Emploi
En dépit d’un contexte général compliqué, de nombreuses entreprises misent sur une relance réussie. Avec des recrutements à la clé. Reste à convaincre lors d'un entretien de visu ou par visio.

Françoise Baltes a le sourire. L’agenda de cette ex directrice qualité et relations clients en B to B, sans emploi depuis l’été 2019, a été bien rempli ces dernières semaines. Et celui des jours à venir le sera tout autant : soixante entreprises et cabinets de recrutement contactés, quinze retours positifs de chasseurs de têtes, dix sociétés intéressées. Déjà trois entretiens ont été décrochés dans l’une des filiales de La Poste. Tout cela au plus dur de la crise. Sa candidature figure même dans la « short-list ». « Même dans le creux de la vague, les entreprises sont nombreuses à se projeter positivement dans le futur, explique-t-elle. Sans compter les contacts qualifiés avec les cabinets de recrutement, plus disposés à profiter de la période pour constituer leurs viviers de candidatures. »

 

Des secteurs restent actifs

843 000 demandeurs d’emplois supplémentaires en avril (+22,6 %), un volume d’offres d’emploi en recul de 60 % - voire de 85% dans le secteur des médias - selon l’Apec (Association pour l’emploi des cadres)... Les temps ne semblent pas propices aux recrutements par Teams ou Zoom. Massifs, déroutants, ces chiffres masquent pourtant une situation plus contrastée. « On ne peut pas parler d'un marché de l’emploi, mais de plusieurs », résume Julien Breuilh, directeur des études chez Cadremploi, autre plateforme dédiée.

Ainsi, dans l'IT et le numérique, le temps reste au beau fixe. Pas de nuage à l’horizon pour Scaleway, deuxième fournisseur européen de cloud public. Vingt-cinq nouveaux salariés ont rejoint l’équipe pendant les deux derniers mois, pour atteindre les 250 collaborateurs. Et Yann Lechelle, tout récemment arrivé à la tête de l’entreprise, maintient le cap pour les mois à venir : « 60 postes sont encore à pourvoir actuellement. Ils se créent au fur et à mesure. Notre parti pris : ne pas se laisser affecter par le Covid-19. Le chiffre d’affaires de 2020 sera au moins aussi bon que celui de 2019, après une croissance à deux chiffres. »

Même écho chez Yubo, plateforme sociale en pleine expansion, avec cinq recrutements à la clé. L'entreprise évolue sur un marché hyper tendu hier et encore actif aujourd’hui. « La transformation numérique s’est accélérée durant la crise, constate-t-on du côté de l’Apec, -notamment au sein des PME et TPE dans lesquelles le mouvement était plus lent à s’amorcer -, avec les besoins générés par le télétravail à marché forcée.  L’informatique, au sens large du terme, reste dans le trio de tête des secteurs qui recrutent. » Pourtant, il ne faudrait pas y voir l'euphorie. 38% des entreprises européennes sont en train de geler la plupart si ce n’est la totalité de leurs recrutements tech, selon Talent.io, plateforme de recrutement dans la tech. À Paris, le nombre d’entreprises publiant de nouvelles offres d’emploi en CDI a chuté de 45%.

Cette forme de résistance se retrouve dans d’autres secteurs, comme l’audit ou la comptabilité qui ne dépendent pas de cycles conjoncturels - 450 recrutements (stages et CDI confondus) ont ainsi été réalisés par KPMG. Idem dans le juridique et les ressources humaines ou bien encore la banque. La Caisse d’Epargne Île-de-France en a profité pour relancer sa campagne « 20 minutes pour convaincre », avec un engagement à répondre dans les 20 heures qui suivent. Cent nouvelles recrues vont rejoindre les agences en juin. « L’aide de l’État ne doit pas nous aider à être attentistes, commente Louis-Michel Barnier, délégué général d’Alexis Grand-Est, association qui accompagne les créateurs d’entreprise, mais à maintenir notre développement. À nous d’être présents quand ça va repartir ».

 

Repositionnement

Les périodes de crise sont propices à des réorganisations, donc à des recrutements de substitution. Mais attention à l'afflux des candidatures. D'une part, de très nombreux cadres en poste et en chômage partiel ont eu tout loisir d'envoyer leur CV ou de se repositionner sur le marché de l'emploi. Et ce, alors qu'ils prenaient leur distance avec leurs chefs et la culture d'entreprise. La coach Geneviève Krebs constate que « les salariés sont en demande d’aide pour un repositionnement ». On l'appelle pour revoir son CV ou apprendre à pitcher. Ensuite, la période suscite l'arrivée de nouveaux venus. « Des profils, absents jusque-là, se retrouvent sur le marché: des périodes d’essai non prolongées par certaines sociétés, des free-lances qui se réorientent vers des CDI..., détaille Flavien Chantrel, responsable éditorial pour Hellowork, acteur digital de l’emploi et de la formation. Assurément, une fenêtre s’ouvre pour les entreprises pour attirer les compétences idoines, avec une concurrence moindre d'autres employeurs. » Anne Champetier, DRH du groupe Polylogis, opérateur de l’habitat social, a mené dix recrutements au plus dur de la crise sanitaire. Vingt autres ont été finalisés. « On a eu des candidats qu’on ne s’est pas fait souffler, analyse-t-elle, des profils plus qualitatifs que d’ordinaire, pour des postes techniques qu’on a du mal à pourvoir. » 

Pour Laurent Geoffroy, DRH de KPMG, « les jeunes zèbres se posent des questions sur le rôle de l’entreprise, le mode de travail. Les changements opérés pendant cette crise font progresser la vision d’une structure flexible, qui laisse place à l’autonomie, la créativité, responsabilise… Des critères recherchés. De quoi faire revenir cette génération vers des entreprises comme les nôtres... »

Nouvelle approche pour l'on-boarding à distance 

« Tout à fait accepté en Californie depuis quatre ou cinq ans, l'on-boarding à distance reste toute une affaire en France », constate Antoine Morgaut, président de la commission conseil en recrutement du Syntec Conseil. L’on-boarding ou l'intégration en « visio » suscite des réactions mitigées, selon les secteurs et la culture de l’entreprise. Laurent Geoffroy, DRH de KPMG, ne s’en cache pas : il ne misait pas vraiment sur cette modalité. «Avec un rôle d’entreprise d’apprentissage, l’intégration épaule contre épaule pour enseigner les bases du métier est essentiel. Je n’aurais pas imaginé que l'on-boarding à distance soit aussi facile et efficace ». À condition de comprendre que de nouvelles règles s'imposent, comme le précise Dany El Jallad, directeur managed business services au cabinet de recrutement Robert Half : « Inédite, cette situation met candidat et recruteur sur un pied d’égalité, avec des efforts à faire des deux côtés, commente-t-il, et c'est plus marqué encore de la part de l’entreprise. »

Le recruté à distance a droit à un package de base (ordinateur et téléphone). À défaut, il faut signer un accord pour l’utilisation de son matériel personnel. Mais l’élément-clé reste la communication. « Avec une implication du manager direct, mais aussi des ressources humaines, explique Dany El Jallad. S’assurer de l’inscription de la nouvelle recrue à une formation, provoquer des e-cafés, des e-déjeuners, créer une communauté des nouveaux arrivants, rythmer la journée… L’occasion de tester aussi l’adaptabilité, soft-skill souvent mise en avant par les candidats.»

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