numérique
Pour mieux recruter, évaluer les collaborateurs ou encore améliorer les conditions de travail... les applications du big data en termes de RH sont infinies. Enquête.

«Le big data est dans tous les esprits! Après avoir envahi le marketing et le commercial, le sujet intéresse maintenant les directeurs des ressources humaines des grands groupes, constate Jean-Luc Moisan, consultant expert en RH chez IBM. Mais il n'y a pas encore de best practices [meilleures pratiques], nous sommes dans une phase de créativité, où l'on cherche à inventer les applications.» Une chose est sûre: le big data est promis à un bel avenir dans la gestion des collaborateurs.

C'est dans ce but que le géant IBM a acquis il y a un an Kenexa, un éditeur américain de logiciels spécialisé dans la gestion des ressources humaines. Kenexa réalise tous les ans 23 millions d'enquêtes auprès des entreprises sur l'engagement et la performance des collaborateurs et dispose du coup d'une très grosse base de données. Une mine d'or à l'heure du big data.

En France nous n'en sommes qu'au début de l'organisation de la collecte des données: «L'acquisition des datas est encore aujourd'hui peu structurée dans les sociétés, note Jean-Noël Chaintreuil, directeur associé de Digidust. Les groupes sont en train de mettre en place une vraie politique de gouvernance des datas RH.» En quoi le traitement et l'analyse massive des données peuvent être utiles aux DRH? Quels usages peuvent-ils en retirer dans le recrutement, la gestion des talents ou encore l'amélioration de la performance de leurs collaborateurs?

 

LE RECRUTEMENT. La première application qui semble évidente pour les technologies big data c'est le recrutement: face à un déluge de candidatures, l'analyse approfondie des données pourrait apporter des solutions permettant de mieux gérer ce flux. «Nous avons un système rigide de qualification des compétences basé sur les diplômes et certifications, dit Gilles Babinet, co-fondateur de Captain Dash. On essaye de faire coïncider offres et besoins, en force, avec des gants de boxe. En théorie, le big-data devrait permettre de profiler des bases d'offres et de demande de façon optimale. Si je suis “designer” bilingue allemand, cela permettra d'accroître mes chances de trouver un poste correspondant.»

Les perspectives sont gigantesques. Les sites d'emplois utilisent déjà des algorithmes très complexes, tout comme les réseaux sociaux. «Aujourd'hui, le big data nous permet de proposer aux recruteurs des outils de tri, quand ils recherchent des candidats, dit Olivier Fecherolle, directeur de la stratégie et du développement de Viadeo. Nous leur suggérons des mots clés pour affiner les résultats, nous leur donnons les moyens de mieux naviguer à travers nos bases.» Le réseau social dispose d'un département «business intelligence» qui travaille à créer des plateformes entre ses différentes bases. «Aujourd'hui, l'analyse de données est aussi utilisée par les grandes entreprises pour s'assurer de la véracité des diplômes avant une embauche définitive, dit Jean-Noël Chaintreuil. Demain, ce contrôle pourra aller plus loin: l'historique des expériences, des compétences acquises, par exemple...»

 

LA FIDELISATION. Autre sujet sur lequel le big data pourra apporter des solutions : la fidélisation des collaborateurs. «Prévenir les départs, les démissions des talents clés qui coûtent chers aux entreprises, poursuit Jean-Noël Chaintreuil. L'analyse croisée des données ressources humaines, des questionnaires remplis par les candidats démissionnaires, et encore des tendances sur les réseaux sociaux internes, peut permettre de mieux comprendre les causes de départs. Et aussi améliorer le suivi des nouveaux arrivés, le fameux "on-boarding".»

Fidéliser les collaborateurs, cela passe aussi par l'amélioration des pratiques RH et conditions de travail. Là encore, le big data offre de nouvelles perspectives aux entreprises. «Par exemple en matière de bien-être au travail, les sociétés se contentaient de comparer leurs propres résultats d'une année sur l'autre, note Mickaël Loeuille, manager RH au sein du cabinet Kurt Salmon. Avec le big data, elles pourront bientôt s'étalonner par rapport à d'autres groupes du même secteur, de la même taille...» Idem en matière de pratiques managériales ou d'interactions au travail. Aux Etats-Unis, cela peut aller jusqu'à demander aux collaborateurs de porter des boîtiers électroniques pour mesurer leurs déplacements, le ton de leur voix, le nombre d'échanges avec les collègues... (cf. supplément Big data à Stratégies n°1729). La société Sociometrics solutions qui commercialise ce boîtier auprès de clients, comme Bank of America, a ainsi fait un lien entre les interactions des salariés avec leurs voisins de bureau et leur productivité.

 

L'EVALUATION. En France, l'évaluation des compétences et personnalités s'accélère avec le big data. «Nous devons faire face à une demande colossale par rapport au savoir être, aux potentiels des individus», dit Stéphane Amiot, directeur de l'éditeur de tests psychométriques SHL, qui dispose d'une base de 30 millions d'évaluations [assessment] par an dans le monde, avec des informations comme le métier, le niveau de responsabilité... «Nous pouvons proposer à nos clients d'auditer une population, de commerciaux par exemple, et de les comparer par rapport aux résultats des tests des commerciaux en Europe, détaille Stéphane Amiot. Cela permet de repérer une surreprésentation de certains traits de caractères: analytiques par exemple. Et de s'interroger avec l'entreprise sur l'explication.» Avant, dans les groupes, l'analyse portait sur le Top 50 ou 60 des dirigeants. Avec le big data SHL travaille désormais sur le Top 3000 des entreprises...


Interview

«Les recruteurs pourront utiliser Linkedin mais pas Facebook»

 

Emile Gabrié, adjoint au chef du service juridique de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL), expose les limites posées à l'utilisation massive des données au profit des RH.

 

La CNIL va renforcer la protection des données personnelles dans les prochains mois. Quelles conséquences en matière de RH?

Emile Gabrié. Oui, d'ici à la fin de l'année nous affirmerons une position claire concernant l'utilisation massive de données, notamment publiques, sur Internet. Cela portera aussi bien les annuaires, les moteurs de recherches de personnes, les sites d'annonces et de recrutement... bref tous ces sites qui aspirent des données. Nous recommanderons par exemple de n'utiliser dans le monde du recrutement que les données relatives à la vie professionnelle. En clair: les cabinets de chasse de têtes qui recourent massivement au Web pour trouver et sélectionner des profils pourront utiliser Linkedin mais pas Facebook.

 

Les internautes ne sont pas assez informés des risques?

E.G. Des grands réseaux sociaux comme Linkedin ou Viadeo ont des politiques d'utilisation des données éprouvées, avec une information claire des internautes. En revanche, c'est moins le cas sur les plus petits réseaux. Là, les personnes se rendent moins compte des risques. Et puis il y a le cas de tous les sites Internet classiques sur lesquels sont stockées des données. Par exemple le site d'une association sportive. Du coup nous pourrions demander à ces sites d'apposer une mention informant les internautes des risques par rapport à l'utilisation de leurs données personnelles.

 

Jusqu'où peuvent être utilisées des données pour contrôler l'activité d'un salarié?

E.G. Le code du travail ne pose pas d'interdiction et la CNIL n'interdira jamais aux entreprises de mettre en place des outils pour gagner en vitesse et productivité. A condition toutefois de respecter un principe de proportionnalité: il faut trouver un juste équilibre entre meilleure productivité et vie privée du salarié. Il faut également que ce dernier soit informé au préalable de tout contrôle de son activité, de la finalité et des critères sur lesquels il sera évalué: nombre de contrats signés, chiffre d'affaires généré, mails envoyés... Enfin, l'employeur devra l'avertir du traitement des données qui servira à cette évaluation.

Suivez dans Mon Stratégies les thématiques associées.

Vous pouvez sélectionner un tag en cliquant sur le drapeau.