Management
Combien de temps les métiers du numérique resteront-ils un bastion masculin ? L’évolution rapide de l’attente des entreprises et de la société pourrait rebattre rapidement les cartes.

La vague digitale sera-t-elle avant tout une affaire d'hommes ? « Il y a clairement un problème, reconnaît Virginie Mary, déléguée générale du Syndicat national de la publicité TV. Beaucoup d'entreprises de notre secteur ont des difficultés à trouver des candidates. Il y a une méconnaissance des métiers et de leur potentiel, à quoi s'ajoute une image encore austère et pas toujours positive. » À trop perdurer, une telle situation risque d’éloigner les femmes de filières, telles que la communication, où elles ont traditionnellement une forte présence. Une urgence dont est conscient le club ComElles, qui organisera le 8 juin prochain les premiers « Trophées des communicantes » (voir ci-dessous).

Comment changer de trajectoire ? Les entreprises peuvent agir à travers la formation : « C’est le vecteur d'intégration le plus important pour assimiler les enjeux de la transformation digitale des entreprises » estime la directrice du syndicat professionnel, pour qui ce mode d’action est d’autant plus efficace qu’il peut réduire le fossé creusé par l’âge : « L'enjeu n'est pas seulement une question de mixité mais aussi de génération, d'où une gradation dans les programmes de formation avec une première étape dont l'objectif est de désacraliser le digital, de réduire l'angoisse face à cet univers en explicitant surtout le vocabulaire. »

« L'égalité, il faut la vouloir »

Une politique globale de parité peut aller dans le même sens. C’est le choix de l’assureur Axa. « Nous avons pour objectif de parvenir en 2023 à la parité hommes/femmes parmi nos 150 top dirigeants, explique Isabelle Duvernay, directrice de la communication. Dans les postes IT ou liés au coding, nous avons aussi pour objectif d’établir la diversité. Dès que nous ouvrons un poste, nous avons la responsabilité et donc le réflexe de chercher aussi des candidates. »

L’attractivité des postes numériques dépend aussi de la façon dont les entreprises les présentent, souligne Aurélie Jean, scientifique codeuse et fondatrice de In Silico Veritas : « Les fiches de postes doivent indiquer ce qui intéresse aussi les femmes, c’est-à-dire la mission, le but poursuivi. Aujourd’hui, c’est le travail quotidien qui est décrit dans les fiches de poste, et je suis persuadée que les hommes aussi peuvent trouver cela ennuyeux. » Aurélie Jean déplore aussi la persistance de méta-stéréotypes : « Beaucoup de jeunes Américaines se détournent des études scientifiques au lycée parce qu’elles redoutent de passer pour moins féminines aux yeux des garçons. »

Mais comment impliquer les filles dans les études qui mènent au digital ? Des actions doivent être menées à une échelle bien plus large, estime  Mercedes Erra, fondatrice de BETC : « Les manuels scolaires doivent arrêter de diffuser des représentations stéréotypées. » Idem pour les médias. Le CSA doit « mettre la pression » pour modifier la diffusion des stéréotypes : « L’égalité, il faut la vouloir, insiste Mercedes Erra. Il faut de la volonté, des règles et des lois pour établir plus d’égalité. » L’administration a aussi un rôle à jouer. Sa neutralité ne l’empêche pas de faire le lit des stéréotypes, témoigne Mercedes Erra : « Dans un couple pacsé, si l’homme ne travaille pas, c’est quand même à lui que s’adresse l’administration fiscale ! La femme n’est que déclarant numéro 2. » Sur un mode plus pragmatique et moins contraignant, Aurélie Jean souhaite venir en aide aux organisateurs de conférences : « Si une femme refuse leur invitation, il faut qu’ils lui demandent les noms de deux autres femmes, par exemple. »



Phase de transition mondiale

En parallèle du travail sur les facteurs extérieurs, les femmes vont aussi devoir évoluer, ajoute Mercedes Erra : « Lorsqu’elles sont promues dans un conseil d’administration, nombreuses sont les femmes qui se sentent obligées de suivre une formation ou un coaching spécial. Croyez-vous qu’il en soit de même pour les hommes ? »

Pour autant, des signes montrent que la situation s’améliore. Aurélie Jean note que le digital pourrait cesser d’être un bastion essentiellement masculin : « Aux États-Unis on note une légère augmentation des inscriptions de filles en sciences informatiques à l’université. Elles veulent faire de l’IA pour avoir un impact sur le futur, pour améliorer les conditions de vie des personnes. Je crois vraiment qu’il faut communiquer autour de ​ce qu’on fait avec l’IA pour sortir des images stéréotypées sur l’informatique. » Fait encore plus probant, cette amorce de changement semble trouver un écho en France, note Virginie Mary : « Le blocage entre les femmes et la technologie est encore là mais un virage s'amorce, surtout pour les jeunes générations. »

Cette évolution a d’autant plus de chances de durer qu’elle est confortée par une évolution globale plus positive. « Nous sommes au début d’un processus d’évolution économique et social pour les femmes, veut croire Christelle Delarue, fondatrice de l’agence Mad & Woman, qui revendique un positionnement féministe. Les femmes ne veulent pas manager comme les hommes. Mais il va falloir se débarrasser des stéréotypes, des auto-stéréotypes et des méta-stéréotypes, c’est-à-dire de ce que nous pensons que les hommes pensent de nous. Nous sommes dans une phase de transition très active, mondialement. » Malgré leur réalité, ces progrès ne peuvent faire oublier que le chemin sera encore long, conclut Mercedes Erra : « Aujourd’hui, dans le monde, 66 % du travail est réalisé par les femmes mais elles ne perçoivent que 10 % de la rémunération globale. »

Avis d'expert

« Porter la parole des professionnelles  »

Catherine Bonneville-Morawski, fondatrice du club ComElles qui organise le 8 juin la première édition des Trophées des Communicantes.



Pourquoi avoir créé le club ComElles ?

L’un des axes de travail du club Comelles est de porter la parole des professionnelles sur le marché et de les rendre plus visibles. Les femmes représentent 57 % des bac +5 mais elles sont encore trop peu présentes au sommet de la hiérarchie. La communication est un domaine où travaillent beaucoup de femmes mais elles sont beaucoup moins présentes aux postes de direction. Il y a aussi peu de « présidentes » d’organisations professionnelles...



Quels sont les objectifs de ces Trophées des Communicantes ?

Il s'agit d'abord de convaincre les femmes de se rendre visibles. Ensuite, aider ceux qui cherchent des intervenants à repérer les femmes qui ont une expérience qui peut les intéresser. Enfin, proposer de nouveaux modèles pour les jeunes filles, auxquelles elles puissent s’identifier. Nous espérons que nos trophées permettront aux plus jeunes de se projeter dans le haut de la hiérarchie, d'augmenter la visibilité des femmes dans notre secteur et aussi de les pousser à se rendre plus visibles. On veut, plus globalement, contribuer à une prise de conscience.



Que récompensent ces Trophées ?

Pas une action précise ou les réalisations d’une entreprise mais une personne dont le savoir-être et la posture sont remarquables. Nous avons six trophées de la communicante – influente ; innovante ; prospective ; parcours singulier ; jeune talent et mixité. Tous nos jurys sont mixtes car la mixité est un sujet qui concerne les hommes et se construit avec eux. C’est une richesse pour tous : hommes, femmes et entreprises. Elle apporte une richesse de points de vue qui rend les équipes plus créatives et introduit plus d’écoute dans les relations, et au bout du compte, elle augmente les résultats des entreprises.

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