Ressources humaines
L’arrivée d’un jeune patron à la tête de l’entreprise suscite toujours des craintes parmi les salariés expérimentés.Mais un renouveau juvénile à la tête du management peut très bien se passer

Harry Potter. Tel fut le surnom attribué à Bruno Patino par les équipes de Télérama en 2003 quand, à trente-huit ans, il prit la présidence de la filiale du groupe Le Monde. Plus que sa ressemblance avec le héros de J.K. Rowling, ce surnom soulignait la précocité du nouveau patron de ce magazine quinquagénaire.

«D'autres ont suivi, se rappelle Luc Le Chatelier, journaliste et représentant du Syndicat national des journalistes (SNJ). Bolino par exemple, car il avait des idées toutes prêtes sur tous les sujets et qu'il a vite été mangé par ses multiples responsabilités… Peu présent sur le site, il montrait parfois de l'autorité, mais cela ne marchait pas avec des gens qui avaient une quinzaine d'années de plus, poursuit ce pilier du titre culturel. On avait surtout compris que Télérama lui servait de marchepied dans son plan de carrière.» Ce fut ensuite Le Monde, France Culture et aujourd'hui France Télévisions, où Bruno Patino est directeur général délégué au développement numérique et à la stratégie.

Cette trajectoire résume assez bien la problématique que peut engendrer la nomination d'un jeune dirigeant à la tête d'une entreprise médias ou de communication. A Libération, l'arrivée en mars 2011 du quadragénaire Nicolas Demorand a suscité quelques remous, qui ne se sont d'ailleurs guère calmés depuis. Procès en légitimité, manque d'écoute, suspicion de carriérisme, voire fonctionnement autocratique ou dans sa bulle… tels sont les principaux griefs revenant rue Béranger, au siège du journal, chez les salariés en place depuis plusieurs années.

Un choc des cultures

Heureusement, dans les ressources humaines, «la valeur n'attend pas le nombre des années», comme dit Corneille. A Télérama, la dernière dirigeante nommée, Emmanuelle Delapierre, «se situe à l'inverse, estime Luc Le Lechatelier. Arrivée comme contrôleur de gestion, elle a grimpé dans le groupe. Et, bien que porte-parole de l'actionnaire, son objectif reste a priori que les salariés soient contents de leurs conditions de travail.» L'arrivée d'un tout jeune manager peut même susciter un certain engouement.

En juin 2008, la nomination – très médiatisée – en tant que PDG d'Europe 1 du directeur des sports de Canal+, Alexandre Bompard, alors âgé de trente-cinq ans, «a été bien prise, surtout par les jeunes de la radio, mais aussi par certains anciens», se remémore un cadre. Pour ce journaliste qui, en vingt ans de maison, a vu passer une succession de patrons rue François 1er, «cette jeunesse était même perçue comme un atout, car il se montrait proche et dynamisait les équipes, donnait vraiment envie de le suivre». Et ce, malgré un niveau d'exigence assez élevé et «le traumatisme des premières semaines, puisqu'il a viré les gens à l'antenne le week-end et les directeurs de l'information Jérôme Dorville et Benoît Duquesne». Sauf que, deux ans plus tard, la rumeur persistante de son départ avorté pour prendre la tête de France Télévisions est venue rompre cette apparente harmonie avec les salariés et l'actionnaire. Et elle a conforté les quelques chevronnés qui voyaient dans cet énarque, surnommé «Pentium 12» à ses débuts, un manager rapide ne s'inscrivant pas dans la durée. Plutôt «un mercenaire présent pour une mission de trois ans».

«Une situation intergénérationnelle représente souvent un choc des cultures, explique Emmanuelle Borrits, coach et consultante indépendante. D'autant que, par le passé, les anciens transmettaient un savoir. Avec les nouvelles technologies, des jeunes peuvent pour la première fois apprendre aux plus âgés.»

Etre dirigé par plus jeune que soi? C'est au premier chef une réalité qui, sitôt connue, amène à un questionnement sur son propre parcours dans l'entreprise au regard de son âge. D'où l'importance de bien gérer la façon dont on communique en interne sur ce jeune patron: «Le recrutement d'un dirigeant se fait soit pour son image, soit pour son savoir-faire métier, soit pour son savoir-faire managérial, analyse Anne-Dominique Chauvin, consultante du cabinet de coaching Eliantis Partners. Avec les jeunes dirigeants, ce sont les deux premiers motifs. Mais, si les actionnaires jugent d'abord sur l'image, un manager est mieux accepté par les salariés quand il est recruté pour le savoir-faire métier.»

Se pose en effet la question de sa légitimité qui, quel que soit le niveau de fonction, passe d'abord par la démonstration de ses compétences, par les performances. «Les trentenaires ou quadragénaires ne sont plus dans le système d'appareil, c'est-à-dire la cour, les manigances…, décrypte Jean-François Moine, consultant expert en communication managériale. Avec eux prime le résultat, contrairement à avant où l'on se concentrait sur l'effort produit.» Et, à les entendre, ils s'appliquent à eux-mêmes ce principe. Pour Louis Dreyfus, nommé à moins de quarante ans président du directoire du Monde en décembre 2010, «le fait de pouvoir afficher des résultats rapidement et pas que des réductions de coûts, de créer un magazine comme M Le Monde et de nouveaux cahiers suppléments ont été des signaux bien interprétés». Par le personnel sans doute, par les actionnaires sans aucun doute.

Cultiver un contact sans affectation

Les salariés doivent également prouver leur valeur ajoutée, relèvent les consultants interrogés. D'autant qu'à un certain niveau, leur historique n'est pas toujours bien perçu. «Il est compliqué de transformer l'entreprise avec des personnes déjà en place qui vont devoir détricoter ce qu'elles ont fait, contredire les discours qu'elles ont tenu par le passé», estime ainsi le patron du Monde, qui a renouvelé en grande partie les directions des filiales.

Globalement, il s'agit, dans les mois qui suivent la prise de fonction, de «gagner la confiance par le travail, mais aussi par la communication, en montrant ce que l'on sait faire et en adoptant une posture relationnelle», résume le quadragénaire Patrick Lara, venu fin 2011 pour prendre l'un des postes de direction de Publicis Conseil, rejoignant ainsi un autre jeune patron, Arthur Sadoun, quarante et un ans, président de Publicis Conseil et directeur général de Publicis Wordlwide. La nature des relations qui s'établissent entre le jeune patron et les collaborateurs va principalement instaurer le climat futur. Surtout que «nous évoluons dans des métiers de communication», souligne Patrick Lara.

Toujours branché sur Twitter, Louis Dreyfus refuse une approche statutaire de sa fonction. Il cultive le contact direct et personnel, sans affectation. «Si je veux être efficace, je dois percevoir les problèmes, justifie-t-il. Je ne peux pas être un président avec cinquante niveaux hiérarchiques entre moi et les salariés.» Chez Publicis Conseil, «l'approche hiérarchique doit intervenir en dernier recours, estime Patrick Lara. Car le principal capital d'une agence réside dans les équipes qui la composent. Il faut être à leur écoute, faciliter le travail transversal, voire communautaire, solliciter l'expérience… Une bonne idée peut venir d'une personne de vingt ou de cinquante ans. D'ailleurs, je n'arrête pas de leur dire que je n'ai pas la science infuse.» Une preuve de sagesse, déjà.

 

 


Verbatims

«Il préferera négocier»

Jean-François Moine, consultant expert en communication managériale, intervenant dans le groupe de formation Cegos

Ces jeunes managers veulent aller vite, rêvent de réformer, alors que dans le système culturel français, le changement signifie souvent danger et précarité, à la différence du monde anglo-saxon, où il est perçu comme une opportunité. Il faut s'adapter et avoir un comportement plus direct, synonyme d'engagement. Un jeune manager préférera négocier avec un collaborateur plutôt que de le voir se soumettre pour mieux se «déballonner». S'il observe de l'honnêteté, et même s'il y a des erreurs, il sera plus tolérant pour rattraper le coup. Les anciens salariés n'ont pas forcément de difficulté avec lui, à la condition d'être humainement respectés.

 

«Il faut être cohérent et transparent»

Emmanuelle Borrits, coach consultante indépendante, intervenant dans le groupe de formation Demos

Le collaborateur doit se comporter en adulte, respecter son manager, car il est coresponsable de la relation qui les lie. Il peut amener le dirigeant à élaborer une charte des valeurs importantes pour chacun et leur associer le comportement attendu. Il faut être transparent et cohérent, en disant ce que l'on fait, en faisant ce que l'on dit et en disant également ce que l'on ressent. On parle d'alliance managériale. Le salarié ancien doit revisiter sa culture, accepter d'aller vers une dissociation entre l'âge et l'expérience. Mais, en France, la croyance que l'âge est lié aux responsabilités reste vivace.

 

«Ils ne savent pas partager»

Anne-Dominique Chauvin, consultante du cabinet de coaching Eliantis Partners.

Les jeunes dirigeants sont dans le mouvement et maîtrisent les nouvelles technologies. Avec pour corollaire d'être dans l'immédiateté, dans le temps présent, à contrario des collaborateurs, qui attendent des perspectives de leurs responsables. La question à se poser réside donc dans la nature de leur autorité. Celle-ci doit se baser sur une vision large, à 360 degrés. Or, ils restent souvent centrés sur leur statut, sont encore dans la compétition et ne savent pas toujours partager tant les responsabilités que les succès.

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