Ressources humaines
Faut-il créer un département digital ou intégrer des spécialistes du web dans tous les services? Les choix stratégiques divergent.

Ils sont une cinquantaine d'O.S. du digital à avoir emménagé début novembre dans les nouveaux bureaux de la digital factory de Renault, au Plessis Robinson (92). Cette «usine» numérique dirigée par Patrick Hoffstetter a une double mission: «Nous sommes à la fois un centre d'expertise, pour définir la stratégie groupe, mais aussi un centre opérationnel: nous produisons des plates-formes pour le Web, les mobiles ou les tablettes et accompagnons les directions pays dans le digital.»

 

Les digital factory à la mode Renault vont-elles se généraliser dans les grands groupes? Ou les entreprises continueront elles à privilégier des organisations classiques plus timorées, où le digital dépend du marketing? Quels modèles vont s'imposer en 2013?

 

«Pour beaucoup de groupes, Internet n'est qu'un canal de plus, ils l'intègrent donc logiquement à la direction marketing», explique Fabrice Cavarretta, professeur de management et d'entrepreneuriat à l'Essec. Une tendance corroborée, selon Patrick Hoffstetter, par ses alter-ego du digital: «Au sein de l'e-G10, club des patrons du digital de grands groupes (L'Oréal, LVMH, Danone...), l'architecture la plus prisée - dans huit cas sur dix - c'est le rattachement d'une petite équipe digitale au directeur marketing», note-t-il.

 

Un mariage de raison entre gestion de la marque en ligne et par les canaux classiques. «Cela aboutit à un panachage des équipes entre digitaux et non digitaux, CRM et e-CRM, on et off», détaille Perrine Grua, directrice générale du cabinet Aquent.


Un modèle qui a d'autant plus cours dans les sociétés de grandes consommations où le marketing est roi: «Ces équipes intègrent cette compétence afin de compléter leur mix média, confirme Damien Crequer, directeur associé du cabinet Taste. Ce schéma ressemble à ce qui s'est passé avec les directions médias intégrées dans certaines directions marketing il y a dix ans.»


Selon Jean Valentin, directeur de l'agence Extrême, cet organigramme a du sens car ce qui donne la bonne orientation au digital ce sont les études du comportement des clients. Logique donc de relier le digital au marketing. Pour autant, est-ce que ce modèle dominant se révèle vraiment le plus efficace?

 

Le principal risque est de voir l'innovation phagocytée par les équipes existantes, les lourdeurs et process bien établis. «Le digital, on voudrait toujours qu'il se développe au sein de la structure car on pense qu'il va apporter quelque chose à l'organisation, analyse Fabrice Cavarretta. Le problème c'est que l'on sait que l'innovation risque à terme de cannibaliser le produit existant, du coup les équipes en place vont être réticentes à favoriser son développement, et préfèreront bien souvent s'investir dans les tâches quotidiennes. D'autant que cette activité ne produira pas toujours de résultats visibles avant plusieurs mois, voire plusieurs années.»

 

D'où le choix de certains groupes de créer des petites équipes, autonomes, rattachées directement au directeur général. Viadeo a décidé de prendre cette option pour développer à grande vitesse son pôle mobile (lire le sous-papier). Certaines sociétés sont même allées plus loin en créant une filiale indépendante: c'est le cas de la SNCF avec Voyages SNCF.com. Un choix isolé mais un succès incontestable. Est-ce que la même structure aurait réussi à devenir le premier site marchand en chiffre d'affaires en grandissant dans le giron de la SNCF? Pas sûr du tout.

 

«Il faut comparer une équipe digitale naissante à un tout petit bébé que sa mère serait obligée de protéger d'un environnement hostile», illustre Fabrice Cavarretta. Lui créer une sorte de pouponnière interne serait une façon d'accélérer sa croissance.

 

Les mêmes choix cornéliens se sont posés dans les médias: «Ces groupes ont fait un certain nombre d'allers-retours entre les modèles organisationnels ces dernières années avec cette question fondamentale: faut-il intégrer ou isoler l'activité numérique? remarque Patrick Behar, associé senior, responsable du pôle médias chez Bain & Company. Dans un premier temps, il est très difficile de développer le digital dans le giron très étouffant d'une rédaction traditionnelle. Mais le même problème se pose au commercial, au marketing.»

 

Que ce soit pour les médias ou les entreprises classiques, il ne peut s'agir que d'un modèle transitoire. «Le fait d'avoir un département digital n'est pas une solution pérenne, à l'instar de ce qui s'est passé avec la qualité: il a fallu créer une direction qualité pour que tout le monde s'y mette. A la fin elle ne demeure en place que pour quelques process particuliers», poursuit le professeur de l'Essec.

 

A un moment il faudra donc libérer ses profils digitaux dans l'entreprise, avec pour but qu'ils diffusent leurs bonnes pratiques. «Il y a dix-huit mois, en arrivant chez Renault, j'ai annoncé que ce serait un succès le jour où la digital factory disparaîtrait, dit Patrick Hoffstetter, en plaisantant à moitié. L'objectif d'ici à trois ans est d'aboutir à une équipe plus réduite, davantage concentrée sur la stratégie et la coordination.»

 

Voilà pour les changements visibles. En parallèle se déroule une transformation des organisations souterraine: «Il y a le réseau et le rhizome, nous éclaire Stéphane Hugon, sociologue, fondateur d'Eranos, la principale révolution du 2.0 est managériale et relationnelle. C'est la remise en cause d'un système pyramidal, dominant depuis 200 ans. Et l'émergence de modèles plus horizontaux.»


Cette révolution a un nom, rappelle David Guillocheau, directeur associé de Talentys: «Il s'agit de la “Wirearchy”, une organisation informelle basée sur les connexions virtuelles qui n'a plus rien à voir avec l'organigramme officiel... D'ailleurs certains brillent davantage dans les réseaux sociaux qu'en réunion, une forme de leadership numérique.»

 
sous-papier

 

Viadeo se dote d'une force d'action rapide mobile

 

Pour réussir le virage du mobile, le réseau social professionnel Viadeo fait le choix de se doter d'une business unit mobile. A sa tête, une figure du Web: Michel Meyer, qui a fondé la communauté Multimania et la plateforme de vidéos Kewego. Arrivé en août chez Viadeo, il a le titre de chief mobile officer, une équipe et un budget qui lui est consacré. «Nous devions créer de nouveaux usages et applications, et le faire très vite, relate Michel Meyer. Si nous nous étions reposés sur les équipes internes, ils auraient dû faire cela en plus de leurs missions quotidiennes, cela n'aurait pas été la priorité et cela aurait pris plus de temps.» Michel Meyer dispose aujourd'hui d'un département de 25 personnes, réparties pour moitié en Chine et en France, mais qui doublera dans les prochains mois. «On s'inspire de la méthode de “Lean Start-up”, qui permet de lancer plus rapidement une société ou un produit, avec des process raccourcis, détaille-t-il. Le fait de disposer de son propre budget, de ne pas perdre des semaines pour obtenir des validations est aussi crucial.»

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