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Le Monde, Le Figaro, Canal+, France Télévisions… les HEC sont aux manettes d'un grand nombre de groupes de médias. Pourquoi ont-ils autant la cote?

Leur mode d'action est toujours le même: ils investissent le dernier étage, celui où la moquette est un peu plus épaisse, la décoration plus raffinée, et ils y plantent leur «tente». Tel est le modus operandi de la «bande» des HEC (Hautes Études commerciales de Paris). Ces quadras et quinquas – tous des hommes – sévissent notamment dans les sièges des grands médias, faisant main basse sur les postes de direction. Leurs dernières prises? Les groupes Le Monde (Louis Dreyfus et Erik Izraelewicz), Le Figaro (Marc Feuillée), Canal+ (Rodolphe Belmer), France Télévisions (Rémy Pflimlin), TF1 (avec Laurent Storch, ex-patron des programmes aujourd'hui président de TF1 Production) ou encore Condé Nast (Xavier Romatet). «Il y a clairement une progression du nombre de dirigeants issus de HEC dans les médias, constate Louis Vaudeville, qui a présidé pendant une décennie le groupement des HEC «médias et entertainment» et gère la société de production de documentaires CC & C. Dans ce secteur, pourtant assez restreint, il y a plus d'un millier d'anciens. Notre pénétration est donc assez forte.»
Le béguin des HEC pour les médias n'est pas récent, et ils sont également nombreux à occuper des postes clés dans les rédactions: Claire Chazal à TF1, Vincent Beaufils à la tête de la rédaction de Challenges, Emmanuel Chain (présentateur, cofondateur de la société de production Elephant & Cie), Christine Kerdellant au groupe L'Express-L'Expansion… «Le fait nouveau est que les HEC accèdent à des fonctions de direction de médias, constate Marc Feuillée, le directeur général du groupe Figaro. Les mouvements de concentration, ces dernières années ont donné naissance à des entreprises de plus en plus grandes, avec des enjeux économiques plus importants. À leur tête, il faut des dirigeants formés à la gestion et au management.» Une normalisation des entreprises médias qui s'accompagne logiquement de celle du profil des dirigeants. «C'est vrai qu'avant, il y avait des journalistes, des producteurs à leur tête, mais la mutation des métiers, les nouveaux usages rendent la gestion de ces groupes de plus en plus complexes», indique Xavier Romatet. D'ailleurs, la plupart des HEC présents dans la presse y ont fait une bonne partie de leur carrière: «C'est logique, car un média, cela ne se gère pas comme une banque. Et diriger des journalistes, cela n'a rien à voir avec le management de commerciaux ou de traders», poursuit le patron de Condé Nast.

Louis Vaudeville avance une autre explication: «Contrairement à l'industrie, dans les médias, les HEC n'ont pas de handicap technique et, du coup, ne sont pas en concurrence avec les diplômés des grands corps, tels les polytechniciens, les ingénieurs des mines, etc.»

Mais pourquoi les autres diplômés d'écoles de commerce – Essec, Insead, ESCP – sont-ils bien moins représentés dans les états-majors du secteur? Difficile à dire, bien sûr, même si HEC dispose d'un solide réseau, mais ses diplômés se défendent de pratiquer la cooptation. Et pourtant, aux manettes de Condé Nast, par exemple, Xavier Romatet a succédé à un autre HEC, Didier Suberbielle. «Les anciens HEC, c'est un réseau de mises en contact et je ne refuserai jamais un rendez vous à un de ses membres, reconnaît Louis Vaudeville, de CC & C. Mais ce n'est pas pour cela que je l'embaucherai.»

Même point de vue du côté de la chasseuse de têtes Alexandra Alberti, de CTP Partners: «Pour piloter un média, si les actionnaires nous demandent clairement une école de commerce, type Essec, ESCP ou HEC, ils recherchent avant tout de bons gestionnaires et l'expérience prend le dessus sur les études.» Ce que confirme Marc Feuillée, du Figaro: «Une carrière dans les médias, c'est d'abord un parcours personnel, car c'est un secteur difficile, très compétitif.»

Restructuration permanente

Le même phénomène de pollinisation des HEC s'est produit dans la publicité durant les années 1980. «Si, aujourd'hui, les jeunes HEC visent Internet, la télévision ou la production, il y a trente ans, tous les diplômés rêvaient de publicité», confirme Louis Vaudeville.
Justement, ce débarquement massif de patrons élevés au grain à Jouy-en-Josas, dans les Yvelines, sera-t-il bénéfique à la presse? Va-t-il produire les mêmes résultats que dans la publicité? Et lesquels? «Un HEC ne fait pas le printemps, relève Jacques Séguéla, vice-président d'Havas. Dès qu'on laisse le pouvoir aux seuls HEC, ils tuent la création. Tant que Publicis a été dans les mains des HEC, l'agence n'a pas décollé. C'est l'arrivée au pouvoir d'Arthur Sadoun et d'Olivier Altmann qui lui a permis de prendre son envol. Dans la publicité ou les médias, ce qui marche, ce sont les doubles commandes: un créatif et un gestionnaire.» Même si le vice-président d'Havas admet que lorsqu'il y a un problème de restructuration, cela devient un métier de financier et de manager. Or, dans certains médias, comme la presse écrite, la restructuration est devenue permanente.

L'opposition entre gestionnaires et créatifs soulignée par Jacques Séguéla fait sortir de ses gonds Xavier Romatet, qui a baigné pendant vingt ans dans l'univers publicitaire, notamment à la tête de DDB: «Les HEC n'ont pas tué la publicité, je trouve que c'est une idée dépassée. Prenez Mercedes Erra, chez BETC Euro RSCG, ou encore Natalie Rastoin, d'Ogilvy, on ne peut pas dire qu'elles nuisent à la créativité. Personnellement, je trouve bien que des HEC travaillent dans un autre secteur que la finance. Et puis, on ne peut pas nous accuser de manquer d'audace, j'ai lancé le magazine GQ alors que tout le monde me le déconseillait et mon prédécesseur chez Condé Nast, Didier Suberbielle, le titre Glamour.»
Enfin, une chose est sûre, si les HEC rejoignent les médias, ce n'est pas pour une affaire de gros sous, car les salaires y sont inférieurs à ceux pratiqués dans d'autres secteurs. En revanche, l'intérêt du produit prime souvent dans leur choix: «Le fait de produire du contenu sera plus attrayant pour un certain nombre de personnes que de vendre des crèmes de beauté ou du nettoyant WC», conclut Louis Vaudeville. Ce ne sont pas les anciens proctériens Rodolphe Belmer et Laurent Storch qui le contrediront.

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