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Bruno Mettling, le directeur général adjoint, en charge des ressources humaines de l'opérateur télécom, passe en revue tous les sujets sociaux, qui font l’actualité de l’opérateur.

Appelé à la rescousse en 2010 alors que France Telecom-Orange sortait d'une tempête sociale, et cherchait à tourner la page de la vague des suicides, Bruno Mettling est arrivé en même temps que Stéphane Richard, le pdg de l'opérateur. A l'origine, ce diplômé de l'IEP d'Aix-en-Provence a mené une grande partie de sa carrière dans les ministères (finances, travail, équipement, ville...), et en particulier au cabinet de Dominique Strauss-Kahn, alors ministre de l'économie et des finances. En 1999, Bruno Mettling rejoint les Caisses d'épargne, puis en 2004, devient directeur général adjoint à la Banque Fédérale des Banques Populaires, avant d'arriver chez Orange. Aujourd'hui directeur général adjoint de l'opérateur, il lui reste des défis importants à relever: résister à la concurrence de Free et de SFR-Numericable sans trop de casse sociale, relancer la mobilité dans ce groupe de 170 000 personnes (100 000 en France) et mener à bien l'adaptation du groupe au digital sans plan de départs...

 

 
Quel est le climat social aujourd'hui chez Orange?

Bruno Mettling. L'entreprise est globalement apaisée: dans notre baromètre interne, plus de 90% des collaborateurs nous disent travailler dans des conditions meilleures ou tout à fait comparables à celles des autres entreprises de ce pays. Ils ne sont plus que 3% à déclarer le contraire contre 18% lors de la sortie de crise. Néanmoins, nous restons attentifs. Nous sommes dans un contexte compliqué, Orange doit faire face à un choc économique: le groupe a ainsi vu son Ebitda baisser de 1 milliard d'euros en 2013. Nous devons donc nous adapter même si nous avons fait le choix de ne pas faire de plan social en nous appuyant sur notre démographie naturelle. Il y  aura 20 000 départs à la retraite d'ici à 2020. Nous ne remplacerons que très partiellement les départs: un sur quatre environ pour les 2 prochaines années. Entre 2013 et 2015, cela représentera tout de même 4400 recrutements en CDI.

 

La mobilité interne reste un sujet délicat chez vous? 

B.M. Le baromètre nous indique deux sujets sur lesquels nous devons progresser: d'abord les parcours professionnels, en offrant davantage de perspectives de mobilités. C'est pourquoi, nous avons  adopté un plan de relance de la mobilité, en dix points. Nous mettons ainsi à disposition de tous les collaborateurs un outil, baptisé «mon itinéraire», qui leur permet de visualiser l'intégralité des postes disponibles  autour d'eux et les compétences nécessaires. L'autre sujet sur lequel nous devons progresser concerne le sentiment d'équité et de transparence dans la rémunération. Nous venons de ce point de vue de signer un accord sur les augmentations salariales avec les partenaires sociaux qui prévoit, outre un budget moyen de 1,8% de la masse salariale pour 2014, plusieurs dispositions pour répondre à cette attente.

 

Comment fonctionne votre binôme avec Stéphane Richard?

B.M. Nous avons une vision commune: les performances économiques et sociales ne peuvent être opposées. Plus précisément, la performance économique doit se conjuguer avec  la qualité sociale. Cela se traduit concrètement par le fait par exemple que nous nous adaptons en matière d'emploi mais sans faire de plan social même si cela doit prendre plus de temps, que nous pratiquons la modération salariale qui se traduit depuis deux ans par le gel des 200 plus hautes rémunérations de l'entreprise mais aussi par la garantie du maintien du pouvoir d'achat des premiers niveaux de salaires de l'entreprise.

 

Mi-mars, l'observatoire du stress et des mobilités forcées d'Orange, alertait sur un nombre élevé de suicides dans le groupe (dix) depuis le début de l'année?

B.M. Au début de l'année, nous avons déploré une recrudescence de suicides dans l'entreprise. Nous analysons chacune de ces situations avec la plus grande attention. Des enquêtes de CHSCT sont en cours afin d'identifier un lien éventuel avec l'environnement au travail.

 

Le rachat de SFR par Numéricable va-t-il changer la donne pour Orange?

B.M. Le marché français est très déstabilisé depuis l'arrivée d'un 4e opérateur (NDLR: Free). Au-delà de l'objectif de baisse des prix dont on peut dire qu'il a été atteint dans ce pays, il faut aussi penser investissement et emploi dans un secteur stratégique pour notre avenir collectif. Cette consolidation va dans le bon sens même si nous serons très attentifs aux conditions de sa mise en œuvre.

 

En termes d'image employeur auprès des étudiants, les «GAFA» (Google, Apple, Facebook, Amazon) dament le pion à Orange...

B.M. Nous ne prétendons pas être Google ou Microsoft, des sociétés qui fascinent non sans raison les étudiants mais nous avons regagné les places d'avant la crise auprès des étudiants d'écoles d'ingénieurs et de commerce. Orange figure dans le Top 30 des employeurs préférés des élèves ingénieurs (26e au classement Trendence 2014) en France. Par ailleurs nous sommes la seule compagnie reconnue «top employeur» en Europe et en Afrique, et bientôt en Asie.

 

Quels sont vos atouts pour attirer des jeunes?  

B.M. Aujourd'hui les jeunes rejoignent Orange car c'est une entreprise du numérique, internationale qui recrute en contrat à durée indéterminée, au cœur des territoires. Ils ne rentrent plus chez nous pour faire toute leur carrière mais ils  nous demandent une certaine visibilité, cinq ou six ans, ce qui conduit à leur parler aussi du  deuxième poste. Nous avons ainsi mis en place un dispositif, «Orange graduate programme» pour les hauts potentiels, qui prévoit  systématiquement une première expérience d'un an au contact de nos clients avant la prise d'un deuxième poste.

 

Les groupes comme le vôtre ne sont-ils pas trop gros pour s'adapter aux exigences de cette génération digitale?

B.M. En 2020, les moins de 30 ans d'aujourd'hui seront majoritaires dans l'entreprise. Et si jusqu'ici cette génération «digitale» composait avec l'organisation traditionnelle de l'entreprise, souvent très hiérarchisée, lourde, ce sera de moins en moins le cas. Quand ces jeunes passent d'un univers très digital, très ouvert, très coopératif au code de fonctionnement de l'entreprise, cela créé un choc réel. La prime ira donc aux entreprises qui sauront se montrer souples, réactives, avec par exemple un mode d'organisation où la finalité compte plus que les moyens mobilisés. Cela nous amène à repenser progressivement l'organisation du travail, les process dans le groupe mais aussi le management. Il y a là aussi un enjeu important en termes d'image employeur.  Orange - opérateur digital - est bien placé pour réussir cette digitalisation.

 

Quelles sont les conséquences de cette vague digitale dans votre organisation? 

B.M. Il y a un risque de fracture interne entre ceux qui vivent la digitalisation et les autres, or nous devons embarquer tout le monde. Nous agissons sur trois axes: sensibiliser l'entreprise par rapport au digital, former les collaborateurs et les équiper. C'est pour cela que nous avons lancé notre MOOC interne, la digital academy, qui doit offrir à tous nos salariés un corpus commun minimum. Et c'est un succès: en deux mois, 10 000 passeports ont été délivrés à nos collaborateurs. Nous travaillons aussi sur l'équipement à travers l'évolution du poste de travail, notamment pour l'utilisation de son propre matériel. Enfin, nous réfléchissons à faire évoluer le référentiel managérial d'Orange pour lui faire intégrer les qualités du digital. La capacité à créer du leadership, à faire travailler les gens ensemble, à faire émerger un consensus intelligent importe autant que le charisme personnel. Moins d'autorité naturelle pour plus de transversalité, de synergies et d'animation. Le critère de l'expérience doit s'effacer sur la capacité contributive. A l'instar de ce qui se passe sur les réseaux sociaux, peu importe le rang ou l'ancienneté de l'internaute.

 

Faut-il modifier le code du travail?

B.M. Le fondement de notre code du travail reste bien évidemment pertinent. Par contre, des éléments très importants de cette relation au travail tels que le lieu et le temps de travail sont déformés par la digitalisation: la place du bureau va s'estomper au profit du domicile, du temps de trajet. Les temps de transport seront des temps de travail, avec l'accès aux mails depuis le smartphone. Il y a de plus en plus de difficultés à appliquer le droit du travail en tenant compte de la réalité du fonctionnement de l'univers digital. Cette situation est une opportunité pour repenser un certain nombre de concepts mais aussi pour développer de nouveaux droits. Ainsi, le droit à la déconnexion prévu par le récent accord Syntec est extrêmement intéressant. Il faut accepter qu'il y ait de la régulation et des grands principes pour éviter des improvisations anarchiques, qui peuvent conduire par exemple à  l'isolement du télétravailleur.

 

 

 

 

 

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