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Déstabilisé par l'arrivée de Free, le secteur des télécoms pourrait être tenté d'accélérer la délocalisation des centres d'appels, qui externalisent déjà 40% de leur activité hors de France. Le gouvernement veille au grain.

«Vous êtes bien au ministère du Redressement productif. En raison d'un trop grand nombre d'appels, votre demande va être prise en charge par notre centre de relation clients marocain.» Que les syndicats se rassurent, il s'agit-là d'une pure fiction. Pourtant, en cette rentrée, le standard du ministère d'Arnaud Montebourg menace d'exploser sous le nombre d'appels à l'aide des entreprises en difficulté et des mauvaises nouvelles qui se multiplient sur le front de l'emploi. Parmi les dossiers brûlants: les conséquences de la piètre santé des trois grands opérateurs télécoms et de leurs sous-traitants, les centres d'appels.

Les premiers devraient officialiser dans les prochaines semaines leurs plans de départs volontaires: près d'un millier de suppressions de postes attendues chez SFR et 556 chez Bouygues Telecom. Pas d'annonce pour l'instant chez Orange, qui semble mieux amortir l'arrivée de Free, sans doute grâce au contrat d'itinérance signé avec le nouvel entrant qui devrait lui rapporter deux milliards d'euros d'ici à 2015, selon une estimation de Stéphane Richard, son PDG.

Le débarquement de Free et de ses forfaits à prix cassés a bousculé toute l'économie des télécoms. «Free plonge tout le secteur dans une lutte par les coûts», constate David Targy, directeur des études Xerfi-Precepta. L'onde de choc sera encore plus forte pour les centres d'appels, premières victimes des réductions de coûts. Pour eux, le secteur de la téléphonie représenterait 56% du chiffre d'affaires. En tout, les télécoms et la télévision payante (Canal+, Numericable…) généreraient 25 000 à 30 000 emplois dans les centres français.

Indice inquiétant du mauvais climat: «L'annonce des résultats de nombreux appels d'offres ne cesse d'être reportée», constate un prestataire, qui préfère garder l'anonymat. «Ce n'est pas bon signe du tout», prévient David Targy. Les géants de la téléphonie, pris en tenaille entre la nécessité de redresser leurs comptes et les exigences du gouvernement, ne savent plus sur quel pied danser. Ils préfèrent temporiser et attendre les prises de décision de l'exécutif avant de choisir la moins mauvaise option. Quels que soient les choix des opérateurs, ils seront scrutés à la loupe, dans un contexte où le gouvernement souhaite relocaliser les centres dans l'hexagone.

Si pour des raisons de réductions de coûts, l'un d'entre eux décidait de privilégier un prestataire marocain ou tunisien, ce serait probablement considéré comme une déclaration de guerre par le ministre du Redressement productif. L'affaire du Syndicat des transports d'Île-de-France (Stif) a rappelé à tout le monde la sensibilité du sujet: cet été, le Stif avait retenu le sous-traitant B2S, le moins disant financièrement, pour gérer sa carte Solidarité transport. Cela devait entrainer la délocalisation de quatre-vingts emplois. Le Stif a été contraint de renégocier avec son sous-traitant afin qu'il maintienne les postes en Île-de-France.

Arrêter l'hémorragie vers le Maghreb

Pour l'instant, Bouygues Telecom continue de miser sur les centres d'appels internalisés et plutôt en France: «Nous employons 2 000 salariés dans nos propres centres dans l'Hexagone, et nous en faisons travailler 2 000 chez des sous-traitants, dont une moitié sont délocalisés en Europe et au Maghreb, précise Alain Angerame, directeur de la relation clients de l'opérateur. Le “offshore” répond a un besoin de souplesse, en particulier pour répondre à nos clients le soir ou le dimanche. L'externalisation nous permet de monter des opérations ponctuelles. Ainsi, nous avons mobilisé 300 personnes supplémentaires lors de la modification de la TVA en 2011.»

Le plan de départs volontaires chez Bouygues Telecom ne concerne pas les centres d'appels, l'opérateur devrait néanmoins logiquement réduire son recours à la sous-traitance. Autre donneur d'ordre qui fait exception à cette course à la délocalisation, Canal+: «Lors de notre étude en 2010, le groupe, très à cheval sur la relation client, compte 700 téléconseillers en interne et n'hésite pas à leur offrir une rémunération de base hors norme de 1 800 euros brut, auxquels s'ajoutent le variable», précise le directeur des études de Xerfi-Precepta. Un cas un peu à part bien sûr.

Quant à l'externalisation, autrefois très critiquée par les syndicats, elle n'est plus vraiment un sujet de discussion: près de 40% de l'activité des centres d'appels en France serait aujourd'hui externalisée. Ainsi, SFR ou Orange sous-traitent beaucoup avec la société Teleperformance et consorts. L'enjeu principal est ailleurs: arrêter l'hémorragie vers le Maghreb. Plusieurs milliers de postes sont en jeu. Le Syndicat des professionnel des centres de contacts (SP2C) estimait, il y a quelques mois, les destructions d'emplois consécutives à l'arrivée de Free entre 5 000 et 10 000 en France.

Comme la masse salariale représente 80% des coûts des centres d'appels et les tarifs horaires entre les deux côtés de la Méditerranée varient du simple au double, les opérateurs télécoms font vite le calcul. «Free, par exemple, n'entend pas faire du social, il veut simplement prendre des parts de marché», juge un prestataire. Avec sa méthode: il dispose de plusieurs filiales de centre d'appels en France – Centrapel, Mobitel – et au Maroc  –Total Call –, et compte plus de 50% de ses postes de travail de l'autre côté de la Méditerranée, selon David Targy.

Divers moyens de pression

Comment le gouvernement peut-il agir? Contrairement à d'autres secteurs où il est totalement impuissant, l'Etat a des moyens de pression dans les télécoms, étant à la fois actionnaire du principal acteur (Orange) et surtout arbitre, puisqu'il distribue les licences. «Nous attendons des décisions d'Arnaud Montebourg, qui prépare actuellement un train de mesures pour que les sous-traitants des centres d'appels restent en France», confirme Laurence Barma, secrétaire générale F3C-CFDT.

Le ministre pourrait d'abord réformer le Code des marchés publics, en rendant possible la prise en compte de critères de localisation pour éviter que l'affaire du Stif ne se reproduise. Un critère impossible à inclure dans les appels d'offres du secteur privé. Quant à l'idée d'Arnaud Montebourg de faire payer les appels 20 centimes d'euro (par mois) par abonné pour «relocaliser 10 000 emplois en France», elle semble abandonnée. Pour les opérateurs, le coût du rapatriement des emplois s'élèverait à «plusieurs centaines de millions d'euros».

Le gouvernement pourrait passer un accord avec les grands acteurs des télécoms: il leur assurerait d'abord une totale sécurité juridique et fiscale sur l'ensemble du quinquennat, ce qui leur permettrait d'investir sans aléa. Ensuite, il s'engagerait à les aider à accélérer la mise en place de la 4G, à l'instar de l'accord obtenu par Fleur Pellerin, la ministre déléguée en charge des PME, de l'Innovation et de l'Economie numérique, entre les trois opérateurs pour lancer une expérimentation commune à Saint-Etienne, dès la rentrée prochaine. Plus globalement le gouvernement les aiderait à investir dans la 4G, avec peut être d'autres annonces allant dans ce sens. En échange, l'exécutif voudrait que les opérateurs reviennent sur leurs plans de suppressions de postes et qu'ils s'engagent à créer les nouveaux centres d'appels destinés à la 4G en priorité en France. Il ne parle plus de relocalisations intégrales. Un sujet trop sensible ne serait ce que pour des raisons géopolitiques: obliger les opérateurs à rapatrier tous les centres d'appels dans l'Hexagone pourrait déstabiliser le Maghreb, où le secteur fait travailler 15 000 personnes en Tunisie et 40 000 au Maroc.

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