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Natalie Nougayrède et Jill Abramson ont dû renoncer le même jour à la direction de la rédaction du Monde et à celle du New York Times. Dans les deux cas, l'impréparation managériale est manifeste.

Le 14 mai, deux femmes au sommet du pouvoir, Natalie Nougayrède du Monde et Jill Abramson du New York Times, ont dû renoncer à leurs fonctions. Dans les deux cas, leur management est en cause. Comme ses deux adjoints avant elle, Natalie Nougayrède a été contrainte de démissionner après avoir été accusée d'exercer le pouvoir de façon brutale, solitaire, indécise, non concertée, avec un charisme déficient. Face à ces "attaques personnelles", elle n'a pas voulu se contenter d'un rôle de représentation: "Je ne peux consentir à l'effacement du poste de directeur du journal", a-t-elle déclarée. 

De son côté Jill Abramson semble avoir souffert d'une autre forme d'inexpérience managériale. Elle a commencé par recruter un numéro deux qui était candidat à son poste, Dean Baquet, avant de chercher à l'éclipser en nommant un rédacteur en chef rival, sans mesurer l'influence de celui qui va finalement la remplacer auprès de l'actionnaire Arthur Sulzberger. Bien qu'elle a réussi la mutation numérique de la "gray lady", son mode de gestion de la rédaction a été jugé "abrasif", face à la popularité de Dean Baquet, premier noir à diriger le NYT, qui avait refusé d'accepter des licenciements dans son précédent poste au Los Angeles Times. De plus, Jill Abramson se serait plainte en haut lieu de toucher une rémunération inférieure à celle de son prédécesseur, ce que dément l'actionnaire.

Pyramides pentues

Que retenir de ces deux exemples? "Dans le cas de Natalie, qui s'était présentée de façon assez énigmatique à la direction sans être impliquée dans la rédaction, elle avait l'avantage de ne pas être liée à des clans, à des clivages internes, estime un journaliste du Monde, mais le désavantage de ne pas en connaître les rapports de force." En outre, l'ancienne correspondante diplomatique du journal, prix Albert-Londres 2005, qui n'avait jamais encadré une seule personne, s'est retrouvée d'un coup au sommet de la pyramide sans y avoir été préparée.

D'où une absence de rondeur et de souplesse, comme savent en témoigner les managers sûrs d'eux-mêmes. Délicat quand il s'agit, tout en incarnant la ligne éditoriale du journal, de faire accepter une transition numérique qui passe par la migration d'une cinquantaine de postes du print vers le Web. "Il y avait des incohérences, on devait postuler à son propre poste, certains étaient pourvus mais on menait quand même les entretiens sachant qu'au bout de trois refus, on pouvait être licenciés", raconte un journaliste.

Elizabeth Gounant, directrice associée chez Oasys consultant, estime le cas plutôt classique: "Lorsqu'on est reconnu pour son expertise, on va avoir du mal à la lâcher. Il y a souvent des managers qui estiment perdre du temps en réunion et qui se demandent quand ils vont commencer à travailler. Un coaching sur deux est lié à ce genre de problématique: comment devenir manager, c'est-à-dire faire grandir les autres, animer les équipes, les rassurer, alors qu'on est expert. Il faut changer de métier."

Responsabilité des entreprises

Alors que les écoles de journalisme ne prévoient pas de formation managériale et que les experts de l'écriture ne font pas toujours de bons rédacteurs en chef, c'est la question du style de leadership d'un journal, à l'heure du virage numérique, qui est posée, au Monde comme au New York Times. "Il y un manque de préparation de ces organisations au développement de leurs managers, estime Charles-Henri Besseyre des Horts, professeur de management à HEC. Les deux dirigeantes ont été propulsées trop rapidement sur le devant de la scène. Il y a de moins en moins d'entreprises qui nomment directement à leur tête des managers sans les y avoir préparés."

Le professeur se souvient d'un directeur de la recherche de Sanofi, Gérard Le Fur, qui s'est retrouvé patron en 2007: il est parti un an plus tard. On pourrait aussi citer l'échec de Nicolas Demorand, passé de l'animation radio à la présidence de Libération. "Il y a une responsabilité des entreprises sur l'accompagnement des dirigeants", conclut l'enseignant. Natalie Nougayrède avait pour "coach" Louis Dreyfus, président du directoire. Jill Abramason, elle, avait commencé à recevoir des conseils... mais trop tard.

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