Métier
Voice Experience designer : pas encore tout à fait un métier mais déjà une pratique réelle. De quoi entrevoir les missions et compétences de futurs concepteurs. Une voie d'avenir.

Si la formation de Voice Experience (VX) designer flotte encore dans les limbes, la fonction, elle, existe déjà. Artefact peut en témoigner. Cette agence a réalisé les applications conversationnelles du quotidien Les Echos ou encore celle de Monoprix. « Chez Artefact, le VX design est pris en charge par nos planneurs stratégiques, explique Elisabeth Marette, directrice conseil de l'agence. Ce sont des communicants hybrides qui possèdent à la fois une vraie culture de marque, une maîtrise des enjeux UX et techniques et une appétence pour l’écriture. »

La montée en puissance de la dimension vocale va cependant exiger un élargissement et un approfondissement des compétences. Pour Olivier Vigneaux, président de BETC Digital, la data va devenir un élément prépondérant pour les futurs occupants de ces postes : « Un VX designer doit avoir la culture de la data pour transformer les données de navigation et de recherche en scenarii de réponses très pertinents car, en réponse à une requête, à la différence du search classique, la voix n’aboutit qu’à un seul résultat et une ou deux suggestions supplémentaires. »

Bien comprendre immédiatement le besoin exprimé sera un facteur clé de succès car la simple retranscription de parcours conçus initialement pour des interfaces faisant appel à l’écrit ne fonctionne pas. « À la voix, les attentes des utilisateurs sont fortes, confirme Elisabeth Marette. Les VX designers doivent passer du temps pour comprendre le ressenti utilisateur et construire les parcours les plus adaptés en se demandant constamment comment faire vivre la marque sur ce canal qui offre de nouvelles façons d'exprimer son branding. » 

Sciences sociales et soft skills

Plusieurs facteurs rendent l’exercice encore délicat. Même si les technologies « speech to text », qui transforment l’expression orale de l’utilisateur en texte, progressent régulièrement, elles ne sont pas le seul obstacle à surmonter, ajoute Vincent Montet, directeur des MBA spécialisés digital marketing et business de l’EFAP : « Un VX designer devra avoir une compréhension des sciences sociales comme la linguistique, la sociologie et la sémantique. La voix porte plusieurs couches de sens qui, en fonction de la situation de chacun, agissent différemment et produisent toujours des singularités. »

Les VX designers devront aussi disposer de bons « soft skills » [compétences comportementales] car ils travailleront en réseau avec des experts d’autres domaines : des développeurs IA, des sociologues mais aussi, très vraisemblablement, des experts du sound design. « Les marques vont vouloir créer des voix qui correspondent à leur identité », pronostique Vincent Montet. Un enjeu qui devrait très vite monter en puissance et mettre fin au règne de la palette - réduite - de voix proposées par les enceintes connectées de type Google Home. « Certains acteurs permettent déjà de créer des voix de synthèse personnalisées à partir d’enregistrements de voix réelles », note Elisabeth Marette. Quelles marques franchiront ce cap les premières ? La directrice conseil a son idée : « Sans doute celles qui disposent déjà d’une identité sonore forte comme dans le secteur des médias ou de l’entertainment, ou celles pour qui l’image de marque est cruciale comme dans le luxe. »

Le défi des dialogues

Hormis une bonne maîtrise des technologies de son écosystème et des capacités d’analyse des besoins des utilisateurs, le VX designer devra aussi faire preuve d’un vrai talent créatif. Car la compétition sera rude. L’univers du son a en effet de nouveau le vent en poupe, comme en atteste le succès croissant des podcasts. Créer des dialogues à la hauteur des attentes sera toutefois un défi d’une autre ampleur, constate Olivier Vigneaux : « La Google Home a une phrase type pour signaler une erreur : “Et là, c’est le bug !”. La première fois, c’est amusant, mais lorsque c’est répétitif, c’est lassant. » L’enrichissement des scenarii de dialogues devient donc impératif afin d’éviter ce cas de figure. Comment faire la différence ? « Nous avons besoin de rédacteurs capables d’écrire de bons dialogues, qui aient de la personnalité tout en restant naturels, explique Olivier Vigneaux. Mais rien n’est plus difficile que de créer le naturel... »

Enfin, le VX designer devra prêter une attention particulière à l’usage qui sera fait des données et à leur protection. La voix a une dimension personnelle, voire intime, qui donne un relief encore plus prononcé à cet enjeu, estime Vincent Montet : « Avec la voix, l’utilisateur aura encore plus l’impression de livrer de la data personnelle. Cela va accélérer la prise de conscience déjà en cours et posera avec d’autant plus d’acuité le lien entre préservation des données et réputation de la marque. »

La voix : le canal préféré des consommateurs… et des collaborateurs

Trois questions à Omer Biran, Chief Technology Officer de Recast.AI, spécialiste des moteurs NLP (natural language processing) qui équipent les bots, racheté par SAP en janvier.



La voix va-t-elle devenir un canal important ?

Le monde devient conversationnel. Les collaborateurs préfèrent converser, plutôt que d’utiliser des applications ou des formulaires, pour connaître l’état de livraison de commande, demander des duplicatas de facture, etc.



Quel est l’enjeu pour les entreprises vis-à-vis de leurs clients ?

La qualité de service est de plus en plus importante pour conserver ses clients. Ne pas apporter de réponse, c’est courir le risque de perdre un client. Cependant, les entreprises ne peuvent pas multiplier par dix le nombre d’agents de support, ce serait trop coûteux. Ainsi, l’automatisation est envisageable pour des conversations simples et courtes. Elle permet d’améliorer l’accessibilité du service, la rapidité dans l’échange et la précision des réponses. La voix devient un enjeu crucial dans la relation avec les clients. Un robot est très efficace sur des tâches simples et répétitives, alors que l’automatisation de tâches comme la vente est plus complexe.



Quelle est la difficulté majeure pour aboutir à une bonne application conversationnelle ?

Avant la question du « comment faire une application conversationnelle ? », il faut bien réfléchir au « pourquoi » pour être sûr d’avoir un réel ROI [retour sur investissement]. Lorsque nous rencontrons des clients, nous demandons toujours à quoi va servir l’application qu’ils souhaitent et comment son impact pourra être mesuré. Ensuite seulement, nous réfléchissons aux cas d’usage.







Extraire les clients des écosystèmes vocaux des Gafa

Les marques vont devoir susciter une forte envie de contact envers leur appli conversationnelle. Les Gafa ont en effet tout intérêt à faire durer les échanges avec les utilisateurs afin d’engranger le maximum de data et devenir encore plus incontournables dans ce nouvel écosystème. Pour Olivier Vigneaux, président de BETC Digital, les agences peuvent sortir les annonceurs de cette impasse : « Notre rôle sera de leur donner des atouts pour émerger. Les marques doivent donc démontrer qu’elles offrent des réponses plus spécialisées que celles des généralistes que sont Google ou Amazon. Là où Google et Amazon gagnent presque à coup sûr, c’est sur la commande de produits quotidiens où les critères de choix seront le prix et la rapidité de livraison. Mais la qualité du conseil et l’émotion que génèrent les marques seront des atouts importants vis-à-vis de leurs clients. »



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