Fin 2011, juste avant la trêve des confiseurs, Volkswagen a décrété la trêve des BlackBerry. Le constructeur automobile allemand a signé un accord avec le syndicat IG Metall instaurant outre-Rhin une trêve quotidienne de réception des emails professionnels tous les soirs entre 18h15 et 7 heures le lendemain matin. Un millier de salariés possédant un téléphone de fonction sont concernés.
«La trêve quotidienne est d'ailleurs déjà en vigueur, a expliqué un porte-parole de Volkswagen à l'AFP. En tant qu'entreprise, nous avons besoin des moyens de communication moderne et les utilisons, mais nous avons trouvé cet accord équilibré.» Pendant la trêve, les serveurs informatiques ne dirigeront désormais plus les e-mails de ces collaborateurs vers leurs smartphones. Bien sûr les cadres supérieurs ne seront pas concernés.
L'idée va-t-elle traverser le Rhin et s'imposer, y compris dans des univers ultraconnectés comme la communication et les médias? A priori, il y a peu de chances. «A ma connaissance, il n'y a pas de démarche engagée au niveau interprofessionnel, ni même sur une charte de bonne conduite dans l'utilisation des smartphones de fonction, dit Alexandra Foujanet, secrétaire fédérale CFE-CGC de la publicité. Pourtant, nous sommes perpétuellement connectés et c'est d'autant plus vrai pour les cadres au forfait jour: ils n'ont plus d'horaires, on les laisse autonomes dans leur organisation.»
Une liberté que personne ne souhaiterait remettre en cause. Mais comme dans le même temps, la charge de travail s'accroît d'année en année, les cadres autonomes se retrouvent à devoir inventer eux-mêmes des solutions à ce problème insoluble. Du coup, la sacro-sainte coupure entre la vie professionnelle et la vie privée est de plus en plus grignotée par des tâches de travail. Et leur BlackBerry avec sa diode qui clignote vient leur rappeler en permanence qu'ils ont du pain sur la planche.
Selon Stéphane Amis, président de Fullsix France, si l'utilisation des téléphones portables est en forte croissance, la tendance est plutôt à la modération dans l'envoi des messages en dehors des heures de bureau: «Moi-même, maintenant, je réfléchis à deux fois avant d'adresser un message à 20h30 ou 21h; la décision de Volkswagen devait être une réponse à des comportements abusifs.»
Et puis il y aurait deux principaux freins à l'importation de cette règle en France. De ce côté du Rhin, les horaires de travail sont plus élastiques, donc fermer le robinet de mails à heure fixe serait plus compliqué. Sans compter la question des fuseaux horaires dans les grands groupes mondialisés où il faut pouvoir se connecter au même moment.
Pourtant, le bénéfice d'une telle mesure pour les salariés comme pour l'entreprise serait important. A force d'être en permanence sur la corde raide, la cadre finit par être moins performant, ce qui n'échappe pas aux DRH.
«La trêve Blackberry, c'est une bonne idée pour rompre le fil numérique, on ne peut pas travailler tout le temps, chacun a le droit à un repos réparateur, et puis la quatorzième heure de travail n'est pas aussi efficace que la première», dit Jean-Christophe Sciberras, DRH de Rhodia et président de l'Association nationale des DRH. Mais faut-il une mesure autoritaire? Une charte co-construite avec les principaux intéressés ne serait-elle pas aussi efficace?»
Cela serait aussi une bonne nouvelle pour la santé mentale des salariés: «L'initiative de Volkswagen est intéressante car l'absence de coupure le soir et le week-end est facteur de stress, observe Valérie Langevin, experte dans les risques psycho-sociaux à l'Institut national de recherche et sécurité. Et puis le fait que la direction prenne cette mesure a une dimension symbolique, c'est un signal fort envoyé aux salariés: “Nous souhaitons préserver votre vie personnelle.”»
Au fond, le coup d'arrêt nocturne au flot de mails, décrété par Volkswagen, est sans doute à lire au sens premier du mot «trêve»: «cessation temporaire de tout acte d'hostilité».
