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Ils ont fait leurs gammes lors des premières campagnes électorales sur Internet, où ils ont testé des outils de communication politique inédits. Militants, «geeks» ou observateurs, ils ont mis leur expérience au service de marques.

Ils ont alors vingt-cinq ans en moyenne. Bidouilleurs sur Internet, militants politiques ou pas, ils s'imposent au sein des partis, des staffs de candidats. En 2001/2002, lors des municipales puis de la présidentielle, on en est aux frémissements des «netcampagnes». Pas simple, à l'heure où seuls 17% des foyers français sont connectés, avec des modems en 56K. Mais les candidats ont bien compris l'opportunité de toucher le citoyen directement chez lui ou sur son lieu de travail. C'était il y a dix ans. Depuis, plusieurs ont effectué un parcours flamboyant. Et presque aucun n'a cherché à faire une confortable carrière politique. Bien au contraire... Ils ont préféré devenir netentrepreneurs.


Les militants

 

Ceux-là sont entrés en politique dans leurs jeunes années et ont mis leurs connaissances du Web au service d'un parti ou d'un candidat. Un point d'entrée, même si certains sont ensuite passés par la case entrepreneuriat. L'illustration la plus évidente est le parcours d'Arnaud Dassier. Militant libéral dès ses études sur les bancs de Sciences Po, passé par le cabinet d'Alain Madelin, le fils de Jean-Claude Dassier (ex-directeur général de LCI) s'illustre en montant les premières opérations de buzz politique sur Internet via son agence interactive, L'Enchanteur des médias, créée en 1999. En 2001, il lance le site parodique Gauche-Story.com, Loft Story numérique qui pastiche la gauche plurielle. «C'était des opérations de flibuste menées à titre perso, que les partis n'auraient pas pu faire valider. Renaud Dutreil et David Martinon écrivaient les textes», sourit Arnaud Dassier. Depuis, il a revendu son agence en 2007. Et a décidé d'appliquer ses pratiques professionnelles... à son propre cas, puisqu'il se présente à l'investiture UMP dans l'Oise pour les législatives de 2012.

 

Comme Arnaud Dassier, Bruno Walther, Xavier Schallenbaum et Xavier Moisant ont travaillé sur la campagne en ligne de Jacques Chirac en 2002. Bruno Walther, lui, est encarté à Génération Écologie avant de rejoindre l'équipe de L'Enchanteur des médias en 2000. Xavier Schallenbaum, alors à la cellule Internet de l'Élysée, travaille quelques années aux côtés de Philippe Douste-Blazy, alors ministre de la Santé, puis des Affaires étrangères. En 2010, il crée XS Conseil, agence-conseil en communication, tandis que Bruno Walther cofonde Captain Dash, agence à l'origine d'un service qui mêle marketing et datavisualisation.

 

Xavier Moisant, recruté par Jacques Chirac en 2002 pour monter sa netcampagne, est alors lui aussi un jeune militant, qui a monté le site Web du maire RPR du Havre Antoine Rufenacht, lors des municipales de 2001. En 2002, d'autres jeunes militantes pleines d'avenir lui donnent un coup de main: «Valérie Pécresse et Nathalie Kosciusko-Morizet écrivent des contenus sur l'environnement pour le site», se rappelle-t-il. Mais depuis,virage à 360°, éloigné du militantisme politique: il crée en 2010 une start-up, Gobilab, qui commercialise une gourde écoconçue. À gauche, Olivier Faure et Vincent Feltesse, dans les netcampagnes de candidats PS en 2002, ont poursuivi des parcours plus rectilignes au sein du parti.


David Lacombled, actuellement directeur délégué à la stratégie des contenus chez Orange, a œuvré plus discrètement. Chargé de com' pour François Léotard de 1995 à 1997, il «distribue lors des législatives de 1997 des CD-Rom avec des kits de campagnes pour les candidats UDF», raconte Laurent de Boissieu, journaliste politique à La Croix.

 

Les entrepreneurs de la première heure

 

À l'inverse, ceux-ci s'illustrent dans la netcampagne via leurs propres boîtes. Tout en étant imprégnés d'un certain idéal politique. Un engagement que ne dément pas Alexandre Brachet. Il crée en 1998 son agence interactive Upian et lance en 2001 Présidentielles.net, impertinent site d'infos, émaillé de jeux satiriques en ligne, brièvement relancé en 2006. L'aventure est brève, mais préfigure les médias participatifs qui suivront. Depuis, il s'est imposé dans la production de webdocumentaires, entre reportages bardés de prix (tel Le corps incarcéré) et webdocs institutionnels. Avec toujours un certain militantisme: «J'ai toujours refusé de bosser pour les officines politiques, mais j'accepte des commandes de l'État, du service public, comme la SNCF», précise-t-il.

 

C'est aussi en créant sa boîte début 2007, la Netscouade, que Benoît Thieulin s'immerge dans la netpolitique. Il dirige le département multimédia du SIG en 2001, puis est catapulté directeur de campagne Web de Ségolène Royal en 2006. «La netcampagne avait été tellement innovante, elle m'avait montré comment prendre pied dans le Web social et participatif pour d'autres secteurs», résume-t-il. À son tour, il conseillera les marques sur leur stratégie digitale, en reprenant les bonnes recettes tirées de la netpolitique.


Les observateurs

 

Cette catégorie concerne plutôt une poignée de journalistes ou de chercheurs en sciences politiques. Les uns comme les autres ont pour caractéristique d'avoir glané des pratiques de marketing politique innovantes aux États-Unis dès 1997. Stanislas Magniant, étudiant en sciences politiques, découvre ainsi Internet et la communication politique à Washington en 2000, où il croise des pionniers, tel Steven Clift, spécialisé dans l'e-démocratie. Il cofonde le site Netpolitique.net, sur la com' politique en ligne. Rentré en France en 2002, il intègre alors Publicis Consultants et codirige Netintelligenz à partir de 2005. Il va y appliquer ses connaissances en marketing politique à la communication corporate, avec de opérations telles que le site participatif Debats-Sncf.

 

Du côté des médias, quelques journalistes précurseurs s'intéressent à ces netcampagnes encore confidentielles: Laurent de Boissieu ouvre dès 1999 France-Politique, premier site Web à proposer des ressources politiques, avec sa documentation historique et politique, et les résultats électoraux.

 

Les blogueurs politiques

 

Ils émergent avec les premiers blogs en France, en 2005. Ce sont avant tout des observateurs avides d'expériences Web qu'ils vont eux aussi mettre au service de marques, via leurs propres entreprises. C'est le cas de Nicolas Vanbremeersch: il touche à la politique aux côtés de l'éphémère candidat «Énergies démocrates» Christian Blanc en 2002, et se présente lui-même aux législatives à Paris, puis se révèle en 2005. «Lors du référendum sur la Constitution européenne, on a lancé un blog collectif, Publius, avec Me Eolas [avocat qui tient maintenant son propre blog], Hugues Serraf, où l'on décryptait la campagne», raconte-t-il. Sa notoriété est assurée et contribuera à lui amener des clients institutionnels à l'agence de communication corporate, Spintank, qu'il crée en 2006, tels Areva, Manpower, le ministère de la Défense, ou encore depuis peu Microsoft.

 

De même pour Nicolas Voisin, blogueur précoce (Biologikpolitik, Nuesblog), qui ouvre avec Julien Villacampa, en mars 2006, le Politic'show, blog où il diffuse des interviews vidéo de «petits candidats». De cette expérience au journalisme «augmenté» sur le site Owni.fr, il n'y a qu'un pas. Il crée la société 22 mars en février 2008. « J'ai été pétri de cette expérience de netpolitique, comprendre comment l'audience à laquelle on s'adresse réagit, tester de nouveaux formats, avec une notion d'intérêt général», résume-t-il.

 

Et maintenant? Tous se croisent, conseillent parfois des partis ou des candidats. Sans plus. «On nous a donné une telle liberté sur des campagnes politiques sur Internet, c'était bien plus fort que de faire de la politique. On a préféré utiliser ces outils pour des entreprises», décrypte Xavier Moisant. «On a en commun de croire que le numérique a des capacités de transformation sociale, de mobilisation politique en ligne», ajoute Bruno Walther. Désormais, les netentrepreneurs de la politique préfèrent se mobiliser sur d'autres cibles...

 

 

Encadré
Le marketing politique en ligne avant/après

 

2002: forums de discussion sur les sites de candidats, kits de campagne (tracts, affiches, etc.) téléchargeables, «chats» par vidéo ou sur SMS, dons en ligne, campagnes d'e-mailing, premiers spams par e-mails, jeux et sites parodiques...
2011: blogs de candidats, comptes Twitter qu'ils tiennent personnellement, fanpages Facebook, vidéos partagées sur Dailymotion ou You Tube, etc.

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