Management
Inspirée de la démarche adoptée vis-à-vis des clients, l’expérience collaborateur s’installe dans les grandes entreprises et place l’engagement au cœur de la politique RH et de la marque employeur.

Chez Orange, tout a démarré en 2015 avec des focus groups. De ce processus ont émergé deux dimensions clés de la vie des collaborateurs : le parcours professionnel et le quotidien de travail, chacun d’eux jalonné aujourd’hui par huit étapes. Ces deux dimensions ont chacune une double face : humaine et digitale. Les futurs salariés entrent dans l’expérience collaborateur avant même leur arrivée chez Orange par une série de contacts réguliers qui se poursuivent par un accompagnement plus appuyé le premier jour (découverte de l’équipe, des locaux, des outils), puis une série de rencontres avec le manager et le RH les mois suivants.
Cette facette humaine se double d’une facette digitale, qui a pour ambition de faciliter le quotidien du collaborateur et de le rendre plus agréable. Pour la concrétiser, Orange compte déjà 500 « producteurs de services » qui ont mis au point une cinquantaine d’applis (annuaire interne, pose de congés, gestion du télétravail). Ce process collaboratif s’inspire de celui de l’expérience client, souligne Sophie Cléjan, directrice expérience salarié et marque employeur d’Orange : « Nous impliquons les salariés dès la définition du service. Nous les écoutons pour comprendre leurs attentes et mettre en place les actions prioritaires. »

Évaluation, amélioration

Le parallèle avec l’expérience client va plus loin puisque c’est le comité marketing Groupe qui examine les propositions des « producteurs de services ». Pour avoir le feu vert, plusieurs conditions doivent être réunies, explique Sophie Cléjan : « Un projet doit rassembler les caractéristiques suivantes : la simplicité, la sécurité, la connexion, la personnalisation et un bon SAV. » Sans oublier la satisfaction de des utilisateurs, qui fait l’objet d’une évaluation régulière, instituant du même coup une boucle d’amélioration continue.
Un autre grand groupe français, Michelin, construit lui aussi une expérience collaborateur. Sa démarche We@Work s’articule autour de trois axes. Le premier, We@Work Lab, fait découvrir de nouveaux modes de travail (design thinking, facilitation graphique...) à travers des ateliers. « Cela met les participants en mode “apprentissage”, ce qui stimule leur créativité, explique Delphine Girault, pilote de l’équipe responsabilisation qui fait partie de la direction RH. Les personnes sortent de leur posture habituelle et se mettent à collaborer, échanger. Les collaborateurs constatent les bénéfices réels et les transposent dans leur quotidien. »
Plus classique, le second axe développé par Michelin, We@Work Connect, a pour objectif d’apporter aux collaborateurs un environnement digital adapté à leurs besoins. Le troisième, We@Work Space, est la résultante des précédents, précise Delphine Girault : « Les deux premiers axes nous ont fait prendre conscience qu’un nouveau type d’espace de travail était nécessaire. La responsabilisation, les nouvelles méthodes de travail et le digital ont un impact sur l’espace de travail. Pour le reconfigurer, nous accompagnons les équipes et elles peuvent s’appuyer sur l’expertise d’architectes d’intérieur, d’ergonomes ou d’acousticiens pour concevoir de nouveaux espaces. Plusieurs actions sont menées, dont une refonte des espaces de travail du siège. »

« Change and empowerment »

Un réseau d’une quarantaine de correspondants « change and empowerment » a été mis sur pied pour accompagner les changements sur les différents sites, à travers des sessions d’information, de formation, mais aussi des propositions de refonte des modes de travail à partir des besoins détectés.
L’ensemble du dispositif de Michelin est par ailleurs ouvert à des applications externes. Les collaborateurs peuvent ainsi accéder à Random Lunch, une application qui permet de déjeuner avec des collègues qu’ils ne connaissent pas, ou Comeet, qui met en contact des personnes qui veulent partager des activités conviviales. « Le but de ces outils est de contribuer à créer une dynamique collaborative », résume Delphine Girault.
Les répercussions de ces démarches sont déjà bien tangibles. Chez Orange, deux chiffres clefs sont mis en avant : « Aujourd’hui, 89 % des salariés se déclarent fiers de travailler chez Orange et 83 % nous recommandent comme une entreprise où il fait bon travailler », détaille Sophie Cléjan. Après avoir observé une réduction du temps de réalisation des projets et l’émergence des réseaux qui améliorent le mode collaboratif, Michelin se prépare à franchir une étape décisive en faisant de l’expérience collaborateur le centre de gravité de son futur projet d’entreprise. 

 



Comment installer un process d’expérience collaborateur ?

Corinne Samama, cofondatrice de Resonance Coaching et auteur de L’expérience collaborateur (éd. Diateino).
« La première étape consiste à se poser la question suivante : quelle aventure veut-on faire vivre aux collaborateurs ? Et cette question a une dimension stratégique, elle doit être prise au niveau de la direction générale. Après avoir défini l’expérience collaborateur, l’entreprise doit accepter d’entrer dans une phase un peu chaotique parce que c’est inhérent à toute démarche collaborative. C’est un processus qui doit inclure un droit à l’erreur. Les RH sont généralement le moteur du processus mais il faut rapidement réunir autour de la table d’autres directions, en particulier la communication et le marketing, qui est déjà rodée à l’expérience client, afin que l’expérience collaborateur prenne toute sa dimension.
Il faut démarrer avec un noyau dur de volontaires qui va proposer des idées avant de le faire grandir. La réussite du processus tient à l’efficacité de l’arbitrage qui sera mis en place. Chaque idée doit correspondre à la mission de l’entreprise mais aussi apporter une amélioration à l’expérience collaborateur et à l’expérience client.
Une structure de pilotage et de suivi est indispensable pour établir la cartographie des moments clefs de l’expérience collaborateur mais aussi tester les idées et mesurer leur impact. Les entreprises digitales et les grands groupes sont privilégiés car ils ont les moyens faire des enquêtes, de comparer le ressenti des collaborateurs avec l’impact réel des propositions et d’établir un lien avec la performance, comme l’impact sur les ventes. »

 

 

Le risque inédit du travail collaboratif

La création de l’expérience collaborateur favorise indéniablement des modes de travail plus transversaux, propices à un engagement plus prononcé. Des avantages qui masquent fréquemment les inconvénients de la démarche ainsi qu’un risque rarement anticipé, note Jean-Claude Delgenes, directeur général de Technologia, cabinet spécialisé dans la prévention : « De tels dispositifs disséminent beaucoup d’information or un collaborateur peut partir chez un concurrent. Au départ, je ne me posais pas la question puis je me suis aperçu que des informations avaient fuité. Depuis, nous sommes plus vigilants lors du recrutement. Nous insistons sur la loyauté et le contrat de travail est plus protecteur des données de l’entreprise. » 

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