Ressources humaines
Alors que l’on va atteindre le million de ruptures conventionnelles en France, le dispositif fait florès dans les agences et les médias. Problématique.

Un record! En juin dernier, 28 000 ruptures conventionnelles ont été homologuées par les services du ministère du Travail. Un plus haut jamais atteint en quatre ans d’existence: la hausse s’établit à 15% sur un an. Le succès de ce mode de «divorce à l’amiable» ne se dément pas: il y a eu 915 000 ruptures depuis l’origine. Et comme le gouvernement a prévu d’appliquer le forfait social de 20% au 1er janvier à cet outil, il devrait y avoir un afflux de demandes de ruptures conventionnelles d’ici à la fin de l’année. Question: cette dernière est-elle toujours fidèle à sa promesse de départ, c’est-à-dire un instrument équilibré permettant de se séparer sans se déchirer?
à l’épreuve du consentement
«Plan fitness» chez TF1 visant à diminuer de 10% la masse salariale, réorganisation à M6 pour inciter les salariés à bouger en interne et à réduire les coûts, effectifs passant en cinq ans de 120 à 70 salariés dans les services de communication de Lagardèr­e Active, recherche d’économies dans la plupart des agences... Dans ce contexte tendu, la rupture amiable apparaît comme un outil idéal pour se séparer de collaborateurs, discrètement, sans risque de mobilisation des syndicats, avec peu de chances qu’il y ait des suites prud’homales. Le tout sans danger pour l’image d’une société facilement sous le feu des projecteurs. Cette forme d’écrémage est souvent utilisée avant de se tourner, si la situation se dégrade trop, vers un plan de départs volontaires. La consigne du côté des DRH: éviter à tout prix de s’engager dans un plan de sauvegarde de l’emploi (ex-plan social), très lourd.
Seul hic, la rupture conventionnelle est censée découler du consentemen­t des deux parties. Un prétendu équilibr­e quelque peu faussé. «Dans la publicité, il fait très froid dehors, et il y a beaucoup de monde sur le marché, constate Ludovic Delaherche, DG de Human Inside. Du coup, dans les agences, il y a beaucoup de salariés qui refusent de signer une rupture et préfèren­t s’accrocher à leur poste. D’autant que, par gros temps, les séparations vont concerner plutôt les seniors, avec plus de quinze ans d’ancienneté.»
Sous couvert d’anonymat, un journaliste de TF1 abonde: «Deux collègues, proches de la retraite et avec des salaires élevés, viennent de signer une rupture conventionnelle, explique-t-il. Une façon pour l’entreprise d’individualiser la procédure, hors syndicats. Aussi une façon de régler un problème pour les salariés; d’ailleurs certains vivent mieux le fait de signer une rupture conventionnelle que d’être licenciés.»
À M6, une salariée qui a refusé une mobilité en mai et négocié sa rupture estime que c’est «une façon de sortir d’une position inconfortable ou conflictuelle, sans passer par la case tribunal. Mais cela n’exclut pas les angoisses, les rapports de forces. Il faut tenir le coup le temps de la négociation.»
Car la procédure - d’une durée de près de quarante-cinq jours - permet souvent d’obtenir plus que les indemnités légales prévues, qui sont d’un cinquième de mois de salaire par année d’ancienneté, voire d’un tiers dans la publicité. «On négocie un package global et au cas par cas», détaille Xavier Berjot, avocat en droit du travail au sein du cabinet Océan Avocats, auteur de La rupture conventionnelle, le guide pratique (éditions Afnor, oct. 2011). «Un salarié qui a dix ans d’ancienneté peut ainsi percevoir jusqu’à huit mois de salaire en plus de l’indemnité conventionnelle.» Le critère déterminant: qui de l’employeur ou du collaborateur a le plus envie de mettre fin à la collaboration?
Y a-t-il des abus dans le recours à ce dispositif? Il y a suffisamment de garde-fous pour les éviter, assure Pierre Bonneau, avocat en droit social au sein du cabinet CMS Bureau Francis Lefebvre: «Il y a d’abord les syndicats en interne, puis l’administration du travail en externe, qui homologue et donc exerce un contrôle sur la rupture.» Même si la loi ou la jurisprudence ne prévoit pas encore de plafond, par rapport au nombre de ruptures amiables maximum par société, les chances de contrôles par l’inspection du travail augmentent au-delà de dix. «En général, les dirigeants nous préviennent en disant “attendez-vous à ce que l’on demande à des gens de partir”», se livre Éric Diemer, délégué syndical Infocom CGT, Publicis Groupe. Pour lui, ce peut être clairement une façon de contourner les plans sociaux.

 

 

3 questions à... Benoit Roger-Vasselin, DRH du groupe Publicis, président de la commission sociale de l'AACC et du Medef

 

A sa création, quel était l’esprit du dispositif de la rupture conventionnelle ?


Benoît Roger-Vasselin. Avant 2008, il n’existait que la démission, le licenciement économique ou pour motifs personnels. Nous avons inventé avec les partenaires sociaux une rupture par consentement mutuel comme elle existait en droit de la famille.


Dans quel cas de figure est-ce utilisé aujourd’hui?


B.R.V. Il est possible qu’en ce moment les entreprises soient plus tentées de se tourne­r vers les ruptures conventionnelles­. Mais les salarié­s peuvent très bien décide­r de ne pas signer. Vu
le taux de chômage actuel, ils sont certainemen­t moins demandeur­s. Employeurs
comme salariés y recourent, notamment dans les cas où, sans qu’il y ait de reproches,
il existe un désaccor­d persistant entre eux. D’ailleurs si l’on regard­e les statistique­s, on
voit qu’il y a beaucoup moins de licenciement­s pour motifs personnels­ qu’avant. En revanch­e il y a toujour­s la même proportion de licenciement­s économique­s ou de démissions.


Quels sont les garde-fous?


B.R.V. D’abord, il y a un bordereau de rétractation que le salarié (ou l’employeur) peut renvoyer jusqu’à quinze jours après la signature. Pour éviter que le consentement ne soit vicié. En plus, les ruptures ne peuvent pas être trop nombreuses dans une même entreprise. Au-delà de dix dans le trimestre ou dix-huit dans l’année, l’inspection du travail peut diligenter une enquête. Surtout si ces départs ne sont pas remplacés.

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