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Nouveaux supports de cours, nouvelles matières, pédagogie plus immersive... Web et réseaux sociaux réinventent les façons d’apprendre.

Ecoles de communication ou de journalisme, même combat! Le défi pour ces établissements ne consiste plus à former à un métier existant, aux contours immuables, mais à préparer à des jobs ou à des façons de les exercer qui n'existent pas encore. Mais comme leurs cursus durent au moins deux ou trois ans, ce laps de temps peut suffire pour qu'un métier disparaisse et que d'autres émergent... Le community manager, par exemple, existera-t-il encore en 2015? Et si oui, sous quelles formes?

Les bouleversements induits par le digital ne se limitent pas aux débouchés à la sortie de l'école. Dans les salles de classes aussi, tout change: matières enseignées, supports de cours, fréquence des mises à jour... Le Web, le mobile et les réseaux sociaux modifient en profondeur les façons d'apprendre. Tour d'horizon des nouveaux programmes.

Plus de prospective

Dans l'environnement de plus en plus mouvant de la communication et du journalisme, la botte trouvée par les établissements pour garder le cap? Tout miser sur l'innovation. En créant parfois un poste de responsable de la prospective pour coller au plus près des nouvelles pratiques, à l'instar de Sciences-Po école de journalisme.

«Nous devons identifier les tendances émergentes car les pratiques journalistiques changent de façons constantes depuis l'irruption du numérique et à un rythme jusqu'ici jamais connu, il nous est aujourd'hui impossible de reproduire les cours d'une année sur l'autre», justifie Bruno Patino, directeur de l'école de journalisme de Sciences-Po et directeur général délégué au développement numérique de France Télévisions. Qui rêverait d'aller plus loin: «Il existe une école de journalisme à Columbia dans le Missouri, qui dispose d'un véritable laboratoire dans lequel les médias ont investi près de 100 millions de dollars. Nous voulons positionner l'école sur cette même voie.»

 

Des cours plus techniques

Pour être toujours plus connectés, ces établissements de formation nouent également des partenariats avec des écoles d'ingénieurs pour s'adjoindre de nouvelles compétences et proposer des cursus plus techniques. D'où un partenariat entre le Celsa et l'école des Mines d'Alès, et la création l'an dernier d'un master en communication et technologies numériques, qui forme des chefs de projets multimédias, comme l'explique Etienne Candel, maître de conférences au Celsa, responsable du master 2 médias informatisés et stratégies de communication.

A la rentrée prochaine, l'école neuilléenne lancera encore un nouveau master 2, baptisé «Innovation et création de contenus médiatiques», qui incitera également les étudiants à mettre la main à la pâte. «Une formation consacrée à la création de contenus de tous types: nouveaux formats, nouvelles façons de communiquer, stratégie Web, détaille Etienne Candel. Les étudiants apprendront à gérer un projet transmédia de A à Z, de la conception, à la création et à la réalisation.»

Du côté des formations au journalisme, le code s'invite également en classe: la mode du data-journalisme (journalisme de données, en français) ne se dément pas depuis l'explosion de Wikileaks, le site de Julian Assange, à l'origine de fuite massive d'informations. Cela incite les écoles à initier les professionnels aux rudiments du développement. «Nous avons mis en place de nouveaux cours dédiés au multimédia – initiation au data-journalisme, référencement... –, explique Christope Deloire, président du Centre de formation des journalistes (CFJ). Mais, au-delà, nous poussons les étudiants à raisonner en mode projet, à bâtir des projets éditoriaux qui peuvent comprendre toutes les formes d'expressions – son, image, texte. Cela bouscule les spécialisations classiques du journalisme: télévision, radio, presse écrite...»

La technologie s'invite également en cours dans les grandes écoles de commerce. En particulier à l'Essec, très en pointe sur la mise à disposition des cours sur tablettes. «Nous avons des ingénieurs pédagogiques qui font le lien entre les professeurs, le contenu et les étudiants, décrit Jean-Pierre Choulet, directeur du pôle systèmes d'informations de la grande école. Et l'on dispose même d'un studio de production de vidéos.»

 

Une pédagogie immersive

En communication ou en journalisme, la question de la production de contenu est plus que jamais centrale. Pour plonger leurs étudiants dans les conditions réelles d'une rédaction par exemple, et faire beaucoup mieux que le traditionnel journal école, qui sortait des rotatives une fois par an, les établissements peuvent encore compter sur le Net.

Transformer son école en média n'a jamais été aussi simple! Ainsi le CFJ a créé en avril 2011 une chaine sur You Tube, baptisée «élections 2012», en partenariat avec l'AFP et Twitter. Tous les candidats à la présidentielle ont été reçus en plateau, avec un dispositif de fact-checking dans les conditions du direct. Des étudiants vérifiaient les informations puis glissaient le résultat de leurs investigations à l'oreillette des intervieweurs. Résultat: un projet motivant au long cours et une audience à faire pâlir de jalousie les vrais médias. «La chaine affiche 30 millions de visiteurs uniques depuis avril et 2,8 millions de vidéos vues, se targue le président du Centre de formation des journalistes. Et financièrement, cela s'est avéré une opération blanche pour l'école.»

Sciences-Po école de journalisme a également créé l'événement avec sa journée «Elle présidentielles», en partenariat avec le magazine féminin, où les candidats étaient auditionnés, là aussi avec une couverture en live.

 

Des forums privatisés

Cette pédagogie immersive se développe également dans l'apprentissage des métiers de la communication. Expérimentation par exemple à Sup Internet, une école qui forme aux métiers du Net : l'établissement a créé des semaines immersives, utilisées notamment pour se roder au community management. «Nous avons réparti les élèves en équipes, et ils devaient endosser le rôle de community managers chargés de défendre un produit pour un éditeur ou un producteur, sur des forums privatisés pour l'occasion, tous les coups étant permis avec pour seules limites, la politique, l'origine, la famille et les vêtements, raconte Yannick Lejeune, directeur de la stratégie et de la pédagogie de Sup Internet. L'exercice, achevé tard dans la nuit, a démontré que dans cette profession, on se retrouve toujours face à des individus qui peuvent nous faire sortir de nos gonds. Ces réflexes professionnels acquis à l'école, limitent les risques de dérailler lors de son premier emploi.»

Plonger les étudiants et l'école dans les réseaux sociaux, telle était la démarche de l'Iscom en créant, il y a deux ans, un réseau social interne, baptisé Campus, pour échanger et partager des documents. Rapidement, c'est devenu aussi un outil d'apprentissage des bonnes pratiques sur les réseaux sociaux. «Il y a eu des petits dérapages de nos étudiants dans les commentaires, et, à l'été 2011, nous avons décidé de mettre en place une charte et de demander à nos délégués de s'impliquer dans la modération», relate Virginie Munch, directrice générale de l'Iscom.

Le réseau social interne permet de mettre en pratique les cours sur la gestion de la réputation, protection de sa vie privée, des traces sur l'Internet... enseignés tout au long du cursus en cinq ans, baptisé création et stratégie digitale. Une initiation aux bons réflexes avant de se lancer dans le grand bain de Facebook ou Twitter, avec cette fois ci un employeur et des risques réels de porter atteinte à sa réputation.

Autre évolution: les matières enseignées. «Le Web donne naissance à des modes de narration différents, poursuit Christope Deloire. Nous avons crée un cours sur la gestion de l'humour avec la journaliste Alix Girod de l'Ain, du magazine Elle. Un autre sur le web-documentaire.»

 

Des Ipads en classe

Une nouvelle révolution s'annonce: celle des supports de cours et de prise de notes. «A l'Essec, nous avons commencé à distribuer des Ipads à nos étudiants en formation continue en 2010, il y en a actuellement 300 en circulation, se félicite Jean-Pierre Choulet. J'avais l'intuition que les tablettes allaient changer quelque chose dans l'animation pédagogique, le partage de documents... Je ne me suis pas trompé: c'est un objet personnel qui appartient à la sphère affective de l'apprenant, le lien s'avère beaucoup plus fort qu'avec un PC froid. là on malaxe l'information avec ses doigts, on l'agrandit ou la rapetisse.»

A l'école de Cergy-Pontoise cela a modifié toute la chaine de production de savoirs. «En changeant de support d'apprentissage, il a fallu adapter également le contenu des cours: reconstruire des contenus adaptés aux tablettes, des vidéos embarquées dans le texte, mettre l'accent sur la qualité graphique et penser une navigation non linéaire.» Même si l'école n'envisage pas encore de généraliser la distribution d'Ipad à l'ensemble de ses 4 500 étudiants, principalement pour une question de coût, certaines écoles de journalisme mettent également des Ipad à disposition de leurs étudiants.

Décidément, le Web et les réseaux sociaux s'immiscent partout. Avec eux, même le classique portrait, exercice roi de la pratique journalistique, peut aussi prendre un autre visage. «En cours d'empreinte numérique, je demande aux étudiants de dresser le portrait de leur voisin de gauche, sans lui parler, uniquement à partir de traces trouvées sur le Web, relate Alice Antheaume, responsable de la prospective de Sciences-Po école de journalisme. Puis de vérifier les informations avec l'intéressé.» Le portrait numérique est sûrement moins fiable! L'honneur est sauf.

 

Encadré

Mise à niveau incognito pour dirigeants

Ni vu, ni connu. La scène se déroule en général le vendredi soir, une fois que tous les salariés sont partis: un jeune stagiaire s'introduit discrètement dans le bureau du PDG. Fric-frac, tentative d'espionnage? Non, cours d'Internet pour les nuls! Le nom de ces programmes de formation incognito à destination des patrons: le reverse mentoring (mentorat inversé en français). De plus en plus de dirigeants optent pour ces leçons qui leur permettent d'apprendre à créer et paramétrer un compte Twitter ou Facebook, ou à utiliser un Ipad... «Nous choisissons en général un jeune stagiaire, issu de la même école que le patron, comme cela, la glace fond plus vite, explique Christophe Biget, directeur associé d'I-Ventures consulting et initiateur de ce concept. Le professeur et l'élève sont tellement loin l'un de l'autre dans la hiérarchie, qu'il n'y a pas d'enjeu et donc pas de tabou.» En clair, le dirigeant peut avouer son ignorance sans risquer d'écorner son image dans l'entreprise. Le cours dure une heure par mois pendant six mois. Et en général le prof-stagiaire est embauché à la fin...

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