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L’explosion médiatique du représentant syndical CFDT d’Arcelor Mittal Florange vise à donner une autre vision du syndicalisme: plus proche du terrain, moins centralisateur. Décryptage.

Il a fait un tabac. Invité de l'émission de Laurent Ruquier On n'est pas couché sur France 2 le 7 avril dernier, Edouard Martin, le délégué syndical de la Confédération française démocratique du travail (CFDT) d'Arcelor Mittal, a séduit sur le plateau comme du côté de l'audience, puisque l'émission a rassemblé plus de deux millions de téléspectateurs. Un score qu'elle n'avait pas réalisé depuis plusieurs semaines. Le syndicaliste assure la promotion de son ouvrage Ne lâchons rien. Contre l'économie cannibale (éditions Le Cherche-Midi, 128 pages, 11,50 euros), qui raconte cinq années de lutte contre la fermeture des hauts-fourneaux. Comment s'explique le succès médiatique de ce fils d'immigrants espagnols, simple figure locale du syndicat? La surexposition d'un leader de proximité est-elle une aubaine pour la CFDT? Ou ne risque-t-elle pas de faire de l'ombre à sa centrale et à son nouveau leader depuis novembre dernier, Laurent Berger?

Edouard Martin a tout du «bon client» pour les médias. D'abord une «belle gueule» que l'on croirait sortie d'un western des années 1950. Son sens de la petite phrase, avec des sorties comme celle adressée fin novembre à Arnaud Montebourg, ministre du Redressement productif, alors qu'il venait visitait son campement de métallos dressé devant Bercy: «J'espère que la merguez mangée il y a un an avec monsieur Hollande ne me restera pas sur l'estomac.»

La vraie rencontre avec les médias a lieu le 25 février 2012. Nous sommes en pleine campagne pour la présidentielle. Quelques mois plus tôt, Lakshmi Mittal, PDG d'Arcelor Mittal, a annoncé la fermeture définitive des hauts-fourneaux de Florange, en Moselle. Le candidat François Hollande décide de venir rencontrer les ouvriers en grève dans la circonscription d'Aurélie Filippetti. Edouard Martin, à la tête du syndicat majoritaire local se retrouve logiquement en première ligne. «François Hollande est arrivé, accompagné par 100 à 150 journalistes. Comme on a très bien compris que lui, comme les candidats, se servait de nous pour se faire élire, on a décidé en retour de se servir d'eux, reconnaît en toute franchise Edouard Martin. J'ai aussi vite intégré le fait que les journalistes recherchaient des phrases et images chocs.»

C'est lui qui incite François Hollande à monter sur une camionnette syndicale pour s'adresser à la foule, en espérant un renvoi d'ascenseur quelques mois plus tard. Le 6 décembre, il s'exprime avec des sanglots dans la voix lors d'une conférence de presse, quand il apprend une mauvaise nouvelle (l'entreprise se retire du projet européen Ulcos): «Cela faisait seize mois que nous étions en lutte, que je subissais les pressions, faisais face aux déceptions, j'ai craqué». Fin décembre, il repart au combat en adressant une lettre ouverte au président François Hollande, parce qu'il s'estime trahi par lui.

Une aubaine pour le syndicat

Le syndicaliste explique avant tout son bon contact avec les médias par son expérience de terrain. «Je n'ai pas fait de médiatraining. Si je suis à l'aise avec la presse, c'est avant tout parce que je suis militant depuis vingt-cinq ans: j'ai l'habitude de parler en public, en étant pédagogue», juge-t-il. Sa courte expérience (six mois) de chargé de communication de l'usine de Florange n'y est pas non plus pour grand-chose, selon lui. En revanche, Edouard Martin s'il a débuté à dix-huit ans dans la sidérurgie, aime la littérature: «J'adore lire et écrire, j'ai étudié les grands auteurs, de Balzac à Voltaire, en cours du soir

Il crève l'écran? C'est là plutôt une aubaine pour la CFDT. Ses dirigeants en effet, de François Chérèque à Laurent Berger, ne sont pas vraiment des bêtes de scène, des figures charismatiques. Plutôt des techniciens et lobbyistes, chargés de faire avancer les gros dossiers avec les partenaires sociaux et le gouvernement. Du coup, l'émergence d'une star de proximité arrive à point. «Sur le dossier Mittal, on travaille de concert, dit Patrick Pierron, secrétaire national en charge de l'industrie. En revanche, Edouard Martin ne nous a pas prévenus de la sortie de son ouvrage, il n'avait pas à le faire. Logique qu'il bénéficie d'une aura nationale, en tant que militant exemplaire qui mène un combat pour sauver l'emploi. Et puis, il porte une image de la CFDT très positive, dans le combat mais constructive.» Cela tombe à pic car il y a un an, la CFDT a repensé son image (logo, slogan, etc.). Le nouveau message, «S'engager pour chacun, agir pour tous», va comme un gant à Edouard Martin. Le jeu en vaut donc la chandelle pour les dirigeants de l'organisation, même si ce leader de proximité leur entame du temps de parole et leur fait de l'ombre dans les grands médias nationaux.

Est-ce que cela va déclencher un boom des adhésions à la centrale syndicale? «C'est bon pour l'image. En revanche, l'impact en termes d'adhésion n'est pas automatique», nuance un cadre de la confédération. L'ultramédiatisation d'Edouard Martin aurait-elle pu être instrumentalisée par la CFDT? «Je me demande si la confédération ne se sert pas de son exemple pour montrer qu'elle occupe bien le terrain, décrypte Dominique Andolfatto, professeur de sciences politiques à l'université de Bourgogne, auteur de l'ouvrage Les Syndicats en France (La documentation française, nouvelle édition avril 2013). Il n'a pas pu écrire sans l'aval de la confédération. Je pense qu'il est indirectement coaché par eux.» Edouard Martin s'en défend: «Même si nous sommes délégués syndicaux, nous sommes des hommes libres. D'ailleurs mon destin, comme celui de tout leader local, une fois que le cas Florange aura été réglé, sera de disparaître des médias…»

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