Dossier Digital
En consacrant le télétravail, la crise sanitaire signe l’avènement d’un salarié plus autonome et entraîne l’apparition de modes de fonctionnement plus agiles et collaboratifs.

Révolution du marketing, mais aussi du travail… De la même manière que, le temps du confinement, plusieurs années ont été gagnées en matière d'e-commerce, les salariés ont, dans la même période, conquis en autonomie et en confiance ce qui aurait peut-être nécessité encore une génération. C’est du moins l’opinion du patron de WPP en France, Mathieu Morgensztern, qui salue « leur implication du jour au lendemain, leur productivité et leur assiduité ». Il estime que ces notions de confiance et d’autonomie sont désormais « acquises ». En charge chez Accenture d’une équipe dédiée à la gestion des talents et des organisations, Julien Fanon dresse un constat similaire. « Jusqu’à présent, beaucoup d’entreprises nous disaient que le télétravail n’était pas possible chez elles. Mais quand tout le monde se retrouve à télétravailler, elles prennent conscience qu’elles ne sont pas différentes des autres. On a cassé le mur de la contrainte mentale », analyse le managing director. Si bien que la plupart des observateurs s’accordent aujourd’hui pour estimer que l’on se dirige vers un modèle d’une semaine de travail avec trois jours au bureau et deux à la maison.

Équité sur le télétravail

« Nous avons remarqué à la sortie du confinement que nous avions réussi à travailler quels que soient les environnements, et nous avons fait le constat à la direction générale qu’il y avait une chose qu’on ne voulait pas, c’était revenir en arrière », confirme Caroline Guillaumin, directrice de la communication et DRH de Société Générale. La prise de conscience principale concerne le caractère jusqu’à présent peu équitable du télétravail. « Avant, la tendance était de dire que le télétravail était réservé aux fonctions centrales, mais que pour le back-office, les centres d’appel ou les personnels en contact avec la clientèle, ce n’était pas possible. La crise a montré que c’était complètement faux et qu’il y avait la nécessité à être équitable sur ce sujet », avance Caroline Guillaumin. Consultés, les salariés de Société Générale, sur un total de 80 000 contributions, se sont dit prêts à 89% à continuer à travailler à distance. Après la création d’une équipe chargée de préparer un projet, des négociations se sont engagées en interne et pourraient déboucher fin novembre sur la conclusion d’un accord de télétravail.

« Les entreprises vont devoir mettre en place des critères de mesure beaucoup plus précis pour évaluer la productivité des équipes, il ne s’agit plus de pointer seulement les heures, mais d’avoir des outils pour mesurer le travail réellement accompli », note Capucine Pierard, directrice générale adjointe du pôle média d’Havas. Reste aussi à préserver la sociabilité et la culture d’entreprise, qui pourraient être mises à mal par l’essor du télétravail. « Nous sommes arrivés à la conclusion qu’il n’est pas souhaitable de passer 100% de son temps en dehors du cadre de l’entreprise. “Si je suis 100% chez moi, pourquoi suis-je à la Société Générale ?”, pourraient se dire nos salariés », avance Caroline Guillaumin. L’idée la plus partagée est que le bureau pourrait être réservé aux activités liées à la création et aux échanges d’idées, et le domicile aux tâches relevant de l’exécution. « Nous sommes passés à l’ère du bureau 4.0, celle du travail hybride », confirme chez Microsoft Nadine Yahchouchi, directrice du produit M365, « avec beaucoup d’échanges virtuels en visio-conférence mais aussi, pour profiter des collègues ou créer du lien social, des réunions physiques au bureau ».

Constitution de « squads »

Les entreprises ont aussi, pendant la crise, découvert de nouvelles façons de prendre des décisions. « Elles étaient au pied du mur, parfois avec d’énormes problèmes de continuité de business ou de chaînes logistiques disruptées. Dans ces conditions, on ne peut plus traiter les problèmes en silos, il faut constituer des équipes ad hoc transversales, des “squads”, qui se dissolvent une fois le problème résolu », remarque Julien Fanon, chez Accenture. Ce n’est pas un hasard si une société comme Médiaperformances vient de créer la fonction de « PMO », pour Project management officer. « Mon entreprise ne compte qu’une centaine de collaborateurs mais cette fonction, confiée à un ancien consultant, va permettre d’être plus efficace et plus simple dans la gestion de projets », estime Rémy Gerin, président du spécialiste français du shopper marketing. Selon le dirigeant, l'entreprise connaît depuis juin des taux de croissance « stupéfiants » dans un contexte où les annonceurs cherchent à « sécuriser les volumes ».

S'approprier les nouvelles technologies

Frantz Gault, dont la société Néo-nomade conseille les entreprises en matière de télétravail et de coworking, remarque que la révolution digitale s’est emparée, à la faveur de la crise, de la communication interne. « Jusqu’à présent, le mail était un peu l’alpha et l’oméga de l’interaction digitale en entreprise. La crise a obligé les entreprises à s’approprier pleinement les nouvelles technologies sociales digitales, telles que les visioconférences ou les réseaux sociaux d’entreprise, au travers d’applications comme Teams, Slack ou Discord », constate-t-il. « Le bénéfice, c’est que l’échange d’informations permet de rendre publics dans l’entreprise ces savoirs et ces compétences », poursuit-il.

Dans ce contexte, le rôle du manager, remarque Julien Fanon chez Accenture, évolue. « Son pouvoir était fondé sur le contrôle de l’information, il l’est désormais sur sa capacité à la faire circuler et à mettre en réseau », note-t-il. En matière de communication interne, certains dispositifs nés pendant la crise sont appelés à se pérenniser. « Il y a des choses qui ont très bien marché comme les podcasts, que nous allons continuer à proposer », relève Camille Nagyos, l’un des dirigeants de l’agence lyonnaise Ultramédia.

En matière d’organisation du travail, Emmanuel Vivier, cofondateur du Hub Institute, remarque enfin qu’à côté du chantier de l’agilité, l’entreprise doit aussi parvenir « à faire travailler ensemble ses collaborateurs avec des free-lance ou des start-up », pour former « un écosystème complet ».

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