L'annonce de Microsoft d'accompagner 300 000 jeunes vers le numérique s'inscrit dans un mouvement important de mécénat des sociétés technologiques. Le numérique peut-il vraiment sauver les quartiers défavorisés ?

«Accompagner 300 000 jeunes vers le numérique d'ici à 2017». La convention signée par Alain Crozier, président de Microsoft France, le 28 janvier dernier, dans les locaux de son incubateur (Microsoft Ventures), avec François Lamy, ministre délégué chargé de la Ville, ne manque pas d'ambition. L'idée: s'appuyer sur le numérique pour s'attaquer au chômage de masse dans les quartiers défavorisés, et en particulier aux 140 000 «décrocheurs» qui sortent du système scolaire chaque année. Deux jours plus tard, Fleur Pellerin, ministre déléguée à l'Economie numérique, lançait officiellement la «french-tech», un programme gouvernemental destiné «à faire de la France une start-up nation».

Si les initiatives se multiplient dans ce domaine, les jeunes des quartiers défavorisés ont-ils pour autant de réelles chances de monter dans ce train du digital?

Première certitude: leurs attentes sont très fortes vis-à-vis de ces nouveaux métiers. «Dans les zones urbaines sensibles (ZUS), 77 % des jeunes souhaiteraient travailler dans le secteur du numérique (créateur de site internet, développeur d'applications, créateur de jeux vidéo, etc.), constate Hugues Cazenave, président d'Opinion Way, qui a réalisé le sondage pour Microsoft. C'est dix points de plus que pour l'ensemble des jeunes.» Et ils sont quatre sur cinq à être attirés professionnellement par le numérique et ses outils.

Les acteurs de terrain aussi sont convaincus de l'utilité du numérique. «Ce qui m'a sauvé il y a dix ans, c'était le rap, aujourd'hui le numérique pourrait jouer ce même rôle, espère Rost, artiste rappeur, président de Banlieues actives et vice-président de Banlieues numériques, événement organisé fin novembre dernier avec Syntec Numérique pour promouvoir le développement du digital dans les quartiers. Même si ces jeunes ne se disent pas naturellement: “C'est un domaine pour nous”. Car il n'y a pas assez de modèles et ils ne peuvent pas se projeter.»

Rejetés bienvenus

Dans ce contexte, toute initiative est bonne à prendre. Avec Youth Spark, Microsoft entend donc aider 300 000 jeunes sur trois ans «en leur permettant d'acquérir les compétences, les outils et le réseau nécessaires à la révélation de leur potentiel et à leur insertion dans l'emploi.» Qu'il s'agisse d'actions de sensibilisation et d'initiation aux métiers numériques, à la programmation, de soutien aux écoles de la deuxième chance en matière numérique... Par exemple, 500 jeunes issus de quartiers prioritaires rejoindront prochainement la classe immersive de programmation de Microsoft à Issy-les-Moulineaux (92).

Orange est aussi engagé dans ce domaine: «D'abord en recrutant beaucoup de jeunes issus des quartiers défavorisés, parmi les 5 000 jeunes en alternance que nous prenons dans le groupe, détaille Bruno Mettling, le DRH d'Orange France. Au global, 800 salariés d'Orange sont tuteurs de jeunes issus de ces quartiers. Et puis nous participons au programme “nos quartiers ont des talents” et “Capital filles”».

Il y a encore beaucoup de travail: 37% des jeunes dans les zones urbaines sensibles (contre 29% des jeunes) ont le sentiment d'être perdus face aux évolutions rapides des technologies. Pour combler ce fossé, la seule solution, c'est la formation. Et les initiatives se multiplient: comme l'école 42, créée par Xavier Niel et qui a ouvert en novembre dernier.

«Dans l'économie classique, ces jeunes-là n'ont pas leur chance, pour de mauvaises raisons, regrette Nicolas Sadirac, directeur général de l'école. A l'inverse, dans le numérique, comme les règles du jeu ne sont pas les mêmes, ils ont toutes leurs chances! Et je dirai même que les jeunes rejetés du système éducatif, tôt, donc moins marqués, nous intéressent. En effet, avec le numérique, nous basculons dans un monde d'artistes et il y a, dans ces quartiers, une bonne partie des génies de demain.»

Opération marketing?

Ce cursus est gratuit, tout comme la Web Académie, lancée avec l'Epitech (Groupe Ionis) qui est aujourd'hui présente à Paris et Lyon mais devrait essaimer dans les autres régions de France. «Nous formons des techniciens qualifiés du monde du Web, précise François-Afif Benthanane, fondateur de Zup de co, et de la Web Académie. Sans la mobilisation des grands groupes, comme Microsoft ou Orange, l'école n'existerait pas: 90% de mon budget provient des entreprises. L'Etat fait preuve d'inertie dans ce domaine.»

Et ça marche! Muriel Surmely, qui avait quitté le système scolaire à 16 ans, a bénéficié de ce programme: «J'étais passionnée d'informatique mais on m'a orientée vers un BEP secrétariat.» A 24 ans, elle s'est relancée dans les études et vient d'être embauchée en CDI par Microsoft, au terme d'un stage d'un an. Il y a un effet boule de neige, selon Nicolas Sadirac: «A chaque fois que nous formons un informaticien de très haut niveau, créatif, innovant, il génèrera à son tour, dix à quinze emplois.»

Si Gilles Babinet, «digital champion» auprès de la commissaire européenne Neelie Kroes, et auteur de Ere Numérique, un nouvel âge de la connaissance (Editions Le Passeur), croit à ces dispositifs, il est plus dubitatif par rapport à l'annonce de Microsoft si elle se résume à de l'autopromotion à bon compte: «Ce chiffre de 300 000 sent furieusement le marketing, et cela me rend circonspect.» Cela pourrait être aussi interprété comme un signe de bonne volonté adressé au gouvernement, un an après un redressement fiscal important, de 52 millions d'euros.

Pour l'instant dans les quartiers, les effets bénéfiques du numérique sont malheureusement minimes. «Le digital ne correspond qu'à une part très faible des créations d'entreprises que nous accompagnons», conclut Joël Pain, directeur général de Planet Finance. En banlieue, le numérique n'est pas encore un eldorado, mais il pourrait le devenir...

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