RH
En agences, la nouvelle mesure qui fixe à 28 jours le temps de congés paternité, à partir du 1er janvier, est plutôt bien accueillie au nom de l'équilibre entre les femmes et les hommes. Même s'il va falloir s'adapter à une réalité qui peut parfois mal tomber pour la bonne marche de l'entreprise.

Un mois de « congé paternité ». Ainsi en a décidé Emmanuel Macron fin septembre. Au lieu des 14 jours actuellement en vigueur, le futur père ou le « deuxième parent » pourra bénéficier d’un congé double, d’une durée totale maximale de 28 jours à partir de 2021. Une fraction de sept jours seulement sera obligatoire, au grand dam des défenseurs de cette extension. En année pleine, la mesure devrait coûter 500 millions d’euros à la Sécurité sociale, le schéma actuel continuant de s’appliquer avec les trois premiers jours restant à la charge de l’employeur.

Ce qui semble aujourd’hui relever de l’évidence était, il n’y a pas si longtemps, considéré comme une décision audacieuse, voire déviante. En 2008, Arnaud Martin, aujourd’hui DRH d’Ogilvy Paris, devenait père pour la première fois : « J’ai bénéficié de la première vague de ce type de congés dont la durée était, à l'époque, de onze jours. Je sentais intuitivement que ce ne serait pas forcément accueilli de façon très positive, mais je considérais que c'était quelque chose de juste et de moderne. À l'époque, mon DRH n'a pas compris. J'ai appris par la suite que cela avait été, à ses yeux, quelque chose de choquant. »

Parental Act

Les temps ont changé, souligne Lise Ferret, DRH de Cadremploi : « La norme a évolué et heureusement. Le changement s'est fait avec la nouvelle génération. La ligne de partage se situe autour de 35 ans. » Dans les agences, où les collaborateurs sont plutôt jeunes, la question de l'adaptation à la nouvelle obligation se pose plus qu'ailleurs. BETC a même anticipé la mesure en signant le Parental Act. Lancée début 2020, cette initiative rassemble déjà plus de 370 entreprises qui mettent en œuvre un congé d’un mois pour le deuxième parent. Pour Sophie de Gromard, la DRH de l’agence, les bénéfices de l’extension du congé ne font aucun doute : « Nous recommandons que ce congé soit pris en une seule fois car nous estimons qu'il est souhaitable que le second parent soit près de son conjoint et de son enfant sur une longue période dès le départ pour une meilleure création du lien et un bon soutien à la maman. Par ailleurs, nous demandons que ce congé soit pris dans les quatre mois qui suivent la naissance. »

Une analyse que partage Cécile Leprince, directrice générale de Everyday Content (Publicis) : « Le congé paternité est une très bonne nouvelle pour l'enfant et pour la famille. Ayant deux enfants, je peux confirmer que, dès la naissance, le lien avec les deux parents est très important. C'est important aussi pour une femme qui devient mère de savoir qu'elle peut compter sur l'autre parent face à un événement qui chamboule la vie. »

Modèle nordique

Pour l'entreprise, ce congé contribue à rétablir l’équilibre entre les sexes, ajoute Arnaud Martin : « Il faut un meilleur équilibre des rôles entre hommes et femmes, comme dans les pays nordiques. L'augmentation du nombre de jours du congé paternité participe à ce rééquilibrage. Cela permet d'atténuer le différentiel avec le congé maternité qui aboutit souvent à un désavantage pour les collaboratrices dans la poursuite de leurs carrières. »

Autre atout RH, « Ces jours que le père passe auprès de son enfant aboutissent à un meilleur équilibre entre vie privée et vie professionnelle et évitent une partie de la fatigue », explique Lise Ferret. Un avantage d’autant plus appréciable dans les secteurs très prenants : « Dans nos métiers, des métiers passions, avec parfois des rythmes soutenus, qui voient s'enchaîner les appels d'offres puis les échanges exigeants avec les clients, nous devons permettre à nos collaborateurs de se consacrer aussi à leur famille », renchérit Cécile Leprince

Mais le niveau d’activité de l'entreprise ne risque-t-il pas d'en pâtir ? « Cette augmentation de la durée du congé paternité aura un impact non négligeable sur l'organisation mais cela dépendra des effectifs de l'équipe, du niveau de l'activité et de la charge de travail », nuance Arnaud Martin. Reste que tous les collaborateurs ne préviennent pas forcément toujours avec beaucoup d'avance. « Il est fréquent que la naissance survienne plus tôt que prévu, le collaborateur assiste à l'événement, mais il préfère revenir pour finir ses dossier avant finalement de poser ses congés, poursuit Arnaud Martin. Il faudrait probablement tendre vers plus de formalisation car la durée du congé paternité sera impactante pour l'organisation. »

Pour l’heure, le salarié est obligé de prévenir un mois à l'avance mais ce délai n’est pas réellement respecté. Une situation qui mériterait d’être revue, considère le DRH d’Ogilvy Paris : « Entre le manager opérationnel qui connaît le collaborateur mais pas les règles, et la RH qui connaît les règles mais pas le collaborateur, il peut y avoir un peu de flottement. Il serait possible de mettre en place un process pour fluidifier le dispositif. » Considérant que la prise d’un congé d’une durée d’un mois peut être compliquée à gérer s’il est pris du jour au lendemain, Arnaud Martin souhaite que la loi maintienne le principe d’un délai de prévenance. Malgré les difficultés inhérentes à la mise en place de ce futur dispositif, les inquiétudes n’ont pas lieu d’être, estime de son côté Lise Ferret : « S'il est bien anticipé et préparé, ce type de congé est presque un "non-événement" pour l'entreprise. Au lieu d'avoir un collaborateur épuisé et en perte de motivation, à qui le manager en arrive à conseiller de prendre un congé, il vaut mieux avoir un dispositif calé en amont. » Le congé paternité a donc toutes les chances de devenir un moment de plus en plus important dans le parcours des salariés.

Inégaux devant le congé paternité 

Si tous les pères ont droit un congé paternité, ils ne le prennent pas tous pour autant. Un rapport de l’Inspection générale des affaires sociales (Igas) de 2018 relevait déjà de « fortes inégalités dans les taux de recours selon le statut des bénéficiaires potentiels ». Les pères ayant un emploi permanent ou fonctionnaires faisaient valoir ce droit à une écrasante majorité (80% et 88%). À l’autre bout du spectre, les personnes occupant un emploi précaire ou instable y avaient beaucoup moins recours (48% pour celles en CDD), les demandeurs d’emploi fermant le ban (13%). Parmi les catégories socio-professionnelles, ce sont les professions intermédiaires et les cadres qui prenaient le plus souvent ce congé (80%) alors qu’un tiers (32%) seulement des travailleurs indépendants y avaient recours. Le rapport relève aussi qu’entre 2004 et 2013, c’est parmi les cadres, les salariés en CDI et les travailleurs indépendants que la prise du congé paternité a le plus augmenté, progressant respectivement de 30, 12 et 6 points. Sur la même période, la prise de ce congé a baissé de 3 et 5 points parmi les employés et les ouvriers.

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