Formation
Début octobre, L’École de design Nantes Atlantique était à Pune, en Inde, pour l’inauguration officielle de son India Studio. Des designers français se forment ainsi au design thinking.

Pune, métropole indienne de 6 millions d’habitants, à 148 kilomètres au sud de Bombay, est surnommée l’Oxford de l’Est. C’est là, en périphérie de la ville, que se trouve le verdoyant campus du MIT Art, Design and Technology, une université privée de 48 hectares qui accueille depuis un an l’India Studio de L’École de design Nantes Atlantique. « Nous avons enfin trouvé un partenaire capable de délivrer des diplômes d’État et des visas sans difficulté », explique Christian Guellerin, le directeur général de l’école. Ce 9 octobre, il est en Inde avec ses équipes pour la signature d’un accord de coopération avec le MIT. L’heure est à la visite des locaux avant les discours officiels. Le calme et la propreté du campus contrastent avec l’effervescence de Pune, une ville tentaculaire et chaotique où les conducteurs de motos et de rickshaws circulent le doigt appuyé sur le klaxon.

Au premier étage, Hélène Thébault, responsable pédagogique de l’India Studio, réunit ses étudiants : quinze designers français fraîchement diplômés. Après trois années d’étude, ils avaient le choix d’effectuer un master « design et interculturalité » en Chine, au Canada, au Brésil ou en Inde. Ils n’ont pas hésité. « Ceux qui viennent ici sont attirés par l’artisanat et par l’innovation sociale », indique Hélène Thébault. L’Inde commence par ailleurs à miser sur le design pour porter une économie en croissance de 6,8%. « Il n’existait qu’une poignée d’écoles il y a dix ans. Elles se multiplient aujourd’hui », poursuit-elle.

La majorité des étudiants sont logés dans des résidences surveillées où ils vivent en colocation. Certains ont dû emprunter pour financer ce master dont les frais de scolarité s’élèvent à 15 400 euros (7700 euros par an). Chacun a dû également trouver un stage. Marine Bigot, 24 ans, a opté pour Studio Course, fondé par Kalpak Shah. Cet architecte de 32 ans travaille avec élégance le bois, sans colle et sans vis, pour créer des espaces et des meubles sur mesure. Marine est associée à son prochain projet : l’aménagement intérieur d’une maison privée de 4000 mètres carrés à Nairobi, au Kenya. À peine arrivée, elle s’est mise à dessiner une bibliothèque et des chaises. « J’ai carte blanche», explique-t-elle, ravie.

« Ici, on n’attend pas les demandes des clients »

Amélie Wehrung, 21 ans, a opté pour Turian Labs, une agence de design thinking travaillant entre autres pour Google. « En ce moment, je fais de la veille et des études pour le gouvernement finlandais en quête d’opportunités sur le marché indien », explique-t-elle, enjouée. Théophile Nogrix, 20 ans, ne tarit pas d’éloges sur Lemon Design, une agence qui lui a tapé dans l’œil et qui, bonne surprise, le rémunère. « Je suis en train de dessiner un parc communautaire de 300 mètres carrés et le concept d’une micro-brasserie pour bière artisanale. Je vois le client jeudi », raconte-t-il.

Manon Leverrier, elle aussi, ne chôme pas. Formée en design interactif, elle a rejoint Wolffkraft, une agence d’UX Design dont elle apprécie la démarche. « Ici, on n’attend pas les demandes des clients. On frappe à la porte des entreprises en proposant des services ou des produits innovants », explique-t-elle. La plupart sont top secret, comme ce service imaginé pour les utilisateurs d’Alexa dans le domaine de la santé mentale. « C’est mon idée qui a été retenue et qui est en cours de développement », commente-t-elle, aux anges.

« C’est l’un des grands intérêts de ce cursus à l’international : démarrer d’emblée avec des missions qui seraient réservées en France à des salariés expérimentés », commente Frédéric Degouzon, directeur recherche et développement de l’école. L’India Studio va également former les étudiants au design thinking en les poussant à s’intéresser de près à des utilisateurs issus d’une autre culture. « L’apprentissage repose sur l’observation et la pratique avec des ateliers sur le terrain complétés par des apports théoriques et méthodologiques », précise Hélène Thébault.

Un moyen de redynamiser l’artisanat indien

En deuxième année, ils choisiront un projet issu d’une problématique identifiée au cœur de la société indienne. Les idées ne manquent pas. Emma Sioufi, designer d’objet, souhaite redynamiser par le design l’artisanat indien en repensant et modernisant des produits qui ont du mal à se vendre. « L’enjeu est important car il en va de la vie de villages entiers comme de la sauvegarde de savoir-faire aujourd’hui menacés », explique-t-elle.

Aurore Souchet veut remettre en avant la pratique de l’Ayurveda, médecine traditionnelle indienne, dans un pays dont les habitants sont friands d’antibiotiques. Leurs expertises intéressent également les entreprises françaises. À commencer par Groupe Atlantic. Ce « créateur de solutions de confort thermique » souhaitait s’implanter en Inde sur le secteur de l’eau chaude sanitaire. « Nous avions besoin de concevoir des produits adaptés à un pays où l’on utilise un seau pour se laver ou pour laver le sol », explique Emmanuel Terrien, directeur du design du groupe et ancien élève de l’école. Les étudiants de l’India Studio ont planché sur les habitudes et les besoins des utilisateurs avant d’imaginer des réponses. « Elles étaient très pertinentes. Deux sont d’ailleurs en cours de développement avec l’appui, cette fois, d’agences de design locales. D’ici un an, nous pourrons ainsi lancer en Inde un nouveau produit et un service inédit », poursuit-il sans vouloir en dire plus. Autant d’initiatives et d’expériences que ces jeunes designers pourront faire valoir dans un CV en vue d'un éventuel retour.

Entretien

« Nous ouvrirons un campus mondial à Nantes »

Christian Guellerin, directeur général de L’École de design Nantes Atlantique



L’École de design Nantes Atlantique est en Inde et vous venez d'ouvrir une école réservée aux Africains à Cotonou au Bénin...

Tous les pays émergents ou en développement ont besoin de designers. Et dans un monde qui se globalise, tout ce qui touche à l’identité culturelle et aux besoins spécifiques des utilisateurs est primordial. Le pire serait de former des designers globaux dans un monde global. Or, pour des Français, quoi de mieux qu’un voyage pour interroger et identifier sa propre culture et celle de l’autre.



D’autres projets d’ouvertures ?

Nous sommes en quête de partenaires à Mexico et à Istanbul. D’une manière générale, nous tablons sur des capitales et mégalopoles qui concentrent toutes les problématiques auxquelles les designers vont êtres confrontés : la mobilité, le vieillissement, la gestion de l’eau, le commerce de proximité…



Comptez-vous accueillir des étudiants indiens à Nantes ?

Oui, et nous allons recevoir des étudiants en provenance de tous les pays où nous sommes implantés. Notre ambition est de créer un véritable campus mondial dans de nouveaux locaux en cours de construction à Nantes, un bâtiment de 11 000 mètres carrés signé Marc Mimram, Gaëlle Péneau et Patrick Jouin et pour lequel sont investis 26,4 millions d’euros. Il ouvrira en 2022 et sera situé sur l’île de Nantes dans le quartier de la création. Il accueillera 1 650 étudiants. L’objectif est de délivrer, chaque année, 250 diplômes bac + 5. C'est un gros enjeu pour nous : le plus important investissement immobilier en France dans le design depuis dix ans !

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