Agences
Plus encore que d’autres secteurs d’activité, la publicité est coutumière du recrutement boomerang, qui consiste à réembaucher un ex-salarié. Et si partir pour revenir s’avérait bénéfique pour s'imposer en agences ?

C’est une situation que beaucoup de salariés rencontrent au cours de leur carrière. Comme l’impression d’être arrivé au bout du chemin. D’avoir bouclé la boucle. Ou tout au moins de plafonner. Que faire pour y remédier ? Partir ? Rester ? Ce dilemme, les salariés du secteur de la communication y sont confrontés comme les autres, même si le nombre moyen d’employeurs dans une carrière grimpe en flèche. Mais peut-être même plus qu'avant, à en croire Pascal Nessim, président de l’agence Marcel et observateur avisé du monde des agences. « C’est un phénomène classique, notamment chez Marcel où c’est particulièrement vrai avec des collaborateurs qui en sont à leur deuxième, voire troisième, contrat de travail à durée indéterminée. À tel point qu’on parle chez nous de ‘‘returnover’’ », s’en amuse le dirigeant de l’agence du groupe Publicis, faisant référence -entre autres- à Jérémie Bottiau, directeur de création parti en 2016 et revenu en 2018, ou à Barbara Cruchet, directrice de clientèle rentrée au bercail en octobre dernier après un an chez Rosapark. Car si pour d’autres métiers, départ rime avec adieu, dans les agences, ce serait plutôt un au revoir.

Amours et trahisons

Certes, il n’existe pas de statistiques pour le prouver, mais la pratique semble régulière et acceptée désormais. Un changement de mœurs loin d’être anecdotique dans un milieu où tout un chacun peut potentiellement rallier la concurrence. « C’est ce que les recruteurs qualifient de recrutement boomerang », pointe Charlotte Vitoux, à la tête du bureau français d’Aquent, agence internationale de recrutement et d’intérim spécialisée dans les métiers du marketing, de la création et du digital. « Un nombre croissant d’employeurs y est ouvert sachant que cela présente deux avantages. D’une part, cela permet au salarié qui a le sentiment de stagner de se challenger, d’acquérir d’autres compétences et de s’étalonner. D’autre part, il s’avère souvent plus fluide d’intégrer quelqu’un qui connaît déjà un minimum la maison plutôt qu’un nouveau venu. C’est ce que l’on appelle l’effet de primauté et de récence, d’où l’intérêt de partir en bons termes et d’entretenir les relations avec ses ex-employeurs », souligne-t-elle, en écho à une trajectoire comme celle de Julia Wolff, directrice de clientèle au sein de l’agence digitale Castor&Pollux. « J’ai travaillé plusieurs années pour le compte de l’agence, d’abord en tant que freelance puis comme salariée à temps plein. J’ai ensuite connu un arrêt maternité de huit mois et quand je suis revenue, l’agence avait fait un énorme un bond en avant, en termes d’effectifs notamment. Ce n’était plus la même entreprise et j’ai eu du mal à reprendre mes marques. Je ne tenais pas forcément à partir mais on est venu me chercher. C’était l’occasion de savoir ce que je pouvais valoir ailleurs », retrace-t-elle.

Un appel du large qu’a connu Jonathann Gricourt, directeur de clientèle chez Heaven après deux premières expériences entre 2006 et 2012 puis entre 2013 et 2016. « Je suis parti une première fois pour travailler en freelance dans le domaine de la gestion de projets, avec un client qui représentait la majeure partie de mon activité. En résumé, je me suis retrouvé à faire la même chose qu’avant mais avec la comptabilité en prime… La deuxième fois, je me suis associé à des amis pour ouvrir un bar, un projet qui me tenait à cœur. Mais lorsqu’une belle offre de rachat est apparue, au bout d’un peu plus de trois ans, il n’y a pas eu à hésiter longtemps », rembobine-t-il. Au-delà de cette fidélité en pointillés, d’autres exemples plus atypiques existent. C’est le cas de Marina Zuber, nommée CEO de TBWA Paris (390 salariés) en 2018, deux décennies après ses débuts au sein d’une agence qui s’appelait alors encore BDDP…

« Je suis arrivée au new biz en tant que stagiaire en 1997 avant d’être recrutée comme chef de publicité quelques mois plus tard. Quand la fusion avec TBWA a eu lieu, j’ai suivi les dirigeants qui commençaient à monter au pouvoir chez BETC », rappelle celle qui a donc réalisé un grand écart, tant en termes de fonction hiérarchique que de période de latence. D’où une question: pourquoi choisir à nouveau ce qu’on a quitté volontairement ? « Le lien affectif compte beaucoup. C’est la première agence qui m’a forgé au métier et qui m’a fait aimer la pub », avance la chief executive officer, estimant que ce côté « ancienne de la maison » a probablement joué en sa faveur. Même son de cloche chez Julia Wolff. « Avec le temps, on voit beaucoup plus les aspects négatifs de l’agence au détriment des aspects positifs. En réalité, cela me manquait », confie-t-elle. Mais que l’on ne s’y trompe pas. De regrets exprimés publiquement à un contrat de travail, il existe un fossé, possible à enjamber d’après les premiers intéressés. À condition d’occulter les qu’en dira-t-on ? « Il faut pouvoir supporter le regard des autres. En France, quitter un employeur a longtemps été vécu et considéré comme une trahison. Mais sous l’influence anglo-saxonne, plus souple et ouverte à des typologies de contrats variées –y compris des contrats courts et temporaires n’étant pas considérés comme précaires–, la donne est en train de changer », constate Charlotte Vitoux. « À New York, j’ai découvert cette aisance à changer de job. C’est un management donnant-donnant avec un rapport de force très équilibré entre employeur et employé », appuie Marina Zuber.

Rapports de force et désirabilité

Autre aspect de ce retour vers le futur, la capacité pour le salarié à progresser dans l’entreprise. « C’est ce qui s’est passé puisque cinq mois après mon retour, j’ai eu droit à une promotion et une augmentation de salaire », constate Julia Wolff. « Le risque se paye. Outre les expertises supplémentaires dont il dispose, c’est aussi la possibilité pour le salarié d’obtenir une hausse significative –de l’ordre de 15 à 20%– qui eût été inenvisageable en restant », éclaire Charlotte Vitoux, pour qui ce sont ces « talents » très convoités qui « rythment » le marché de la publicité, de la communication et du marketing. « Il est clair qu’on ne gère plus une agence avec une ligne de CDI comme par le passé », corrobore Pascal Nessim. « C’est aux agences désormais de permettre aux salariés de s’épanouir, y compris si cela passe par des aménagements et accepter que ceux-ci aillent voir autre chose avant de revenir. Toujours est-il que la désirabilité des agences est en baisse. Il y a encore cinq ans, il y avait une file d’attente pour intégrer Marcel. Ce n’est plus le cas », conclut-il. Une situation que beaucoup d’employeurs seront peut-être amenés à rencontrer au cours de leur existence.

Des salariés toujours plus infidèles

Les chiffres manquent mais la tendance ne fait aucun doute : les salariés sont de plus en plus infidèle(s) à leur(s) employeur(s). D’après l’étude 2019 du cabinet Hays, ce sont ainsi 8 Français sur 10 qui souhaitent changer de poste, contre 1 sur 3 seulement un an auparavant ! Côté AACC, l’enquête sur le travail en agences de 2017 permet d’y voir un peu plus clair. Si la profession reste globalement appréciée, l’ancienneté, au sein de l’agence (61% y travaillant depuis moins de 5 ans) comme dans le métier (43% y travaillant depuis 11 ans et plus), se raréfie. Le manque de reconnaissance de la valeur du travail et/ou de la rémunération est par ailleurs vu comme un facteur de fragilisation par deux tiers (65%) des sondés.



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