Ressources humaines
La musique est de plus en plus présente dans l’entreprise. Elle est un moteur de motivation collective, d’apaisement dans des situations de stress et de cohésion d’équipe.

Ils sont 450 musiciens et choristes ce 9 décembre 2018 à la Philarmonie de Paris. Au programme, Berlioz, Beethoven, Haendel, mais aussi John Williams (Star Wars), une musique traditionnelle roumaine, Leganelul Lui Lisus, ou encore un compositeur sénégalais et Ismaël Lo. Qu’ils soient aux instruments ou aux chœurs, 377 d’entre eux sont des collaborateurs du groupe Société générale, qu’ils viennent de France, de Roumanie ou du Sénégal. À la baguette, le chef d'orchestre François-Xavier Roth qui dirige l’aventure Playing For Philharmonie depuis 2013. Une vidéo rend compte de répétitions délicates. Sur une heure d’entraînement, il faut aux musiciens amateurs une demi-heure pour entrer dans la partition. Court. « C’est à vous de vous dire : “il faut que j’écoute ce qu’il se passe”, ce n’est pas facile de créer un groupe, pas facile du tout », avise Pascal Morvan, chef d’orchestre assistant.

Séminaires de développement 

S’écouter, c’est aussi le conseil que donne à des dirigeants et des cadres supérieurs Stéphane Longeot, fondateur de Mythe & Opéra, à travers des sessions d’une douzaine de participants. « Ce sont des séminaires de développement du leadership qui se veulent inspirants, explique-t-il, l’idée est de s’appuyer sur des grandes œuvres pour interroger les cadres dirigeants sur leurs pratiques, leurs qualités d’écoute, leurs connaissances des modes de fonctionnement pour s’ajuster. » À l’adresse d’un opérateur télécom, la disruption est abordée à travers Guerre et Paix, le roman de Tolstoï et l’opéra de Prokofiev. Que faire face à la grande armée de Napoléon ? Se retirer ou résister ? « Le conseil de guerre en 1812 est intéressant à travailler, observe le décrypteur de mythes, il y a ceux qui pour rien au monde n’abandonneraient Moscou et ceux qui préfèrent se retirer pour gagner la guerre. » Une histoire qui fait écho dans l’esprit des dirigeants à l’heure de la 5G. « La musique amplifie le récit, suscite une parole vraie et permet de travailler l’intelligence émotionnelle alors que les gens se déconnectent de leurs analyses classiques », note-t-il (lire ci-dessous).

Diminuer le stress

La musique classique est un moyen assez puissant de diminuer le stress ou l’hypertension, selon le journal scientifique Deutsches Arzteblatt International. Le titre relate en 2016 une expérience menée à l’université de Ruhr Bochum auprès de 120 volontaires, dont la moitié écoutent de la musique : Mozart, Strauss ou le groupe Abba. Sans surprise, ce sont les compositeurs classiques qui diminuent la pression artérielle et le taux de cortisol, l’hormone du stress, dans le sang. L’absence de paroles aide à se concentrer et apaiserait notre humeur, d’après une étude de l’université de Lund, en Suède, qui montre même qu’il est bénéfique de diffuser des sonates ou des symphonies à bas volume pendant une conférence afin d’améliorer la mémorisation. « Notre radio est écoutée potentiellement au bureau, souligne Jean-Francis Pécresse, directeur de Radio Classique, 21 % de nos auditeurs sont sur leur lieu de travail, selon une étude Kantar de février. Nous recevons des mails et des témoignages qui montrent qu’elle est très écoutée par des managers et des professions indépendantes. Nous réunissons des amateurs exigeants et un public qui cherchent bien être, détente et ouverture ». L’écoute se fait au casque au bureau, en open space mais aussi à domicile, en télétravail, et en voiture.

La station explore aussi des territoires nouveaux comme la musique de films ou le jazz, qui aura à la rentrée son émission quotidienne (Horizons). À la Sacem, Stéphane Vasseur, directeur du réseau, se souvient d’un groupe de chefs d’entreprise du Medef de Brest qui écoutaient surtout les standards habituels (variété, rock, pop…). Pour l’énergie et le dynamisme, les paroles et les rythmes entraînants sont plutôt de mises.

Cohésion sociale

La société d’auteurs et compositeurs a développé depuis quelques années son offre Sacem Pro (qui coûte en moyenne 550 euros par entreprise) en tenant compte d’une demande grandissante. Qu’il s’agisse d’animer une convention, de faire appel à un DJ ou un orchestre pour la fête du CE ou de fin d’année, de diffuser de la musique à la cafétéria, de créer des espaces de détente, une chorale ou des cours entre midi et deux, ou encore une radio d’entreprise ou un team building musical, sans oublier le standard téléphonique, la musique est partout en entreprise. « De nombreux DRH y voient un élément clé de la qualité de vie au travail, constate Stéphane Vasseur, cela joue sur la cohésion sociale, la convivialité et l’esprit d’équipe. » C’est non seulement une source de motivation pour 65 % des personnes qui écoutent de la musique au travail, selon une étude Ipsos de 2017, mais également un vecteur de lutte contre le risque psycho-social, notamment le burn-out, en permettant de répondre à un besoin de décélération et de sens. Pour de nombreuses entreprises, la musique est devenu un enjeu de marque employeur, capable d’attirer et de fidéliser les talents. À Universal comme à la Sacem, partage et coups de cœur de playlists sont au programme. En outre, huit personnes sur dix, selon Ipsos, estiment que la musique booste leur productivité.

C’est d’ailleurs une dimension que connaissent depuis longtemps les lieux de commerce. 71 % des professionnels de la vente diffusent de la musique dans leur magasin pour créer de l’ambiance, permettre aux clients de passer un bon moment mais aussi inciter à l’achat, selon une étude Ipsos MediaCT de 2013. 92 % estiment qu’elle renforce l’expérience client lors de la visite. La Sacem y réalise encore l’écrasante majorité de sa collecte de droits de sonorisation : 155 millions d’euros contre 1,7 million en entreprises. La musique est partout au bureau mais les artistes n’y trouvent pas encore leur compte.

L’opéra, une mine d’histoires managériales

« Ce qui est intéressant avec l’opéra, c’est qu’on y trouve des situations de crise avec une dimension affective », observe Stéphane Longeot, fondateur de Mythe & Opéra. Exemple, autour de la notion de changement, avec le Retour d’Ulysse dans sa patrie de Monteverdi. Revenant de son long voyage, le héros trouve Ithaque tellement changée qu’il ne reconnaît pas son île. La jeunesse prétend y prendre le pouvoir. « Il doit être attentif aux signaux faibles, percevoir les talents et les rivalités, de ne pas se contenter d’être un leader mais faire évoluer les choses », ajoute le spécialiste. On l’a compris, le Retour d’Ulysse dans sa patrie est un mythe idéal pour faire passer des idées comme l’intelligence relationnelle, la remontée d’informations, l’adaptation par l’humilité… Mais, d’abord, faut-il faire confiance au jeune berger (en réalité Athena) qui prétend que cette île est bien Ithaque ? Alors que huit sur dix dans la banque, l’assurance ou l’aérospatial répondent par la négative, faute d’éléments probants, une proportion inverse, dans le luxe, se fie au berger. « La relation est première dans ce secteur, la compréhension de l’émergence et la prise de risque y sont au cœur de la culture », observe Stéphane Longeot, pour qui cette mise en situation permet de mieux se connaître et d’explorer le champ des possibles.

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