RH
Il est à la fois la cheville ouvrière des éléments de langage produits en interne, le réceptacle de toutes les fiertés et failles de l’entreprise et un acteur trop souvent ignoré dans la conduite du changement. Témoignages.

C’est à une radiographie d’une profession que s’est livrée l’Association française de communication interne (AFCI) à travers son enquête Occurrence (lire interview). Il en ressort la vision d’un métier - généralement rattaché à la direction la communication - qui se pense au centre des organisations, trouve son sens et son autonomie au travail (65% disposent d’un budget), mais fait encore face à de nombreux obstacles pour s’imposer comme un acteur stratégique de l’entreprise dans la conduite du changement.

«Fabricant de com»

On est pourtant frappé par l’enthousiasme des communicants internes qui estiment à 92 % que la transformation digitale est une chance pour leur métier. «Ce n’est pas le demeuré qui a peur, relève Ingrid Maillard, présidente de l’AFCI et directrice de la communication de DPD Group (La Poste). Il est très mobilisé par la révolution numérique car il voit ce que cela peut apporter dans sa relation avec les autres. Mais il lui faut dépasser la question des ressources qui est souvent un frein, quand on a par exemple un intranet où il faut se logger ou pas d’annuaire partagé». Il doit aussi défendre son rôle face à des directions générales ou de la transformation qui ne mettent pas toujours, loin de là, la communication interne au cœur de leurs actions. «C’est un métier qui n’est pas très bien assis, qui a besoin d’être plus perceptible de l’extérieur, constate Marc Renaud, directeur de la communication interne de Leroy Merlin. Il est encore perçu comme le fait de gens qui fabriquent de la com alors qu’il doit se positionner comme l’activité de gens qui accompagnent la mutation de la boîte.»

Chef d'orchestre polyphonique

La question des alliés dans le management est centrale. Emmanuelle Bravard, dircom au sein de la direction de la transformation du groupement Les Mousquetaires, en a fait l’expérience en menant de front un déménagement en open space et une réorganisation interne. «On demande à la fois de se transformer et de produire, note-t-elle. On fait donc en sorte que les managers soient en avance de phase pour qu’ils soient des facilitateurs, des pédagogues, des passe-plats. Mais il arrive que ce qu’on leur demande de faire soit en porte-à-faux avec la production.» D’où l’importance de faire comprendre au manager qu’on met à sa disposition un temps d’investissement dans la préparation du changement, que c’est du temps gagné pour la suite. Pour échanger sur les bonnes pratiques, une «communauté des managers» a été mise en place sur Workplace.

Selon Ingrid Maillard, le management intermédiaire est souvent plus facile à sensibiliser que la direction générale. «Le communicant interne doit être un chef d’orchestre polyphonique et non la voix de son maître, soutient-elle, avec une part d’écoute qui passe par quelque chose d’informel. Mais beaucoup de dirigeants se disent “que fait le responsable de la com interne au lieu de bosser ?”».  D’où la difficulté à légitimer pleinement un rôle, qui implique de faire remonter des informations.

«La place du communicant interne va différer en fonction de la sincérité du management», estime Marc Renaud, à Leroy Merlin. Au sein de 142 magasins, le recueil des discussions et des avis en interne s’avère clé pour la manager car c’est une courroie de transmission qui fonctionne dans les deux sens. Mais encore faut-il que la «com interne» s’insère au plus près de la stratégie. «Il faut qu’elle soit intégrée comme un élément de la décision plus que comme un outil qui doit porter la décision», synthétise-t-il. Selon Occurrence, seuls 18% des managers ont des objectifs liés à leur pratique de la communication de proximité.

Le poids du faire

Les communicants souhaitent ainsi mieux équilibrer leur intervention du côté de l’écoute et du conseil, pour se dégager du «poids du faire». Selon les deux tiers, leurs compétences clés sont la capacité à entrer en relation avec les divers acteurs de l’entreprise, avoir une vision stratégique et savoir écouter. «Quand on gère de la transformation, on ne peut pas se contenter de faire de l’information descendante, observe Guillaume Aper, directeur de la communication interne de JCDecaux, il faut garder du temps pour entendre les gens, savoir si la com passe, au besoin réajuster. Le communicant interne est un passionné qui n’est pas dans la même temporalité que la com extérieure. Il est obligé de connaître l’entreprise intimement, d’aller dans ses entrailles…» Ce travailleur de l’ombre doit aussi, selon lui, s’arranger pour que «sa boutique clignote», pour qu’on ne l’appelle pas «une fois que les projets sont déjà ficelés».

Ses trois principaux outils sont l'intranet ou le réseau social d’entreprise - jugés peu efficients -, la newsletter et le journal interne. Viennent ensuite l’événement, le réseau ou le site tournés vers l’extérieur. Une dichotomie qui est le reflet du distinguo établi avec le communicant externe. Mais un tel clivage fait-il encore sens à l’heure de la porosité entre vies pro et perso ? Guillaume Aper le pense, même s’il estime qu’il faut réduire le décalage avec l’écriture vidéo UGC : «On ne peut donner la même chose au client et au salarié, qui a un niveau d’analyse et de connaissance aigu.»   

Il revient enfin aux directions de s’interroger sur la charge mentale et la lourdeur des processus de validation. Au carrefour du management, des RH et de la communication, le professionnel se retrouve souvent dans des équipes moins nombreuses où on lui demande beaucoup. Et face à l’attente du OK devant sa boîte mail, Emmanuelle Bravard a éprouvé sa propre technique : «J’ai obtenu une rallonge budgétaire en en obtenant le retour sur investissement en coût horaires. Il faut savoir parler le même langage que le DAF [Directeur administratif et financier]

« Le sentiment d’être à la bonne place »

Sophie Palès, déléguée générale de l’AFCI.



Pourquoi cette étude quanti et qualitative ?

À l’occasion des 30 ans de l’association, qui regroupe 500 membres, on s’est demandé qui nous étions, les enjeux qui se profilent, comment les adresser etc. Les données dont nous disposions dataient de 2012. Nous avons eu 367 réponses sur le questionnaire d’Occurrence, en avril, et un volet qualitatif sur l’aspect psychosocial et les ateliers de codesign.



Quel est le défi majeur ?

La communication managériale. Elle doit être à la fois portée par les managers en tant que communicants et soutenue par la com interne. L’idée perdure pour un manager que communiquer est une tâche en plus de son job. Pourtant, on peut glisser une action de communication de dix minutes dans une réunion du matin. Il ne s’agit pas de projeter 40 slides. Pour une équipe de la production, il peut être par exemple intéressant d’avoir une information sur les ventes. Cela permet de montrer que l’on fait partie d’un ensemble.



Qu’est-ce qui vous a le plus frappé dans l’étude ?

À quel point la question psychosociale de l’identité, du parcours éclaire les chiffres. Les communicants internes ont le sentiment d’être à la bonne place, au centre de l’entreprise, dans les rouages de l’organisation… Aux manettes, ils trouvent du sens et de l’autonomie au travail. Mais comme ils sont plutôt en retrait et dans l’ombre, ils ont du mal à émerger dans le jeu de l’entreprise alors qu’ils ont la capacité d’entrer en relation avec tous ses acteurs. L’enquête montre aussi que si l’intranet fonctionne pas mal, la dimension conversationnelle et collaborative marche moins bien. Les interviewés sont assez sceptiques sur les réseaux sociaux d’entreprise. Mais on ne peut pas tout en attendre. On ne développe pas de transversalité entre des gens qui ne se sont jamais rencontrés ! Si la technologie est adaptée et non pas hors sol, elle est pertinente.

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