Ressources humaines
Gestion des réunions, relations sociales, rapport à la hiérarchie… De chaque côté du Rhin, les pratiques divergent. Comparaison à l'occasion du cinquantenaire de l'amitié franco-allemande.

«Les Français n'aiment pas les Allemands mais les respectent; Les Allemands aiment les Français mais ne les respectent pas.» Cette citation de Brigitte Sauzay, l'interprète de François Mitterrand du temps des grands sommets franco-allemands, résume bien les relations de voisinage entre les deux peuples au travail, selon Marie-Laure Sauty de Chalon, PDG d'Aufeminin.com (dont l'actionnaire est Axel Springer). Cinquante ans après la signature du Traité de l'Elysée qui scellait l'amitié entre les deux nations, nos styles de management s'opposent toujours dans l'entreprise. En un demi-siècle, les économies ont eu beau se mondialiser et se financiariser, les mêmes outils et processus de gestion se sont même imposés à Berlin ou à Paris, et pourtant les différences culturelles demeurent importantes dans le management. Tour d'horizon.

 

Relations sociales. «La première chose qui peut choquer un manager qui arrive d'Allemagne ce sont les relations syndicales, constate Rolf Heinz, président de Prisma Média. Le patron est perçu comme le méchant, et les rapports employeur/représentants du personnel sont très souvent sur le mode de la confrontation. A l'inverse, en Allemagne un DRH peut être à l'écoute, un soutien pour un salarié.» Plus de défiance, plus de difficulté à dialoguer, à dessiner des solutions communes, concertées...

 

Outre-Rhin, délégués syndicaux et salariés auraient une conscience économique plus forte, qui les conduirait à faire primer l'intérêt collectif. «Dans les entreprises allemandes, les partenaires sociaux sont même parfois plus exigeants que les dirigeants pour mener à bien des réformes utiles», souligne Philippe Carli, aujourd'hui directeur général du groupe Amaury, après avoir présidé Siemens France et la chambre de commerce franco-allemande. Du temps où il sillonnait ce pays, il en avait adopté les coutumes locales : «Quand j'allais visiter des centres de production ou de R&D, je rencontrais systématiquement le responsable du site et le président du comité d'entreprise.» Une habitude peu répandue dans nos zones industrielles.

 

Rapports hiérarchiques. Dans ce domaine, il y a encore un décalage entre les deux côtés du Rhin aux dires des dirigeants que nous avons interrogés. «Les managers allemands sont plus transparents, plus directs dans les relations, au point que cette façon de communiquer, de faire passer les messages, peut sembler un peu brutale à un Français, juge Rolf Heinz. Ici, il y a plus de politesse, une dimension plus cérémoniale, parfois un peu formelle. Une importance plus grande accordée à la gentillesse, au respect dans les relations».

 

Deux styles assez différents, même si dans ce domaine, au-delà de la nationalité, la personnalité du manager joue également. Au fil de ses vingt ans passés à la tête de la chaîne franco-allemande Arte, Jérôme Clément avoue qu'il s'est converti à cette façon de manager : «En France, on fait savoir par quelqu'un d'autre que l'on n'est pas content, j'ai appris à être beaucoup plus direct», admet-il.


Autre caractéristique des sociétés allemandes, l'omniprésence de codes masculins qui valorisent le chef au niveau des comités de direction. «Il y a très peu de femmes à des fonctions de management, dénonce Marie-Laure Sauty de Chalon. Ils ont un temps de retard par rapport à nous sur ce sujet et, là-bas, pour réussir, les femmes doivent faire beaucoup de sacrifices, jusqu'à renoncer à avoir des enfants.»

 

Organisation du travail. «Dans les groupes allemands, les réunions sont planifiées sur toute l'année et annulées seulement en cas d'extrême nécessité, détaille Philippe Carli. Elles démarrent à l'heure et sont très bien tenues.» Vu de Paris, bien sûr, cette organisation au cordeau peut sembler étonnante, voire un peu inquiétante : «Même lors des conférences via Skype, les Français ont un mal fou à commencer à l'heure», sourit Marie-Laure Sauty de Chalon. D'autant que cela ne s'arrête pas là. «La préparation des réunions obéit à un système collégial, chacun a un rôle très précis, il y a des discussions pour aboutir à une position commune, poursuit Jérôme Clément. Quand une décision est prise, on s'y tient.» A l'étape de la concertation, il y a une vraie recherche du consensus et chacun peut exprimer son point de vue.


Globalement processus et organisation sont plus rigoureux dans les structures germaniques. «Il y a un meilleur cadre de travail et, du coup, l'habitude des Français de surfer par rapport aux instructions les exaspère», note, amusée, Marie-Laure Sauty de Chalon. D'ailleurs, en dehors des réunions de brainstorming prévues dans l'agenda il y a peu de place pour le débat d'idées. «Les Français sont plus libres par rapport à ça, au point que cela peut sembler un peu chaotique à des Allemands», complète Rolf Heinz.


Enfin, les différences institutionnelles auraient aussi un impact sur la façon de conduire les hommes selon l'ex-président d'Arte, Jérôme Clément : «Les référents en matière de management ne sont pas les mêmes : les Français ont toujours un Etat central dans la tête, contrairement aux Allemands habitués au fédéralisme et aux Länder. D'ailleurs, je n'ai jamais réussi à faire comprendre aux ministres de la Culture ou Premiers ministres français qu'il ne servait à rien d'essayer d'appeler le cabinet de Schröder ou Kohl pour parler d'Arte; là-bas, la Chancellerie n'a aucune prérogative sur l'audiovisuel. Cela relève de la compétence des Länder.» Une situation qui prévaut dans l'univers très collégial de la télévision publique, à la différence des entreprises privées où l'organisation hiérarchique et pyramidale a encore de beaux jours devant elle. Dans la concertation.

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