Formation
La question de la pratique de l'anglais chez les Français suscite encore trop souvent une moue embarrassée. Natanael Wright, président du réseau Wall Street English en France, pointe les blocages persistants et les moyens d’en venir à bout.

Le plan d'investissement dans les compétences (PIC) de 15 milliards d'euros, présenté par Édouard Philippe à la fin 2018, est pour moitié affecté aux régions pour des actions de formation. Peut-il favoriser l'apprentissage de l'anglais ?

Natanael Wright. Il est particulièrement intéressant concernant les langues. C'est le seul type de formation qui permet d'apporter une compétence qui n'exige aucun prérequis. Apprendre l'anglais n'exige aucun diplôme. Le plus idiot des Anglais parle anglais ! S'engager dans une formation pour apprendre l'anglais met tout le monde au même niveau. Qu'on soit cadre supérieur ou ouvrier, on sera débutant. La différence se situe dans l'appétence à se former. Pour les gens éloignés de l'emploi, c'est le moyen d'entrer dans un parcours de succès car ils vont constater rapidement que leur niveau progresse. Le PIC peut donc constituer une grande opportunité de rapprocher du monde du travail les personnes éloignées de l'emploi. Mais il faut aussi changer de méthode. Les personnes éloignées de l'emploi sont souvent des décrocheurs. Or, les formations que leur proposent habituellement les pouvoirs publics se déroulent dans des conditions proches de celles qu'ils ont connues plus jeunes, à l'école.

 

En quoi est-ce problématique ?

Ils se retrouvent souvent avec une vingtaine d'autres apprenants dans une salle. Tout cela leur rappelle inévitablement les conditions pénibles qui les ont conduits à l'échec. Cela ne peut pas marcher. Il faut d'autres types de formation, avec un nombre réduit de personnes. Mais l'obstacle majeur, aujourd'hui, c'est que la plupart des gens ignorent encore qu'ils disposent d'un capital sur leur compte personnel de formation (CPF). Beaucoup de salariés diposent déjà de plus de 3000 euros pour se former et ne le savent pas. C'est cela qu'il faut changer. Une fois informés, les salariés sauront faire les bons choix. 

 

L'accès à l'anglais a t-il évolué avec la modification des règles de la formation ?

Le marché a changé de dynamique. Avant le CPF, le marché était contrôlé par les responsables de formation et les branches à travers les OPCA [devenus depuis des opérateurs de compétences (OPCO)]. Ce système mobilisait beaucoup d'argent pour assez peu de résultats. Il était d'ailleurs une exception. Ailleurs qu'en France, les gens se forment individuellement. Depuis la loi Avenir professionnel, le CPF a remplacé le DIF et les salariés ont le choix. S'ils souhaitent se former durant leur temps de travail, ils doivent obtenir l'accord de leur employeur. Dans les faits, 95 % des gens préfèrent se former sans que leur employeur le sache et hors de leur temps de travail. Ce fut une surprise. Je n'imaginais pas que tant de gens préféraient se former par eux-mêmes.

 

Le nouveau système peut-il changer la donne ?

Ce sont toujours les salariés les plus diplômés qui se sont le plus formés. Dans l'ancien système, les entreprises créaient des biais qui favorisaient toujours les mêmes catégories de personnes. Aujourd'hui, le jeu est plus ouvert. Chaque salarié dispose désormais librement d'un montant pour financer la formation de son choix et il n'est plus bloqué par un responsable de formation qui décide qui sera prioritaire ou ne le sera pas. Cette ouverture va augmenter l'appétence pour l'anglais des gens qui ne sont pas cadres.


Quel est le niveau actuel d'anglais des élèves en France ?

Une étude récente a estimé que les performances des élèves français, du collège jusqu'au lycée, ont légèrement augmenté mais ils restent incapables de poser une question oralement. Or l'université ne propose aucun cours d'anglais. Quant aux grandes écoles, ils proposent des cours sur CD-Rom et surtout des stages à l'étranger. C'est là que les étudiants apprennent à parler anglais. Globalement, le niveau d'anglais des personnes situées entre la Terminale et l'âge de 25 ou 26 ans a tendance à baisser. Une étude récente du British Council a conclu que le nombre d'apprenants pourrait baisser du fait de la démographie mais les besoins vont augmenter de sorte que la demande de formation va en réalité augmenter.


Et le niveau d'anglais des salariés en France ?

Le niveau global est assez faible. La France se classe à l'avant-dernière place au sein de l'Union européenne. D'autres pays comme la Pologne ou la Roumanie nous ont dépassé. Apprendre l'anglais suscite un réel intérêt. Dans la quasi-totalité des cas, la formation est déclenchée par un motif professionnel. Les salariés veulent apprendre l'anglais dans l'espoir d'augmenter leur rémunération, ce qui va souvent de pair avec un nouvel emploi. La part de ceux qui entament une formation pour leur loisir est très faible. Ce qui est intéressant avec la loi actuelle qui a institué le CPF, c'est que la formation repose entièrement sur une décision individuelle. Désormais, les salariés disposent d'un budget car l'ancien système qui attribuait des heures de formation a été transformé en somme en euros, l'heure étant valorisée à hauteur de 15 euros. Les salariés qui n'ont suivi aucune formation depuis dix ans disposent donc d'une somme de 3 240 euros et, depuis le 1er janvier 2019, 500 euros viennent s'ajouter chaque année au montant déjà stocké sur leur compte CPF.

 

Les outils digitaux menacent-ils le dispositif classique de formation présentiel ?

Les études les plus récentes du British Council montrent que les systèmes d'e-learning ne vont pas remplacer les professeurs. La plupart des gens commencent puis abandonnent après une dizaine d'heures. Ces systèmes vont cependant favoriser et améliorer l'apprentissage de l'anglais. Nous avons adopté depuis trois ans l'usage de tablettes et de smartphones pour mieux préparer les cours. Ils impliquent davantage les apprenants dans la préparation des cours et ils peuvent se former sans se déplacer. Nous avions une crainte au départ : que les apprenants ne s'impliquent pas dans la préparation des cours car il n'étaient plus sur place mais c'est l'inverse qui s'est produit. Le temps de transport a été partiellement converti en formation de sorte que le nombre d'heures que les apprenants consacrent chaque mois à la formation a augmenté en moyenne de 15 %.


Les Gafa et leurs enceintes connectées vont-ils supplanter les professeurs en chair et en os ?

Je ne crois pas que les enceintes connectées d'Amazon ou de Google seront des outils qui vont concurrencer la formation classique des langues. Il y a bien sûr les systèmes qui permettent de faire traduire par son smartphone ce que l'on souhaite demander mais ce ne sont pas des systèmes simultanés et puis cela ne permet pas d'accéder réellement à une autre langue ni à une autre culture. L'idéal serait qu'un tel système traduise vos propos à mesure que vous les émettez, de façon simultanée, mais là encore, il reste un défaut : ce n'est pas votre voix qu'entendrait votre interlocuteur.

Le développeur du réseau 

Après avoir fait ses premières armes au Kenya dans le monde bancaire, Natanael Wright arrive en France. En 1993, à 26 ans, il prend les rênes du réseau Wall Street English. Il va le développer comme jamais. Entre 1993 et 2010, le chiffre d’affaires va ainsi progresser de 700 000 euros à près de 40 millions d'euros et le nombre de centres est multiplié par 25, passant de 2 à 50. Après avoir basé son développement sur les cours d’anglais à destination des agences de publicité, le réseau élargit sa clientèle, ajoutant les particuliers aux entreprises.

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