Carrière
Depuis le début de la crise sanitaire, les secteurs de la communication et de la publicité voient partir des collaborateurs en nombre. La séquence est propice aux introspections individuelles.

« Au revoir président, au revoir président ! » La chanson reste en mémoire. Cette publicité d'Havas pour le loto a pourtant presque vingt ans, mais la ritournelle a dû trotter dans bien des têtes depuis le début de la crise du Covid. Pour preuve : les chiffres tirés de Maformation - première plateforme de mises en relation entre candidats et organismes de formation en France. Son trafic a été multiplié par deux ces derniers mois : « Il y a un avant et après début du Covid, commente Jérémy Plasseraud, responsable du site MaFormation, 49% des actifs déclarent que le confinement a joué sur leur envie de reconversion, avec des demandes en croissance pour la communication ou le marketing (+46 %), mais en fort recul pour la publicité et l’audiovisuel (-60 %). » « Dans ce secteur, les remises en question sont constantes, commente Patricia Julien-Abecassis, ancienne directrice de clientèle. Mais, il a beaucoup évolué. Vendre, j’adore. Remplir mon magazine me faisait plaisir, mais cette répétition d’une même tache, à raison de huit à dix heures par jour, devient monotone. "Checker" les valeurs de l’entreprise, un exercice qui a été aussi très pratiqué pendant cette parenthèse. » Patricia Julien-Abecassis est devenue astrologue.

Bullshit jobs

« Cette crise a abouti à remettre en cause les équations de vie » résume Richard Strul, fondateur de Resoneo, cabinet conseil en marketing digital. Frédéric Abecassis, directeur communication et développement de l’ISCPA, école de communication, journalisme et production parle de « hiérarchie des peurs dans un climat lourd ». « J’ai suffisamment donné, lâche Malika Lemzili, ancienne responsable du développement. Ce changement de voie est un cadeau que je me suis offert, celui de pouvoir explorer d’autres pistes. Je préfère cette façon de l’exprimer au terme de reconversion qui comporte une sorte de radicalité. De déterminisme. » Sa voie nouvelle : le yoga et la coiffure. « On a pris conscience que l’on était proches de ces bullshit jobs de David Graeber », constate Bastien Marchand, ancien planneur stratégique, qui boucle un MSc strategy design pour l'anthropocène.

Discrétion de mise

Volonté d'être plus en harmonie avec soi-même ? Sans doute, même si la discrétion est de mise. « Pas d’interview pour moi » répond un journaliste du Figaro reconverti dans l’horticulture à la faveur d'un plan de départs… Et il n’est pas le seul.  Le dircom de M6, Matthieu Bienvenu, a récemment préféré bifurquer vers un projet entrepreneurial dans le secteur de la santé. Mais ceux qui partent seraient plus nombreux que ceux qui entrent, au point de créer parfois un déficit de compétences dans les entreprises qu'ils quittent. La place réservée aux plus capés demeure un sujet. Et auprès des jeunes recrues, l’attractivité s’émousse très rapidement. Autant de problématiques qui forment un millefeuille pas toujours aisé à digérer. Justin Freeman, ancien localier dans un journal, qui vient de décrocher un contrat à durée indéterminée (CDI) dans la boucherie, parle de « maladie honteuse ». Avant d'ajouter : « On pense que le journaliste doit dire toute la vérité, mais pas à propos de son quotidien professionnel. »  

« Passer d’un secteur à l’autre se révèle plus compliqué en France qu’aux États-Unis ou en Grande-Bretagne », commente Alexandre Judes, économiste au sein du Indeed Hiring Lab. Pourtant, de gré ou de force, le mouvement devrait s’amplifier. « Notre secteur fait face à une situation de risque de défaillance, souligne Dominique Scalia, président de l’Observatoire Com Média. À horizon des douze prochains mois, 25 % des entités sont menacés de disparition, quand les aides auront diminué ». Tout juste publié, Pose ta dem’ (éditions Eyrolles), de Charlotte Appietto, Manon Gayet et Marion Le Bihan, devrait bien se vendre.

Des emplois fragilisés aux métiers porteurs

« 600 millions d’euros ont été mis sur la table par l’État – dans un premier temps, précise Stéphane Maas, directeur de Transitions pro Île-de-France, association paritaire récemment créée pour accompagner les bifurcations professionnelles. Et vu le contexte, 450 millions ont été ajoutés pour faciliter la mobilité économique ». Par ailleurs, en réaction à la crise, un tout nouveau dispositif a vu le jour le 1er janvier : la « TransCo », pour transitions collectives. Budget mobilisé : 500 millions d’euros. « La logique d’anticipation préside à sa création, souligne encore Stéphane Maas, avec l’idée de travailler sur des emplois fragilisés identifiés dans une entreprise afin d’éviter un plan social, et ce en direction de métiers porteurs. C’est le principe des vases communicants qui prévaut. » Au vu des tout premiers éléments remontés du terrain, aucune agence, aucun média ne s’en sont saisis. 

Avec 96 % de PME-TPE, le secteur est éclaté. Ou émietté. Une faiblesse ? « Avec un recul de l’activité au global de 25 %, et même de 80 % pour la filière évènementielle, on aurait du rentrer dans un plan d’accompagnement spécifique du gouvernement, s’agace Dominique Scalia. Mais, faute de se présenter en filière, on a du mal à être audible. Chacun mène son combat dans son coin, déplore-t-il. » L’occasion, pour les professionnels, de changer d'horizon ?

« On voit la limite de la marque employeur »

Trois questions à Jean-Paul Aimetti, professeur émérite au Cnam, président de l’ISC Paris, auteur de Rebondir à mi-parcours : clés du succès de reconversions professionnelles (Éd. Ems, 2020).



La reconversion professionnelle est-elle « tendance » ailleurs qu’en France ?

Elle est devenue un sport national. Le contexte sanitaire, la quête de sens, le climat favorable à une prise de recul ont poussé au questionnement, en France comme dans toute l’Europe, mais les interrogations à se poser sont des vérités éternelles, et pas nouvelles. Aux États-Unis, la donne est différente. La mobilité professionnelle y est plus développée. L’angoisse est nettement moins palpable. Le poids de la culture joue.

Comment mesure-t-on ces envies de bifurcation ?

L’un des indices intéressants à suivre est la création d’entreprises. De 830 000 en 2019, ce chiffre a bondi de 40 000 unités supplémentaires. Ça vient traduire une chose : la méfiance en pleine croissance à l’égard des grandes entreprises ou des multinationales. On voit là la limite de la marque employeur.

Quels écueils sont à éviter ?

Les candidats à la reconversion ne se projettent pas suffisamment dans les contraintes de leur future profession. Toute activité demande de savoir vendre ou se vendre. Un exercice pas si simple. Perdre son statut social n’est pas si facile, pour le « converti » mais aussi pour son entourage proche, sa famille. Parfois une période de vaches maigres aussi constitue la première étape. Et le business plan ne suffit pas. Un exemple, pour illustrer le propos, qui date d’avant la crise du Covid : un directeur marketing avait fait tous ses calculs, mais pas pris en compte qu'il faut changer les draps, faire le lit, nettoyer la salle de bains de sa maison d’hôte… autant de tâches qu’il n’avait pas pleinement anticipées. Cela ne lui a pas convenu sur la durée.

Suivez dans Mon Stratégies les thématiques associées.

Vous pouvez sélectionner un tag en cliquant sur le drapeau.