Ressources humaines
Dans la publicité les charrettes nocturnes ont longtemps fait partie du paysage. Est-ce encore le cas? Quels sont les risques juridiques pour les agences? Enquête.

Un coup de semonce. La mésaventure arrivée à l'agence de design White Spirit risque de donner des sueurs froides à de nombreux dirigeants d'agences. Le 8 octobre dernier, la cour d'appel de Paris a condamné White Spirit à verser plus de 300 000 euros à deux salariés qui s'estimaient lésés pour non-paiement d'heures supplémentaires, comme l'a révélé la lettre professionnelle Design fax. Pour prouver leur présence démesurée au bureau, les collaborateurs ont produit des échanges de mails, ce qui a convaincu la cour d'appel, plus sévère que le conseil des prud'hommes (qui avait réclamé 45 000 euros à la PME). La facture s'est révélée trop salée pour l'entreprise de six salariés, mise en liquidation fin octobre. Les heures supp' sont pour les agences une véritable bombe à retardement. Et un casse-tête avec l'abrogation de la loi Tepa (voir encadré). Les horaires sont-ils aussi extensibles qu'avant dans la publicité? Quels sont nouveaux risques pour les agences?

 

«Si tu ne viens pas samedi, pas la peine de revenir dimanche!» Surannée, l'expression avait cours dans la publicité dans les années 1980 et 1990, quand passer ses nuits à l'agence était tendance. Aujourd'hui tout le monde s'accorde à dire que le travail nocturne a perdu de sa superbe. Cette preuve de réactivité vis-à-vis des clients, et même de créativité, est moins prisée aujourd'hui. Certains patrons revendiquent même le contraire. «Depuis cinq ans, on fonctionne plutôt sur des horaires à l'anglo-saxonne (9h-19h), en évitant les charrettes et les débordements le week-end, se targue ainsi Frank Tapiro, président de l'agence Hémisphère droit (25 salariés). Je ne veux pas ressembler aux clichés de la publicité.» Un cas isolé? Pas si sûr. Même le syndicaliste Laurent Quintreau, secrétaire général du Betor Pub CFDT, reconnaît qu'il y a une certaine maturité des entreprises du secteur par rapport à la gestion du temps de travail: «Si les gens terminent à 21 heures, c'est déjà beaucoup, ils finissent beaucoup moins tard que dans les années 1980.» Ce que confirme Olivier Breton, président de l'agence All contents, 24 salariés: «Fini les nuits entières, le métier s'est structuré et en partie dématérialisé, chez nous il y a des gens, même à des niveaux hiérarchiques élevés, qui travaillent chez eux.»

Toujours selon le syndicaliste, cette question s'est davantage normalisée dans les groupes: «Comme il y a des délégués du personnel ou syndicaux, si les gens dépassent les horaires, cela se régule», dit Laurent Quintreau.
Impossible d'affirmer que les charrettes ont disparu, car bon nombre de structures continuent à fonctionner sur ce modèle. «Si certaines agences devaient payer toutes les heures supplémentaires effectuées depuis dix ans, elles devraient mettre la clé sous la porte», persifle, en off, un dirigeant.

Une attitude de plus en plus risquée car la justice est devenue intransigeante sur le sujet, comme le prouve la décision de la cour d'appel concernant White Spirit. La Cour de cassation a même posé comme principe une obligation de contrôle par l'employeur du nombre d'heures effectuées, même pour un cadre autonome, en forfait jour (arrêt du 29 juin 2011).
Ce n'est peut être pas un hasard si, comme le confirme l'Association des agences conseils en communication, des négociations sont en cours à propos du temps de travail dans la branche de la publicité.


Encadré

 

Très chères heures sup'
Le gouvernement a décidé en juillet de revenir sur la loi Tepa, avec trois conséquences sur les heures supplémentaires (au-delà de la 35e heure). Primo, depuis le 1er août dernier, elles ne sont plus défiscalisées, cela sera visible sur la déclaration d'impôt sur les revenus 2012. Secundo, depuis le 1er septembre, les cotisations salariales sur les heures supplémentaires ne sont plus exonérées, ce qui a un impact direct sur les salaires nets. Tertio, les cotisations patronales ne sont plus exonérées pour les sociétés de plus de 20 personnes. Dans certaines agences, comme All contents, cela donne lieu à des négociations pour compenser le manque à gagner pour les salariés, estimé entre 100 et 300 euros.

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