Profession
Encore peu médiatisées, les professions juridiques sont pourtant aux avant-postes depuis le début de la crise du Covid. L’occasion de voir se renforcer le poids des juristes d'entreprise.

« On est au début d’une visibilité de plus en plus marquée, prédit Marc Mossé, président de l’association des juristes d’entreprises (APJE) et directeur des affaires juridiques chez Microsoft. 72 % des directions juridiques ont été sollicitées par les directions générales pour créer des cellules de crise. Le droit est un élément important de la stratégie des entreprises, un facilitateur pour toute la durée de la crise et en sortir. La prise de conscience du poids du droit dans l’économie est palpable. J’attends le moment où un film aura pour héros un juriste d’entreprise… »

« Archéologie juridique »

Comment renégocier les contrats ou mettre en place l’activité partielle ? Quid du fonds de solidarité ? Quelle attestation employeur rédiger ? Autant de problématiques toutes nouvelles, tous secteurs confondus. Et pour la communication ? « Le mois de mars a été synonyme d’une ébullition complète dans les agences, commente Laurence Veyssière, directrice juridique de BETC, agence de pub. On a dû faire face aux reports voire aux annulations des films. On est rentré dans les contrats, avec nos clients. Certains ont voulu arrêter de payer les agences. »

Tabac, alcool, alimentaire… la publicité est très réglementée, par la loi, et par les recommandations de l’Autorité de régulation professionnelle de la publicité (ARPP). « Là, on s’est tous plongé sur des aspects théoriques peu passés en revue jusque-là, analyse Barbara Desforges, juriste au sein de l’agence de communication Interpublic Group France pour IPG, par ailleurs présidente de la commission juridique de l’AACC. Avec la notion de cas de force majeure, on pourrait parler d’archéologie juridique ! Pas de réponse précise quand on nous attend justement là-dessus. Le droit n’est ni tout noir, ni tout blanc. Ce n’est pas une science exacte. »

Savoir s’adapter a été une nouvelle fois nécessaire avec le deuxième confinement. « Avec le changement de localisation des tournages, détaille encore Laurence Veyssière, la gestion de la production se fait avec la carte du monde sur les genoux. Où les frontières ferment-elles ? Les cas de force majeure ne peut plus être invoqué. Quelles conditions contractuelles établir, alors, si on doit annuler la production suite à des fermetures de frontières ? Le droit, c’est très créatif ! » Un point de vue que ne dément pas Loyce Guillet, juriste expert social au sein d’ADP, logiciel de gestion des paies : « Entre les ordonnances, les décrets ou bien encore les circulaires, 360 nouveaux textes juridiques ont été publiés, entre juillet 2019 et juin 2020, contre 60 pour toute l’année 2016. Et depuis, on en compte 300. D’où la nécessité d’un vrai travail de pédagogie. ».

Avocats dans l’expectative

Qui dit crise, dit conflit. De quoi alimenter l’activité des avocats. Ludovic de la Monneraye, avocat rennais, spécialisé en droit de la propriété intellectuelle et de l’informatique, fait ses comptes : « les contentieux ont été multipliés par trois sur la période. Les clients n’arrivent plus à s’entendre. Et certains lancent des contentieux pour récupérer une trésorerie, avec des réactions plus épidermiques. Les juristes, impactés ? Oui, positivement. Toutes croulent sous le travail. »

En réalité, tout dépend des spécialités. Les contrats des festivals ? Des théâtres ? Il n’y en a plus. « Avec un effet tache d’huile pour les droits d’auteur, ou encore l’industrie de la musique », souligne Annabelle Jaulin, responsable de la spécialisation expertise juridique et fiscale au sein d’ISC Paris. « Un sondage de novembre 2020 indique, confie Jérôme Gavaudan, président du Conseil national du barreau (CNB), que 59 % des confrères au judiciaire ont estimé avoir une baisse nette de nouveaux dossiers. Pour autant, il n’y a pas de vague de dépôts de bilan. Mais peut-être le feu couve-t-il ? »

Retards de paiement

Toutefois, à lire le dernier communiqué de la DGCCRF (Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes), l’oisiveté ne devrait pas être de mise dans les prochains mois, quel que soit le secteur, du côté des directions juridiques et des avocats spécialisés. Les retards de paiement - aux fournisseurs - des entreprises bénéficiaires d’un prêt garanti par l’État (PGE) vont être suivis de très près. Ont déjà été épinglés Le Figaro à hauteur de 50 000 euros, Le Monde pour 300 000 euros, L'Équipe à 138 000 euros, Libération pour un montant de 35 000 euros… Une publication faite, en tir groupé, le même jour, le 28 avril 2020.

« Pareil dispositif a été mis en place pour protéger les “petits" » dans un contexte qui les fragilise, commente Jean-Marc Allouët, chef des opérations chez GEObyBMA, outil d’investigation spécialisé. Un enjeu important dans la communication. Sur les quelque 47 000 sociétés de la filière, plus de 90 % sont des TPE et des PME, rappelle la dernière livraison de l’Observatoire Com-Media du 24 février 2021. « La crise a accéléré une mutation, conclut Diane de Saint-Affrique, professeur-chercheur à Skema, vers un juriste augmenté. Souvent comme un pompier, à tort, il est davantage perçu comme un conseiller. » 

Trois questions à Jean-Christophe Saint-Pau, président de la conférence des doyens des facultés de droit, doyen de la faculté de droit et de science politique de Bordeaux.

 

« Les mesures à l’égard de nos établissements sont très restrictives »

 

De nouvelles professions juridiques voient-elles le jour, avec la crise ?

La situation actuelle génère de nouveaux contentieux, mais pas de nouveaux métiers. Et selon qu’elles sont règlementées ou non, dans le public ou en libéral, les professions juridiques sont différemment impactées. Le nombre d’emplois des magistrats, huissiers ou notaires ne va pas varier. Je m'interroge sur la situation des petites et moyennes entreprises, et la difficulté d’y maintenir des emplois juridiques.

 

Le contexte pousse-t-il des étudiants à « lâcher » leurs études de droit ?

Les universités ont été fermées [en octobre 2020] sans se soucier du terrain. Beaucoup avaient procédé à de lourds investissements – de 2 millions d'euros à Bordeaux - histoire d’équiper toutes nos salles de dispositifs en visio et accueillir les étudiants dans de saines conditions – la moitié des cohortes, une semaine sur deux. Les mesures prises à l’égard de nos établissements sont très restrictives par rapport à celles des « prépas » : 30 ou 35 élèves par classe, contre 300 à 400 dans des amphis de 1 000 places, avec 1,5 mètre de distanciation. Avec la fermeture des universités, beaucoup d’étudiants ont dû rendre leur logement. Résultat : la reprise mise en place depuis quelques semaines, à raison d’un jour par semaine, donne lieu à plus d’absentéisme. La moitié ne vient pas. On peut parler d’un massacre d’une jeunesse universitaire. 



Comment se dessine la rentrée 2021 ?

Les premiers retours du processus Parcours Sup ne témoignent pas d’une désaffection des étudiants. C’est toujours l’une des filières les plus demandées. Pour preuve : 7 000 candidats en L1 à Bordeaux pour 1 400 places…

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