Luxe
Le luxe attire en surnombre des profils de créatifs ou de stylistes alors que son développement exige d’autres compétences, plus particulièrement dans les bureaux d’études. Le point avec Chantal Baudron, fondatrice du cabinet du même nom et spécialiste du secteur.

Quelle est la situation actuelle du recrutement dans les métiers du luxe?

Chantal Baudron : Il existe une tension dans le recrutement des cadres car cette population vit en quasi «plein emploi». Le luxe exerce malgré tout une plus forte attractivité sur les candidats que les autres secteurs. Il y a cependant une inadéquation entre l’offre et les besoins des entreprises. Le nombre de candidats postulant à des postes de créatifs ou de stylistes dépasse largement la demande alors que c’est beaucoup plus difficile de recruter des responsables de bureau d’études ou des modélistes.

 

Quels sont les postes à pourvoir dans un bureau d’études?

Un bureau d’études comprend généralement trois types de postes: le patron lui-même, des ingénieurs chefs de projet, des responsables des méthodes et des modélistes. Le modéliste est celui qui assure la transition de la création vers la production. Il traduit les croquis du créateur en objet capable de faire l’objet d’une production. Aujourd’hui, même si certains bureaux d’études ont recours à la conception assistée par ordinateur pour certaines opérations, c’est un travail qui reste très artisanal, en particulier dans les ateliers de haute couture. Des écoles de modéliste existent mais elles ne sont pas assez fréquentées. L’autre type de poste essentiel dans un bureau d’études est le responsable des méthodes. C’est lui qui qui va établir toutes les étapes de la production avec les fiches techniques nécessaires aux différents acteurs mobilisés tout le long de ce processus.

 

Comment dénichez-vous ces profils rares?

Il faut chercher dans d’autres secteurs. Nous avons souvent recruté des ingénieurs responsables des méthodes, issus du secteur automobile, secteur qui a développé des process plus complexes. Ces candidats sont généralement plutôt bien disposés à l’égard de l’industrie du luxe. Ils savent qu’ils vont travailler dans des entreprises en bonne santé financière, ce qui les rassure quant à leur futur car le secteur garantit une plus forte pérennité de l’emploi que d’autres. Cela leur permet aussi d’espérer une rémunération comportant une participation ou un intéressement importants. Travailler dans ce secteur est en outre vécu comme valorisant, en particulier si les marques sont connues du grand public. Les collaborateurs se sentent associés au prestige de la marque et du produit.

 

Intégrer l'univers du luxe n’est-il pas déstabilisant?

L’intégration peut présenter des difficultés, même chez des cadres expérimentés. Il faut parfois un peu de temps pour assimiler toute une série de paramètres, que ce soit le vocabulaire, le comportement, la façon de s’habiller ou de s’adresser à ses collègues. Le luxe a une culture managériale différente d’autres secteurs comme l’automobile. Mais les candidats sont intelligents et ils s’adaptent très rapidement. Un point que les candidats actuels doivent avoir à l’esprit est l’internationalisation du secteur. Aujourd’hui, les états-majors des entreprises du luxe ne sont plus exclusivement franco-français, comme c’était le cas il y a encore trente ans. Il est donc indispensable de se doter d’une culture internationale pour maximiser ses chances de succès.



Quels sont les défis à relever pour réussir un bon recrutement?

L’évaluation du candidat est essentielle car nous devons assurer l’adéquation d’une personnalité avec une culture d’entreprise. Le défi est d’autant plus difficile à relever quand la structure est toujours dirigée par son fondateur. Nous consacrons donc le temps nécessaire à cette phase capitale. Ensuite, une fois le recrutement réalisé, nous continuons de suivre le candidat, sans limitation de durée. C’est un dispositif qui nous a permis de créer une communauté que nous avons baptisée «ENGAS». Elle compte aujourd’hui 400 personnes. Nous continuons à leur apporter des services (gratuits), qu’il s’agisse de faire un point sur leur carrière, les conseiller quant à leur rémunération ou encore assurer une mise en relation qui pourrait leur être utile.

 

 

Les grandes mutations du secteur du luxe

L’univers du luxe a connu trois mutations depuis les années 80. « À l’époque, des groupes comme LVMH n’existaient pas », rappelle Chantal Baudron. De fait, le secteur se caractérisait par une constellation de petites PME artisanales, isolées, portées par de grands noms (Dior, Saint Laurent, etc). Ce sont précisément ces grands noms qui ont attiré de grands groupes financiers. Derrière cette razzia, une stratégie : transformer la notoriété en chiffre d’affaires. Une transformation qui s’est accompagnée d’une quasi-industrialisation des process, les grands groupes alors en formation n’hésitant pas à aller recruter des cadres dirigeants rompus aux méthodes de la grande distribution pour mettre en place et sécuriser le développement de ce modèle.

La deuxième transformation a trait au rapport qu’entretient le luxe avec le marketing. Là encore, tant que les entreprises étaient des structures de taille réduite, l’ensemble du secteur fonctionnait en suivant les principes du marketing de l’offre. Les créateurs suivaient leur intuition et leur renommée assurait des débouchés.

L’arrivée de grands groupes a changé la donne en apportant avec lui l’approche et les techniques du marketing traditionnel. Désormais, la production doit prendre en considération les attentes des clients et, plus globalement, se conformer aux tendances du «marché».

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