Tribune
Après l'euphorie qu'a fait naître dans nombre d'entreprises l'adoption massive du télétravail du fait de la crise sanitaire, il est temps pour les directions de réinventer les relations humaines et de redonner du sens à la collectivité.

La transformation forcée des modes de travail due à la Covid a vu plusieurs tabous voler en éclat, à commencer par le télétravail. Jusqu’en mars 2020, le télétravail était anecdotique et ne concernait que certains métiers. L’ordre établi et immuable imposait dans sa logique pyramidale le présentéisme comme réfèrent de l’engagement et le management top-down comme exemple de l’ascenseur social. Du jour au lendemain, tout a volé en éclat. La bien séance ayant peur d’être taxée de ringardisme a applaudi des deux mains ce qu’elle qualifia d’emblée de progrès social historique, les salariés ont découvert qu’ils pouvaient gérer leur vie autrement. A l’été 2020, la chose était entendue, pas de marche arrière possible. Les médias s’emparaient du sujet tandis que les philosophes dissertaient sur le nouveau sens de la vie.

Aujourd’hui, l’euphorie laisse place à une prise de recul sur fond de risques psychologiques, de désociabilisation, d’éclatement de la chaîne de valeur humaine et de ras le bol des «visio-Zoom» à la chaîne. L’individualisme ayant pris le pas sur le collectif dans nombre d’organisations, on assiste à une mise en danger des équilibres tant individuels que collectifs. Les risques de fissures sur tous les plans de l’entreprise n’ont jamais été aussi violents (organisation, management, esprit d’équipe, santé...) et apparaissent au grand jour.

Un monde hybride est né de la crise. A-t-il de l’avenir ? Est-il le nouveau modèle ? Va-t-il engendrer une hybridation de tous les métiers en faisant exploser les cases traditionnelles du qui fait quoi ? Comment d’un bien en apparence éviter une catastrophe ? Comment faire tribu ? Comment créer un biorythme collectif ? Comment animer en mode fractionné ? L’entreprise et le vivre ensemble sont-ils en danger ?

La boussole du temps perdu

Les DRH, dont on a vanté, à juste titre, la mobilisation en première ligne, ont à faire face en 2021 à des enjeux autrement plus importants que l’organisation du télétravail version Covid et la gestion du chômage partiel dans lesquels leur force de travail et leur sens des organisations ont permis de passer l’épreuve de 2020. Aujourd’hui, il leur est impossible de ne pas prendre à bras le corps le sujet de «l’entreprise d’après» et «le retour au réel» comme l'a souligné le psychiatre Christophe André au Journal du dimanche début janvier.

L’entreprise éclatée n’est plus celle d’avant ; de fait, les salariés non plus. A ce constat factuel s’ajoutent les frustrations sociales des plus jeunes et l’épuisement dû à la solitude de certains. Il nous faut retrouver la boussole du temps perdu pour espérer inventer de nouvelles relations humaines, en bannissant la folle notion de ressources humaines qui renvoie au troupeau sociétal dont personne ne veut.

Pour retrouver sa boussole, il faut repenser le temps humain, non pas sous la pression du carcan juridico-social et du temps économique, mais bien sous l’impulsion positive du sens à donner à la collectivité. Il y a urgence à donner du temps au temps au sein des comités de direction pour se poser les bonnes questions sur les envies et les espoirs en humanité, entreprise par entreprise.

Un arrêt sur image pour donner du sens au travail

2020 aura eu pour vertu d'obliger nombre de personnes à faire un arrêt sur image dans leur vie, entraînant des changements de cap, de job, de région... Cet arrêt sur image individuel doit être mené au sein de la tribu entreprise pour permettre à tous de s’y reconnaître, de s’y projeter, pour espérer y revivre sereinement. De cet arrêt sur image doit naître une vision simple, accessible, à partager avec tous. La cacophonie des mesures gouvernementales, l’infantilisation des chefs d’entreprise comme des citoyens ne peut plus guider l’action collective. L’entreprise, dans le respect de la loi, doit très vite reprendre la main sur son temps humain pour espérer faire de 2021 une année de confiance. L’espérance est grande chez les salariés, qui aspirent dans leur grande majorité à refaire vie commune.

Dans ce contexte, les DRH se doivent de devenir les leaders de la confiance pour aider leurs collègues dirigeants à assumer leur leadership humain et oser faire le pari justement de la confiance. La vie d’avant n’est pas morte, loin s’en faut, l’entreprise doit juste trouver le bon équilibre pour évoluer dans le respect de nouvelles attentes en s’appuyant comme toujours sur son ADN.

En 2021, méfions-nous encore plus des modes du type méthode agile ou autre catéchèse du bien-être/bonheur en ayant le courage d’être soi-même. C’est valable pour chacun, c’est valable pour l’entreprise aussi. Être soi et être bien est avant tout un choix, qu’il soit nécessaire ou pas d’être accompagné vers cette vérité. Choisir sa vie, choisir son entreprise, choisir son patron, ne plus subir sa vie, son entreprise, son patron, soit, mais admettons qu’il n’y a rien de neuf sous le soleil si ce n’est sûrement une plus grande volonté de passage à l’acte et c’est tant mieux. Accompagnons l’audace du choix.

Seule la culture d’entreprise peut faire naître la confiance en l’avenir en dotant la parole des dirigeants d’un humanisme sincère et d’une envie de collectif que le télétravail et les confinements ont malmené. Les changements de 2020 auront été des déclics, certes imposés, mais en rien des prémices d’une révolution du travail, il faut raison garder. En revanche, personne ne peut ignorer les enseignements à en tirer et la quête de sens induite. Le courage en humanité va inévitablement évaluer le travail des leaders et leur capacité à garantir l’équilibre humain qui en découle. Il n’y a pas de temps à perdre pour vivre «l’entreprise normale» en toute confiance, avec optimisme et plaisir. Des vœux simples et accessibles.

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