La filière technique de la post-production connait une mutation sans précédent. Son salut se trouve du côté de l’audiovisuel et du web.

Le générique de fin est arrivé un peu trop vite pour les acteurs de la filière photochimique, un secteur qui concerne autant le cinéma que la publicité. Les entreprises qui fabriquaient les copies de films, sous formes de bobines, ont été les victimes collatérales d'une mutation technologique de grande ampleur et ultrarapide: la numérisation des salles de cinéma.

«Le Centre national du cinéma et de l'image animée (CNC) a décrété il y a trois ans un plan d'accompagnement de la numérisation des salles, en y consacrant un fond de 100 millions d'euros, explique Thierry de Segonzac, président de la Fédération des industries du cinéma et de l'audiovisuel et du multimédia (Ficam). L'intention était louable: le CNC redoutait que seuls les grands réseaux puissent s'équiper rapidement et que cela ne fasse flamber le tarif des bobines pour les petites salles, qui se seraient retrouvées en danger.»

Le coup d'accélérateur a été fulgurant: dans quelques mois, 80% des salles seront passées au numérique. Logiquement ,les deux principaux laboratoires spécialisés dans le tirage de copies, LTC, du groupe Quinta Industries, et Eclair, se sont retrouvés en très mauvaise posture. «Eclair a vu son chiffre d'affaires chuter de 30 % en 2010 et de 40 % en 2011», poursuit Thierry de Segonzac. Et LTC, fondée en 1935, a carrément été liquidée, et ses 115 salariés licenciés fin décembre. Depuis, les pouvoirs publics multiplient les réunions afin de leur proposer un plan de reconversion.

Mais chez Quinta Industries (182 salariés en tout), propriété du producteur Tarak Ben Ammar, l'onde de choc a touché l'ensemble du groupe, y compris Duran et Dubois, deux sociétés spécialisées dans les effets visuels numériques et l'animation 3D. Toutes les branches de Quinta Industries sont en liquidation judiciaire. Technicolor vient d'être retenu comme repreneur des autres branches (hors LTC) de Quinta Industries, soit 50 salariés sur 70.

Dans son naufrage, Quinta Industries a failli entrainer plus d'une cinquantaine de films français, en post-production dans ses sociétés. Ce qui a poussé la Ficam à tirer le signal d'alarme juste avant Noël. Parmi ces longs métrages en péril, il y avait le tout dernier Astérix, baptisé Astérix et Obélix, au service de sa Majesté. Les sauvegardes de ces films risquaient d'être perdues si le matériel était saisi par des créanciers. Finalement, la mobilisation des acteurs du secteur a déjà permis de régler la situation d'une trentaine de films.

«Cela pouvait vraiment sentir le roussi si nous ne parvenions pas à récupérer les données, dit Philippe Sonrier, directeur général du studio Mac Guff, l'un des concurrents de Duran-Dubois. Nous avons été chargés de reprendre les effets spéciaux pour terminer le film.»

Selon Thierry de Segonzac, un brin alarmiste, c'est l'ensemble de la filière post-production qui est en sursis, en particulier à cause du dumping fiscal: «En France, le crédit d'impôt est de 20% alors que dans les autres pays, comme la Belgique, il peut monter jusqu'à 40% ou 45% des sommes engagées, précise-t-il. Dans l'Hexagone, il est plafonné à 1 million d'euros, contre 4 millions ailleurs quand il n'est pas totalement déplafonné.» Une distorsion de concurrence reconnue par le ministère de la Culture et de la Communication, qui soutient le relèvement du plafond du crédit d'impôt à 4 millions d'euros.

Problème, la période n'est pas très propice aux nouvelles niches fiscales. Les sommes en jeu sont considérables. Sur le dernier Astérix, la post-production se monterait à 5 millions d'euros. «Sur toute l'activité post-production, nous disposons de relais de croissance importants sur le marché du cinéma, de l'audiovisuel (fiction, documentaire...), de la publicité et du Web. Notre inquiétude porte moins sur les volumes que sur les délais d'adaptation aux mutations», admet Thierry de Segonzac.

«Une trentaine d'entreprises de notre filière sur 180 sont dans une position délicate, poursuit-il, car elles n'avaient pas encore fini d'amortir leur matériel adapté à la pellicule et doivent en acquérir du nouveau. Elles auraient besoin de renforcer leurs fonds propres. J'ai appelé plusieurs fois à la rescousse le fond stratégique d'investissement (FSI), jusqu'ici sans succès.»

La rue de Valois mise sur le lancement de la Cité européenne du cinéma de Luc Besson, à Saint-Denis, en mai prochain, et sur ses équipements de tournages ultramodernes pour attirer des productions internationales. Le paradoxe de cette histoire? L'industrie du cinéma vient de finir une année historique, avec 215,59 millions d'entrées, soit 4,2% de plus qu'en 2010. Et la part de marché des films français serait de plus de 40%. Même sans la bobine du projectionniste, les salles continuent d'attirer les foules.

 

Encadré

 

Mac Guff, un studio dans le vent

 

Le dessin animé Moi moche et méchant et son succès mondial ont profité au studio francilien de post-production Mac Guff. «Dans la foulée, Universal a décidé de racheter notre branche de long métrage d'animation, rebaptisée Illumination Mac Guff», précise Philippe Sonrier, directeur général de Mac Guff. Le studio revendique un chiffre d'affaires en progression de près de 40 % en 2011 par rapport à 2010 (hors Illumination) et compte 90 salariés («intermittents compris», précise le dirigeant), dont une équipe d'une quarantaine de personnes travaille ainsi sur le nouveau Kirikou de Michel Ocelot en 3D.

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