Ressources humaines
Le télétravail semble être dans l’air du temps. Si la loi s’en est emparée, le chemin est cependant encore long pour que cette réalité entre réellement dans les mœurs de l'entreprise.

Rendez-vous téléphonique est pris. Isabelle Barèges est à Toulouse, Ludivine Di Méglio à Montpellier. L’une à domicile – « dans mes combles, interdits à la circulation » –, l’autre dans un espace de coworking. Toutes deux sont cofondatrices de ComRP, agence de communication spécialisée dans le bio. Depuis la création de ce tandem féminin en 2009, le télétravail est la modalité retenue. « Même si la configuration a un peu évolué depuis, ce choix est en parfaite cohérence avec notre positionnement, explique Ludivine Di Méglio. Ce n’est pas une question financière. Plus de palabres inutiles, ce système impose d’être plus rapidement opérationnelles. »
Un peu à la manière de Monsieur Jourdain, certaines entreprises – comme l’agence ComRP – n’ont donc pas attendu « l’ordonnance Macron » pour pratiquer le télétravail. Pour reprendre une expression qui fait florès, c’est même dans leur ADN.  Mais, si deux salariés sur trois semblent le plébisciter, tous ne sont pas logés à la même enseigne. Selon l’enquête annuelle publiée par Malakoff Médéric Humanis en février dernier (lire encadré), 29 % des salariés déclarent télétravailler, dont 9 % régulièrement aujourd’hui, contre 6 % un an auparavant, soit un bond de 50 % – mais on part de très très bas.

Le cadre juridique est encore tout récent puisqu’il date du 22 septembre 2017. Six mois après, c'est l'occasion de mettre un coup de projecteur sur un process très variable d’un secteur à l’autre, d’une entreprise à l’autre, voire d’un service à l’autre. C’est notamment le constat dressé par Blandine Langlois, directrice des ressources humaines du groupe Les Echos-Le Parisien. Mise en place fin 2017 dans ce grand groupe de presse, cette modalité a suscité l’adhésion de 13 % des salariés. « Si les journalistes dans les rédactions sont des populations naturellement nomades, c’est ce à quoi on s’attendait globalement, souligne Blandine Langlois, mais ce taux grimpe à 30 % du côté de la régie publicitaire. »

 

Un process à border

Quels sont les métiers pour lesquels c’est possible ? Quels sont les autres ? Qu’est-ce que l’on peut faire mieux en télétravail qu’en agence ? Quelles sont les tâches concernées (la rédaction de « reco », par exemple) ? Quels freins sont à lever en matière d’équipement informatique ? Quel impact cela peut avoir pour l’équipe ? Autant de questions d’actualité chez BETC, agence de publicité de quelque mille salariés, lors de la phase de test du télétravail en 2015 – quelques mois avant d’emménager à Pantin. Le dispositif a été bordé pour déboucher sur un accord d’entreprise. « La solution trouvée est de l’autoriser jusqu’à quatre jours par mois, explique Sophie de Gromard, DRH du groupe. 60 % de nos salariés l’utilisent régulièrement. » Selon l’étude Malakoff Médéric Humanis, la durée idéale pour les salariés est de 6,7 jours par mois. Un dispositif comparable existe chez Prisma Media où les salariés peuvent poser quelques jours de télétravail en fonction de leurs nécessités.

Il n'empêche, malgré les facilités qu'offrent les technologies, les réticences sont encore nombreuses dans le milieu de la communication et des médias. « Le besoin d’affichage est toujours prégnant, regrette Pascal Laroche, directeur général adjoint de Premium-SCM, agence digitale. Il est de bon ton de montrer sa capacité à beaucoup travailler, en équipe, à avoir des horaires élastiques… De chez vous, vous le montrez moins ! » De là à en déduire une motivation en berne ? Il n’y a qu’un pas que certains managers franchissent encore facilement, d’où une pression que s’imposent les salariés adeptes du télétravail, avec une amplitude horaire plus large. Sans compter le sentiment que la présence physique importe pour s'imposer dans l'entreprise, nouer des contacts utiles, favoriser sa promotion...

 

« Full remote »

Nicolas Bouzou est pourtant convaincu que le télétravail peut être un gage d'efficacité. Avec Julia de Funès, dans La comédie (in)humaine, il en fait même l’une de ses quinze propositions. « Plébiscité par les salariés, il oblige à instaurer une relation de confiance entre management et salariés. » Chez Castor & Pollux, c’est open bar pour le télétravail. « Pas de limite de temps, pas de justification, un droit d’accès ouvert à toutes les équipes, résume Lucille Pheulpin, directrice des ressources humaines de l'agence. On s’attèle à la transformation digitale de nos clients. Aussi, parler de mobilité est tout à fait normal. » Cette jeune agence parisienne a même – voici cinq mois – décidé de pousser plus loin la démarche, avec le « full remote », autrement dit 100 % télétravail. « Avec un marché de l’emploi en tension, cette modalité, commente encore Lucille Pheulpin, permet de ne pas se limiter à la seule Île-de-France pour recruter. » Deux recrutements récents ont ainsi fait reculer les limites géographiques habituelles.
À la tête de Ketil Media, régie publicitaire indépendante, Vincent Buffin redoute l’effet boomerang de l’ordonnance Macron. « Le jour où vous codifiez, vous ôtez la souplesse du système. On régule trop ! » Le coup de pouce viendra probablement de la nouvelle génération – les fameux millenials –, plus soucieuse d’un meilleur équilibre vie professionnelle/vie privée. « Au même titre que la mutuelle ou les journées en RTT (réduction du temps de travail), conclut Blandine Langlois, cela fait partie du kit. » BETC en a fait l’un des arguments de sa marque employeur. Le télétravail est devenu un facteur d’attractivité.

Trois questions à…

Anne-Sophie Godon, directrice innovation chez Malakoff Méderic Humanis
«Le premier bénéfice est sanitaire»

Le télétravail est-il un problème de riches ?
C’est une question de secteur d’activité. Son développement intervient en effet plus spécifiquement dans le champ des services, chez les cadres et surtout pour des salariés âgés de 35 à 45 ans. Mais aujourd’hui, le seul frein à la diffusion du télétravail demeure le secteur d’activité, comme le BTP par exemple.

En quoi le télétravail serait une formule gagnant-gagnant ?
Le premier bénéfice à souligner est d’ordre sanitaire. 85 % des télétravailleurs se déclarent moins fatigués, 79 % ont une santé améliorée. Sans parler de la qualité de sommeil recouvrée. Eux aussi bénéficiaires, les dirigeants constatent un engagement accru des salariés (79 %), une plus grande efficacité des équipes (79%), un gain en matière d’image de l’employeur (69 %) et une baisse de l’absentéisme (49 %). Mais le télétravail nécessite une maturité. Tous les salariés n’ont pas les qualités requises. C’est une responsabilité qui pèse sur les épaules des managers. Aux deux premiers gagnants, il faut en ajouter un troisième, à savoir la société dans son ensemble. L’impact sur l’environnement n’est pas négligeable, avec moins de déplacements. Par ailleurs, le télétravail constitue une opportunité ou un outil pour développer l’emploi des plus fragiles.

Le télétravail est-il parfois en balance avec des augmentations de salaire ?
Ces deux sujets doivent être totalement déconnectés l’un de l’autre. Par ailleurs, aucune obligation ne pèse sur le chef d’entreprise de compenser financièrement la consommation électrique ou de cartouches d’encre, par exemple, dont beaucoup de salariés bénéficient.

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