'inégalité des sexes devienne l'affaire de tous. Autrement dit, des hommes. C'est possible, comme l'atteste Didier Aujoux, directeur finances et RH chez Axa France, lors d'une table ronde du forum de Marie-Claire.

Son groupe a investi 4 millions d'euros depuis 2005 pour «traiter ces inégalités»: «Mais pour que chaque augmentation donnée à une femme soit justifiée, il faut qu'elle soit imparable vis-à-vis de ses collègues», prévient-il.

 

Le Medef travaille, de son côté, sur «un congé paternité conçu de façon telle que les jeunes papas le prennent», dixit sa présidente Laurence Parisot. Enfin, Brigitte Grésy rappelle que les beaux textes sont impuissants si on ne se donne pas les moyens de contrôler leur application: «Pour mettre en tension une organisation, il faut des objectifs, des indicateurs, et il faut sanctionner.»

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