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Les conditions de travail des journalistes se sont franchement dégradées ces dernières années, selon une grande enquête réalisée part le cabinet Technologia. Principaux enseignements avec son président, Jean-Claude Delgènes.

Le cabinet Technologia, spécialisé dans la gestion des risques professionnels et du stress en particulier, a mené avec le Syndicat national des journalistes (SNJ) une grande enquête sur les conditions de travail des journalistes baptisée «Travail réel des journalistes, qualité de l'information et démocratie». Plus de 1 000 de ceux-ci ont répondu au questionnaire et une centaine ont ensuite été interrogés lors d'entretiens. Cette étude permet de faire une photographie de la profession. 

 

Les journalistes sont-ils plus stressés que d'autres professionnels?

Jean-Claude Delgènes. Quatre-vingt-neuf pour cent des journalistes que nous avons interrogés se disent stressés. Dans les autres métiers, on se situe plutôt entre 40 et 50%. C'est inhérent à cette profession qui, passionnante, implique d'être en alerte, en veille par rapport à l'actualité en permanence, y compris quand on est rentré chez soi. Dans d'autres univers, une fois que l'on est chez soi, il y a une vraie coupure. Au final, 55% des journalistes considèrent que leur travail a une incidence négative sur leur santé.

 

Il y a aussi des facteurs exogènes qui expliquent la montée du stress?

J.-C.D. D'abord l'augmentation de la précarité, les jeunes journalistes mettant plus longtemps à trouver leur premier emploi fixe qu'auparavant. Ensuite, il n'y a pas eu de revalorisation de la rémunération depuis cinq ans. Enfin, la production d'information est plus importante et le métier s'est complexifié au cours des cinq dernières années, devenant multicanal. Il y a de plus en plus de journalistes à tout faire, qui cumulent écriture pour le papier, pour Internet… Cette diversification du travail est encore plus mal vécue par les journalistes seniors, pour lesquels cette mutation est nouvelle.  Mais cette hausse de la charge de travail concerne tout le monde: 73% des répondants à notre sondage l'affirment.

 

D'autant qu'il y a une pression accrue sur les délais…

J.-C.D. Oui. Soixante-huit pour cent des journalistes interrogés expliquent qu'ils sont contraints d'être plus réactifs aux événements qu'auparavant. Une pression accrue qui s'explique aussi par une concurrence récente, celle des citoyens lambda qui diffusent de l'information. Il est plus difficile d'être le premier à «sortir» une information.

 

Et le temps de travail?

J.-C.D. Selon notre enquête, 68% des journalistes sont amenés à dépasser souvent leur temps de travail. Parmi eux, 31% disent le faire«très souvent». Ils sont peu nombreux à pouvoir réaliser leur travail dans le temps imparti: 4% seulement disent le dépasser «rarement» et 23% «occasionnellement».

 

Quid de la qualité de leur travail?

J.-C.D. La dégradation de l'environnement de travail a des conséquences sur l'indépendance. Nous avons recueilli beaucoup de témoignages qui allaient dans le même sens: par peur de perdre leur emploi, certains journalistes admettent fuir les sujets polémiques, s'autocensurer. Ce sont des mécanismes de survie classiques induits par la peur de la précarité. Du coup, l'information n'est plus délivrée de façon aussi neutre. D'autant que, dans le même temps, la fragilisation du modèle économique des journaux favorise les pressions. Ainsi, dans un grand quotidien, un journaliste qui rédigeait régulièrement des articles sur la sécurité aérienne a été prié d'éviter le sujet pendant plusieurs mois suite à un coup de fil du dirigeant d'une compagnie aérienne qui menaçait de ne plus distribuer le journal dans ses avions.

 

Vous évoquez aussi le cas des grands reporters…

J.-C. D. Nous avons été frappés par l'absence d'accompagnement psychologique de ceux-ci. Ils sont confrontés dans l'exercice de leur métier à des situations traumatisantes, des conflits par exemple, et, pourtant, rien n'est prévu pour eux. Parmi ceux que l'on a interviewés, certains avouent en faire encore des cauchemars, avoir des nuits agitées.

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