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Pour ceux qui rêvent d'une vie professionnelle au Brésil, il faut oublier les clichés pour un environnement et un management particuliers.

«La plage de Rio, les super-nanas en string sur Copacabana, le carnaval, la caipirinha, le fun, le soleil... Voici essentiellement ce que les gens pensent du Brésil tant qu'ils n'y sont pas allé, mais on est quand même loin de la réalité», souligne Frédéric Van Pottelberge, «regional business solution manager-marketing & sales» chez Nestlé. Et surtout quand on y vient pour travailler. Arrivé en septembre dernier pour couvrir l'Amérique latine, il a découvert l'envers de la carte postale. «Les villes sont moches, surtout São Paulo. Et la réputation de Rio tient d'abord à sa situation fantastique et à son site. Quelques filles cultivent leur corps mais la diététique ne fait encore partie des habitudes alimentaires», détaille cet ancien expatrié au Portugal désormais installé à São Paulo.

«A contrario l'insécurité, elle, n'est pas un mythe, même si des progrès ont été faits. Pour le soleil et la chaleur, c'est vrai que ça change la vie», se réjouit-il, avouant avoir été le plus surpris par «la taille de la ville, avec ses 20 millions d'habitants, les bouchons gigantesques, l'anarchie architecturale, les contrastes entre les buildings modernes et les favelas qui les jouxtent ...» Mais également par «la gentillesse des Brésiliens». Car il ne faut pas voir dans la description subjective de ce cadre de Nestlé un rêve qui aurait viré au cauchemar. «J'avais lu quelques bouquins sur le Brésil et eu la chance de visiter São Paulo avant de décider d'y venir. Donc j'étais au courant», reconnaît-il.

Avant d'envoyer leurs collaborateurs dans un pays qui fait quinze fois la France, certaines sociétés leur offrent même une préparation. En utilisant les services d'agences comme Itinéraires Interculturels = (i)2, qui délivre une formation aux salariés en partance pour l'étranger, et éventuellement à leur famille. «Il faut anticiper le choc, avec deux jours pour décoder la société brésilienne, son histoire, sa géographie et l'influence sur l'environnement professionnel», préconise sa dirigeante Nathalie Lorrain, également co-auteure d'un guide* pour les aspirants à l'émigration.

Management à la française déconseillé

Un temps est notamment consacré à l'insécurité. «C'est obligatoire pour les entreprises, recommande-t-elle. Il ne s'agit pas de rentrer dans la paranoïa, juste de connaître les quartiers et les régions à risque, les comportements à avoir, même si ce n'est pas trop difficile pour le Brésil.» D'ailleurs, cela n'empêche pas ce pays d'être depuis deux ans «une destination phare avec l'Afrique subsaharienne, après l'Europe centrale il y a quelques années, puis la Chine», constate l'experte du management interculturel, dont l'agence a travaillé sur 165 pays.

L'engouement touche les sociétés du CAC 40 mais aussi de moyennes et petites entreprises qui visent une implantation. «Les mesures protectionnistes prises depuis la présidence de Lula obligent à produire sur place pour pouvoir vendre sur le marché local», explique Karina Tavares, Brésilienne francophile et «business development manager» chez Netco Sports. Cette start-up française spécialiste des applications pour mobiles et tablettes - notamment le Canal Football App pour Canal+ en 2012 -, a ouvert une filiale l'année dernière à São Paulo. «Avec l'obligation, pour pouvoir s'installer, de prendre un gérant brésilien, qui paie des impôts sur place et est pénalement responsable», précise Jean-Sébastien Cruz, fondateur de l'entreprise.

C'est aussi sans doute indispensable pour encadrer une équipe de salariés à l'approche singulière. Car «manager comme des collaborateurs français, ce serait l'échec garanti», prévient Frédéric Van Pottelbergede, de Nestlé. Pour lui, les Brésiliens sont «des fatalistes optimistes (“tudo bem, pas de problème, on va y arriver”) et qui ne savent pas dire non tant ils veulent plaire en permanence.» Alexandre Flak, consultant auprès de sociétés françaises souhaitant s'implanter au Brésil installé depuis 2003, estime qu'«il faut connaître cette fâcheuse habitude pour ne pas avoir de déception dans les affaires. Une réponse positive n'est qu'une première étape. Après celle-ci, il faut beaucoup de suivi pour être sûr que l'ordre de route est respecté.»

Or, dans une entreprise ou un service, «cela a des impacts considérables sur le fonctionnement», déplore Frédéric Van Pottelberge. Les Brésiliens peuvent apparaître désorganisés et gérant très mal les priorités. Un comportement dont la dirigeante d'(i)2 décrypte la cause: «Les Brésiliens sont polyphoniques, multidirectionnels, faisant plusieurs choses en même temps. Un Français va s'interroger sur la qualité du travail, y voir un manque d'engagement, ce qui n'est pas forcément le cas.»

Cette attitude peut aussi être perçue comme une qualité. «J'ai été frappé par leur fonctionnement hybride, les gens ne sont pas enfermés dans un seul métier, raconte Rémi Babinet, président de BETC qui a lancé une agence à São Paulo en février dernier. Dans notre activité, c'est une richesse, en avance sur un fonctionnement européen très compartimenté.»

Nathalie Lorrain relève également «l'extrême flexibilité» de la population brésilienne. Autrement dit, «un moyen de contourner les multiples contraintes technocratiques, de s'arranger pour supporter une bureaucratie omniprésente». Pour Karina Tavares, régulièrement confrontée au problème, «tout porte à croire que l'on crée des administrations pour contrôler ce que font les autres, ce qui rend long et pénible toute démarche.» Cette situation favorise ce que l'on dénomme «jeitinho» ou «petite façon de faire», définie comme «une stratégie d'action qui permet d'atteindre certains objectifs malgré des lois et règles contraires»**.

La pratique, qui permet par exemple de faire avancer un dossier par l'intervention de connaissances, doit rester «dans la limite de la charte éthique de son entreprise, à rappeler quand on choisit un partenaire ou embauche un collaborateur», souligne la prestataire. Autrement dit, pour éviter de basculer dans la corruption. Mais cet aspect reflète également l'importance du relationnel dans la société brésilienne. Où il faut prendre, d'ailleurs, le temps de se connaître, c'est-à-dire de passer de longs moments avec les collaborateurs, les partenaires, les clients, généralement au restaurant.

«L'été dernier, pour conclure un contrat avec le club de football du Santos un vendredi, les deux heures de retard que nous avons pris à cause des embouteillages n'ont posé aucun souci aux dirigeants, se remémore Jean-Sébastien Cruz. Mais quand ils m'ont invité à venir à partager le déjeuner et suivre avec eux le match du dimanche, je me devais d'être présent. C'était la meilleure manière de se montrer fiable.»

Une attitude à adopter avec ceux qu'on encadre. «Un manager connaît en partie la vie de ses salariés, parle de lui, de sa famille, estime Nathalie Lorrain. Mais c'est souvent difficile pour les Français d'aller jusque dans la vie privée.» Cette proximité se traduit aussi par le contact, le toucher, les accolades, très répandues chez des Brésiliens que l'on décrit sensibles et émotifs. Aussi, dans une civilisation multiculturelle où tous ont appris à vivre ensemble, «ils n'ont pas l'habitude des relations dures», explique Alexandre Falk. Pour qui «il faut toujours privilégier dans une relation professionnelle une voie diplomatique, ne pas crier pour être entendu.»

D'autant qu'«avoir un conflit avec quelqu'un signifie perdre la face dans une société où règne le paraître, analyse la spécialiste de la communication interculturelle. On doit donc apprendre à se contrôler.» Mais cela ne relève pas de la mission impossible, le Brésil fonctionnant sur un système paternaliste. «Si le manager se montre proche et accessible, il doit également être décisionnaire, voire autoritaire», conclue-t-elle. On est vraiment loin du management participatif pratiqué en Europe.

 

*Nathalie Lorrain, Joao Alexandre Peschanski, Guillaume Sarrazin, Bien communiquer avec vos interlocuteurs brésiliens (Afnor Editions-2014)
** id. p32 

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