Nouveaux jobs, nouvelles expertises, méthodes de ventes revisitées… les régies font leur mue. Enquête.

«Un quart de nos métiers chez Amaury Médias n'existaient pas il y a cinq ans!, souligne Marianne Siproudhis, présidente de la régie, qui compte 260 personnes. Et si l'effectif est quasiment le même qu'en 2009, plus de 60% des salariés actuels n'étaient pas dans l'entreprise, à ce moment-là.» L'ampleur du renouvellement des équipes en dit long sur les transformations auxquelles ont été confrontées les régies ces dernières années. Idem au groupe Le Monde: «Si les effectifs sont stables depuis trois ans (une centaine de personnes), un tiers d'entre eux exercent des compétences totalement nouvelles», dit Corinne Mrejen, directrice générale de M publicité.

Il faut dire que les régies ont dû digérer plusieurs révolutions successives. Dernière d'entre elles, et sans doute la plus violente: le real-time bidding (RTB, système d'enchères en temps réel sur Internet) avec les ad-exchange (plateformes d'intermédiation). Mais en parallèle il y a eu aussi l'explosion de la big-data, le développement du pluri-média (tablettes, smartphones), du brand-content (contenu de marque), l'émergence du native-advertising... A chaque fois, cela commence par une phase d'observation. «Comme à l'arrivée du RTB, il y a plus d'un an, les régies ont commencé par se figer, et il y a eu un arrêt brutal des recrutements, constate Romain Voinis, consultant sur les fonctions digitales au sein du cabinet Taste RH. Depuis juin 2013 les embauches ont repris mais cela concerne des profils différents.» Car tous ces bouleversements les obligent à repenser leur métier, leur organisation et jusqu'à leurs méthodes de ventes...

Trois révolutions

«En quelques années, nous avons dû faire face à trois révolutions: des marques, des contenus et des technologies..., résume Aurore Domont, présidente du Figaro Médias (172 salariés). Maintenant nous ne vendons plus un canal, mais une marque globale et des solutions plurimédias, afin de brancher une plateforme de marque-annonceur à notre plateforme de marque-média.»

Bien sûr, cela a des conséquences en termes de métiers: «Il a fallu investir dans le marketing pour comprendre le parcours des lecteurs sur les différents supports de la marque Figaro.» La régie dispose d'une équipe digitale d'une douzaine de personnes qui travaille sur les ad-exchange, mais elle a aussi embauché trois patrons de marques «360°», deux spécialistes du brand content (issus d'agences médias) et recrute actuellement un directeur des opérations (très techno, issus d'agences digitales ou d'un pure-player).

M6 Publicité vient aussi de se diversifier en créant «Unlimited Content», une structure de production de contenus en marque blanche dirigée par une ancienne de Yahoo, Michèle Benzeno. Elle démarre avec dix personnes dont un responsable «user experience», un «Web designer», des chefs de projets éditoriaux et deux «content planners» (Stratégies n°1756).

Chez Amaury Médias (260 personnes), la tendance est au «digital first» même si cela ne représente que 20% du chiffre d'affaires, selon Marianne Siproudhis, la présidente de la régie: «Nous avons réuni tous ces spécialistes dans un même département de 24 personnes, qui a doublé de taille en un an. Il y a des experts multiplateformes: Web, mobiles, tablettes...» En octobre dernier, la régie a créé Amaury Médias Publishing, chargée de développer son activité de brand content.

A Lagardère Publicité (450 salariés), où un plan de départ volontaires vient d'être annoncé - la suppression de 67 postes avait été annoncée en octobre -, les compétences ont aussi largement évolué. Ce que confirme Alix Pandrea, directeur général adjoint de la régie, en charge, notamment du digital: «Il y a aujourd'hui une trentaine de personnes qui travaillent sur le digital, soit quinze commerciaux, une dizaine d'experts du trafic et de l'évolution du digital, et cinq personnes sur le marketing de l'offre et le développement de nouveaux projets. Leur mission consiste également à nous guider, afin de comprendre où va le marché.»

Parmi les profils techniques recherchés dans les régies, Pierre Cannet, PDG du cabinet Bluesearch constate une forte demande pour des profils analytiques, de types yield-manager ou revenue manager, et pour des trafic managers. Autre enjeu: qualifier les profils d'audiences, afin de pouvoir commercialiser des segments spécifiques (les fans de jeux vidéo, les trentenaires...). Si c'est souvent un prestataire «data» qui fait le job, cela a des conséquences sur les métiers. «Au développement commercial, nous avons deux personnes chargées de développer cette offre data», explique Alix Pandrea.

Constat partagé par Marianne Siproudhis: «Nous mixons les campagnes de communication avec des datas sur des profils précis, là nous nous rapprochons des méthodes du marketing direct.» TF1 Publicité est aussi engagé dans la voie de la diversification des compétences: «Le profil parfait à mes yeux, maîtrise à la fois les aspects télévisuels et digitaux, dit Laurent Eric Le Lay, le directeur général la régie. Nous sommes de plus en plus plurimédias pour répondre à toutes les demandes des clients.»

Plus techno, plus marketing

Pour sa part, M Publicité a également accueilli beaucoup de nouvelles expertises: «Notre cellule d'innovation, M expériences (opérations spéciales, brand content, native advertising) compte 7 personnes, n'a pas cessé de grossir et ça va continuer», remarque Corinne Mrejen. M Publicité mise aussi sur une cellule marketing de sept personnes: «Elle est chargée de piloter et d'analyser les données, mais c'est du marketing très orienté business», précise la présidente de la régie.

Mais la mue la plus importante touche les vendeurs eux-mêmes et leurs techniques commerciales. «Il faut désormais partir du client, savoir l'écouter, et cela demande beaucoup d'humilité, note Laurent-Eric Le Lay. Et seulement dans un second temps être capable de lui proposer une solution innovante.» Une vision partagée par Guillaume Astruc, directeur d'IP France (125 salariés): «Nous sommes davantage dans une démarche de conseils vis-à-vis de nos clients-annonceurs que dans une démarche de vente. Cela induit une évolution des profils qui vont se rapprocher de ceux des ingénieurs commerciaux.» A la fois plus technos et aussi plus forts en marketing.

Philippe Schmidt, directeur exécutif de Prisma pub (160 salariés au global), insiste lui aussi sur cette transformation: «Le commercial devient consultant et doit être capable de répondre avec un savoir-faire marketing/conseil, pour trouver la bonne solution de communication (page, display, opération de contenus...). L'état d'esprit de ces nouveaux talents: être capables de faire face à la complexité et être collaboratifs.»

 

- Sous papier: Vis ma vie en mode digital:

En immersion! Depuis mi-octobre, soixante salariés de la régie du Figaro ont participé à l'opération Vis mon job: «L'idée est de permettre à des collaborateurs issus d'équipes plutôt marquées presse de passer une journée dans l'entité digitale», détaille Aurore Domont, Une façon de transmettre le virus du digital et d'accélérer le transfert de compétences.
A TF1 Publicité (270 personnes), le directeur général, Laurent-Eric Le Lay, mise aussi sur la formation: «Nous avons entrepris un énorme travail afin de développer les compétences des collaborateurs en digital, qu'ils proposent des solutions pluri-médias, plus créatives...»
Des programmes massifs aussi du côté d'Amaury Média ou de Lagardère Pub: «Il y a très régulièrement des formations digitales pour les équipes off-line de la régie au e-marketing, réseaux sociaux...», détaille ainsi Alix Pandréa.

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