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Dans les entreprises, le secret fait partie intégrante du management. Il y a ceux qui savent et ceux qui sont maintenus dans l'ignorance. Retour sur un thème abordé au Medef.

«Trop ou pas assez de secret»? Une table ronde de l'université d'été du Medef, qui s'est tenue le 30 août à Jouy-en-Josas (Yvelines), s'est employée à lever un coin du voile sur cette épineuse question à l'heure où les tenants de «l'open data» plaident pour une plus grande transparence des entreprises et des institutions. Selon la grande prêtresse de Secret Story, Virginie Calmels, présidente d'Endemol, le secret est «un des moteurs de la société qui repose sur un rapport ambigu: on conteste le secret des autres et on protège ses propres secrets». Chacun le sait depuis Michel Foucault, le fait d'avoir une information que d'autres n'ont pas est source de pouvoir. Pas étonnant que derrière les enjeux de la transparence se cachent ceux de la gouvernance…

Pour Virginie Calmels, la «tyrannie de la transparence» qu'impose aux Etats et aux institutions un Julian Assange de Wikileaks, par exemple, va de pair avec la perte de confiance envers les dirigeants. Le secret participerait-il d'une défense statutaire d'une hiérarchie? A l'inverse, le nouveau pouvoir né d'Internet et des réseaux sociaux ne tire-t-il pas sa légitimité de sa capacité à partager l'information pour devenir influent et faire triompher collectivement des idées?

La patronne d'Endemol, en tout cas, revendique sans fard le droit à la conservation de ses (petits) secrets face aux chasseurs de révélations people: «Les entreprises doivent conserver leur liberté de révéler à la presse leurs produits, ce qui fait le cœur de leur business», estime-t-elle. Elle prouve d'ailleurs son goût pour la confidentialité en refusant de révéler son salaire, comme l'y invitait le public: «Au nom de la transparence, on stigmatise la rémunération des dirigeants, on livre en pâture des chiffres de personnes physiques dans des entreprises cotées. (...) L'être humain est jaloux.»

Luc Oursel, le président d'Areva, qui pourrait agiter l'étendard du secret au nom de la sûreté nucléaire, fait au contraire de la transparence un devoir. «Il n'y a plus de développement de l'industrie nucléaire dans le monde sans transparence, estime-t-il. Nous communiquons sur tous les incidents et anomalies qui surviennent dans nos installations.» Si sont encore protégés les dispositifs de sécurité sur les sites et les secrets de fabrication, une loi de 2006 impose la transparence sur l'information nucléaire. «Il faut aussi des lanceurs d'alerte pour porter l'information à la connaissance du “top management”, ajoute-t-il. On a un système très structuré et quelques cordes de rappel.»

Porosité grandissante

S'il est un domaine où la frontière entre secret privé et transparence publique n'est pas facile à tracer, c'est bien celui des données sur Internet. Comme le souligne Isabelle Falque-Pierrotin, présidente de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (Cnil), les individus veulent à la fois dévoiler des secrets pour créer des liens ou participer à un contre-pouvoir («open data») et, en même temps, demandent à être protégés des risques liés à une porosité grandissante entre vie publique et vie privée. Pour l'heure, le droit n'a pas clairement fixé les limites et le régulateur doit déterminer «sans idéologie» le cadre de cette relation. «Le secret se fait au bénéfice de certains acteurs qui veulent accéder à des données personnelles pour les valoriser à leur profit», rappelle-t-elle

Gilles Babinet, ex-président du Conseil national du numérique, estime pourtant que l'ouverture des données est inéluctable. «L'environnement numérique est l'occasion de repenser l'interaction des citoyens avec l'Etat», estime-t-il.

En sa qualité de porte-parole du gouvernement et de ministre déléguée aux Droits des femmes, Najat Vallaud-Belkacem est bien placée pour mesurer toute l'ambiguïté du secret. «On sait bien dans les entreprises qu'une part de secret est nécessaire pour avancer. Mais pour servir la cause de l'égalité, il faut tout dire: les secrets des salaires, des harcèlements… car ils se font contre les femmes». Elle appelle à la plus grande transparence sur ces «constructions sociales» qui véhiculent des stéréotypes masculins. Et veut sensibiliser aux bonnes pratiques tout en précisant: «Je ne pense pas qu'on les impose par la loi.»

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