Un projet de loi maigrelet qui ne sera examiné au parlement qu'en 2014, une nouvelle mission confiée à un député… Le gouvernement peine à réformer l’auto-entreprise.

La montagne a accouché d'une souris. Le projet de loi réformant le statut de l'auto-entrepreneur présenté en conseil des ministres il y a une quinzaine de jours, est finalement bien maigrelet. Or, il était attendu avec fébrilité par les nombreux auto-entrepreneurs qui exercent dans les médias et la communication: qu'il s'agisse de pigistes dans la presse, d'attachés de presse freelance, ou encore de créatifs adeptes de ce statut pour des missions ponctuelles... Selon les chiffres de l'Insee, 6% des 377 000 auto-entrepreneurs «économiquement actifs» en 2012, soit 22 200 personnes, sont en activité dans le secteur des services, notamment l'information et la communication.
Surtout, le projet du gouvernement fait l'impasse sur la question centrale du débat: celle des seuils. En effet les auto-entrepreneurs sont soumis, selon leur secteur d'activité, à des plafonds annuels de chiffre d'affaires: 32 600 euros dans les services et 81 500 euros dans le commerce. Or, la ministre déléguée au Commerce et à l'Artisanat, Sylvia Pinel, avait prévu d'abaisser le plafond des professions de services (artisanat et professions libérales), à 19 000 euros. Rien n'est finalement indiqué dans le nouveau projet de loi. «Nous avons prévu de fixer ce seuil par décret», a-t-elle précisé lors de sa conférence de presse. Pourtant ce sujet est déterminant dans ce statut car le nouveau texte prévoit que l'auto-entrepreneur basculera en régime général si «le montant annuel de chiffre d'affaires ou de recettes est supérieur, pour la deuxième année consécutive...». Pourquoi ne pas avoir tranché cette question une fois pour toutes? Ce seuil sera-t-il réellement abaissé? Si oui, quelles seront les conséquences pour les auto-entrepreneurs concernés?

 

Les «poussins» veillent au grain

Sans doute échaudé par la mobilisation des «pigeons» à l'automne dernier (voir encadré), le gouvernement a, cette fois-ci, préféré temporiser. Le Premier ministre Jean-Marc Ayrault a confié une mission de médiation au député PS, de la Côte-d'Or, Laurent Grandguillaume. Ce dernier a jusqu'à la fin décembre pour recevoir les parties en présence et apaiser les esprits. Car les «poussins», sortes de cousins à plumes des «pigeons» défendant les auto-entrepreneurs, veillent au grain. Leurs représentants ont d'ailleurs mené un intense travail de lobbying pendant l'été pour faire reculer la ministre, Sylvia Pinel. Ce qui a sans doute incité le Premier ministre à lancer une mission de médiation. D'ailleurs, le projet de loi ne sera pas examiné par le parlement avant début 2014, et donc pas avant que la commission Grandguillaume ne rende son rapport. «Le Premier ministre a déjugé Sylvia Pinel en créant cette mission. Il espère remettre du liant autour de la table, et parvenir à renouer le dialogue entre les protagonistes», dit un fin connaisseur du dossier.

 

«Trouver des points de convergence»

Du côté des auto-entrepreneurs comme Isabelle*, attachée de presse freelance, la question du seuil s'avère fondamentale: «Aujourd'hui, je réalise moins de 30 000 euros nets par an de chiffre d'affaires. Je suis à la tête d'une toute petite entreprise et n'ai pas l'intention de grandir ou d'embaucher. Si ce nouveau seuil est adopté, j'arrête mon activité. Ce n'est pas viable du tout, explique-t-elle. J'ai opté pour ce statut car je ne pouvais pas rester dans le circuit classique des postes en CDI. Qu'est-ce qui est prévu pour des gens comme moi qui vont se retrouver sans activité? En plus en tant qu'auto-entrepreneur, je ne cotise pas au chômage.»

Pour le député Laurent Grandguillaume il n'y a pas de sujet tabou: «La question des seuils sera forcément abordée, car tout est lié, et nous devons trouver des points de convergence. Le fait que le gouvernement soit prêt à modifier son projet, à l'améliorer, est positif, et mon rôle est de favoriser la liberté d'entreprendre en limitant les abus.»
Les mouvements de défense des auto-entrepreneurs rencontreront bientôt ce médiateur. Et continueront à ferrailler au sujet du seuil: «Il y a un nombre important d'auto-entrepreneurs qui génèrent un chiffre d'affaires compris entre 19 000 et 32 000 euros. Or, leurs entreprises ne seraient pas viables si elles basculaient dans le régime de droit commun, affirme François Hurel, président de l'Union des auto-entrepreneurs. Je préférerais une solution différente: établir un distinguo entre les auto-entrepreneurs du secteur de l'artisanat et du bâtiment susceptibles de poser problème (25 % d'entre eux), et tous les autres.» Le représentant de la Fédération des auto-entrepreneurs (Fedae) et des «poussins», Grégoire Leclercq, entend aussi continuer à batailler: «Nous tenons à notre régime, et passer de 32 000 à 19 000 euros de plafond nous empêcherait de faire grandir nos sociétés, car le seuil de rentabilité des auto-entreprises se situe plutôt à 28 000 euros de chiffre d'affaires.» Pour eux, le combat continue.

 

(encadré)

La création d'entreprise, un bourbier pour la gauche

Il y a d'abord eu la mobilisation des «pigeons», ces dirigeants de start-up remontés contre la décision du gouvernement d'alourdir la fiscalité des plus-values de cession de leur entreprise. Un mouvement qui a pris une ampleur telle que le gouvernement a fini par revoir sa copie. Pour caresser les «pigeons» dans le sens des plumes, l'exécutif a même organisé des «assises de l'entrepreneuriat» fin avril à l'Elysée. Mais en parallèle, la ministre du Commerce et de l'Artisanat, Sylvia Pinel, tente depuis près d'un an d'encadrer le statut des auto-entrepreneurs. Là encore, une manœuvre risquée en termes d'image, ce qui a sans doute conduit le Premier ministre à édulcorer le projet de loi et à lancer une mission de médiation.

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