Métiers
Isolement, déconsidération, cadre juridique flou… La profession des vidéastes indépendants du web – ou youtubeurs – est encore en phase de structuration. La Guilde des vidéastes vise à représenter ces professionnels d’un genre nouveau. Interview de son directeur général Guillaume Hidrot.

«Un ado qui se filme dans sa chambre avec sa webcam.» Les clichés qui entourent les créateurs de contenus sur le web sont encore très résistants. Pourtant, la réalité derrière ce métier déjà vieux de dix ans est diverse et complexe. Quatorze ans après le lancement de YouTube, le nombre de vidéastes a explosé en France, tout comme les plateformes de diffusion. Derrière des méga-influenceurs comme Squeezie, Léa Elui ou EnjoyPhoenix, des créateurs se lancent tous les jours pour tenter de vivre de leur passion. Ceux qui cherchent à se professionnaliser manquaient encore d'une structure indépendante pour réunir les bonnes pratiques et défendre leurs intérêts. La Fédération des métiers de la création audiovisuelle diffusée sur internet, ou Guilde des vidéastes, a vu le jour en juin 2019, soutenue par le CNC et des associations d'auteurs (SACD, Sacem, Scam). Son directeur général, Guillaume Hidrot, précise pour Stratégies les enjeux de ce syndicat professionnel en herbe qui se consacre aux questions sociales, d'égalité, ou à la promotion du secteur.

 

Pourquoi «vidéastes» et pas «youtubeurs», «créateurs» ou même «influenceurs»?

À l’origine, la profession était surtout concentrée sur YouTube, et on parlait communément de youtubeurs. Mais les plateformes se sont multipliées –Instagram, Snapchat, TikTok… La tendance est au terme «influenceurs», mais il ne contribue pas à une meilleure considération de l’activité. Il est réducteur car il ne dit qu’une partie du métier. Nous avons choisi «vidéastes», plus englobant. Surtout, nous voulions absolument sortir du rattachement à la marque YouTube. D’ailleurs, même Google utilise désormais le terme vidéaste. Enfin, ce mot a l’avantage d’être inclusif. 

 

Quel est le rôle de votre fédération ?

Notre mission principale est de représenter les vidéastes face au reste du monde. Porter leur vision, faire comprendre leurs enjeux, défendre leurs intérêts, se battre pour faire bouger les lignes du cadre juridique, et surtout faire reconnaître la création de vidéos sur internet comme une vraie profession. Ce projet est vraiment né des vidéastes eux-mêmes, avec la volonté d’avoir plus de poids politiquement. Jusqu’ici, les institutions rencontraient les vidéastes mais de manière individuelle. Plus de poids également face aux plateformes. Nous avons aussi un rôle de centre de ressources: nos adhérents sont informés des textes administratifs, des propositions de loi et de toute l’actualité du secteur. Nous les aidons aussi à faire les bons choix en termes de stratégie professionnelle. Certains ont parfois souscrit à un statut peu avantageux car ils ont été mal conseillés. 

 

Avez-vous des difficultés à recruter des adhérents ?

C’est un milieu constitué majoritairement de jeunes, qui ne se considèrent pas toujours comme des professionnels. Cotisations pour la retraite, assurance maladie, épargne, impôts, mais aussi subventions, aides à la création… Ce sont des questions que les jeunes créateurs ne se posent pas forcément. La Guilde est forcée d’aller les chercher un par un, pour qu’ils comprennent l’intérêt d’une telle initiative. Ils sont très sollicités par de nombreux intermédiaires qui cherchent à profiter d’eux, et sont devenus très méfiants. Pour autant, l’association a dépassé en moins d’un an les 150 adhérents. Nous comptons doubler ce nombre en 2020.

 

Quelle est la réalité professionnelle des vidéastes ?

Les créateurs indépendants (vidéastes, dessinateurs, auteurs de podcast, écrivains, gamers...) constituent une profession dont les réalités peuvent être très différentes. Son modèle socio-économique est assez inédit. Un même individu est souvent à la fois auteur, réalisateur, monteur, acteur, producteur, média, diffuseur, etc. Ce qui n’est pas le cas dans d’autres métiers de l'audiovisuel, qui sont plus sectoriels. Il s’agit donc d’une somme incalculable de métiers, ce qui rend très complexe sa définition. Ces créateurs sont à la fois patron et salarié. Vis-à-vis d’autres filières, ils n’ont pas accès aux mêmes conditions de travail. Par exemple, sur internet, bien souvent la création se fait avant d’être payé, avec les risques que cela représente. L’indépendance et l’isolement placent les vidéastes sous les radars des droits sociaux. Quand on parle des influenceurs, on pense souvent aux plus gros qui génèrent beaucoup d’argent, mais la majorité des indépendants n’ont pas les moyens de s’entourer d’avocats, d’agences, etc.

 

Envisagez-vous un texte sur les bonnes pratiques, une forme de déontologie ?

Nous avons rédigé un manifeste qui pose les bases de notre projet. Cependant, cette question peut parfois être mal comprise de la part des créateurs. Car s’il est de notre mission de rappeler le cadre de la loi ainsi que le contexte déontologique ou éthique de toute production culturelle, nous n’avons pas à juger de la qualité ou de la légitimité de leurs contenus. Il n’est pas question de stigmatiser ou limiter certains types de créations. Si les contours de la convention collective changent, cela impactera tout le monde, et pas uniquement ceux qui respecteraient les bonnes pratiques.

 

Quels sont les chantiers de 2020 ?

La grande étape du moment, c’est d’obtenir des aides financières, à travers les cotisations, le mécénat, les aides publiques (Régions, Pôle Emploi, etc). Pour cela, nous devons poursuivre notre travail d’«évangélisation». Nombre d’organisations ne savent pas que c’est un métier, que ce sont des professionnels qui écrivent leurs vidéos, qui les tournent, montent avec des logiciels complexes, qui ont finalement les mêmes compétences que tous les professionnels de l’audiovisuel. Mieux informer les organisations publiques ou privées, françaises ou étrangères, faire reconnaître la création d’emplois que génère ce secteur, sa force économique, fait partie de nos objectifs également. Nous voulons mesurer, éclairer, et apporter un côté «observatoire» à la filière. Notre ambition est aussi de rassembler toujours plus de vidéastes afin de transformer rapidement notre association en une fédération professionnelle forte.

YouTube en France

(source : YouTube)

• 500 heures de vidéos ajoutées sur la plateforme chaque minute.

• 46 millions de visiteurs uniques par mois.

• Plus de 300 chaînes YouTube ont dépassé 1 million d’abonnés (contre 410 en Angleterre et 150 en Allemagne), soit deux fois plus qu’en 2017.

 

L’audience de YouTube en France

(source : Médiamétrie)

• 39 millions de Français de 18 ans et + regardent des vidéos sur YouTube

Temps moyen passé sur YouTube : 

• 46 minutes pour les 18-34 ans.

• 27 minutes pour les 25-49 ans.

• 78% des vidéos sont consultées sur mobile en France en 2019.

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