Management

Les évaluations sont de toutes les applications. Et le monde de l’entreprise n’y échappe pas, avec les avis spontanés recueillis par des plateformes. Une pratique qui peut coûter cher...

« Attention aux apparences. Management faussement bienveillant. Action de la direction opaque. Pas de transparence envers les clients. On nous prend pour des idiots. » Le message, vu sur Glassdoor, pique un peu. Un déversoir ? Ce site de recherche d’emploi et de commentaires en libre-service, ou son pendant plus généraliste, Indeed, avec les 180 000 pages d’entreprise ont un « potentiel de nuisance », pour reprendre les termes de Françoise de Saint-Sernin, avocate en droit du travail. « Ensemble, Indeed et Glassdoor, deux méta moteurs de recherche d’emploi, offrent 3,5 fois plus de visibilité de marque employeur que la somme des autres plateformes », détaille Éric Gras, expert du marché du travail pour Indeed France. Pourtant, « nous ne sommes ni traumatisés, ni obsédés, rassure Benoît Serre, vice-président de l’Association nationale des directeurs des ressources humaines (ANDRH), mais nous regardons quand même. Tout le monde évalue tout le monde. C’est devenu une problématique des ressources humaines. »

Professeure d’université à l’Institut d’administration des entreprises (IAE) de Lyon, Marie-Christine Chalus-Sauvannet tempère : « Regarder ce qui se dit ou s’écrit sur ces plateformes de recueil d’avis spontanés n’est pas un réflexe. La démarche reste encore marginale. Seules 10 % à 20 % des entreprises sont vigilantes. Des boîtes, qui comptent pourtant parmi le top 100 en France, ne s’en préoccupent pas du tout. On surestime parfois la réaction des grands groupes. La veille stratégique en matière de ressources humaines demeure toujours un peu confidentielle, comme une pratique intime de l’entreprise. » Un exercice à ne pas négliger pourtant, quand on sait « qu’une fake news se répand six fois plus vite qu’une vraie information, rappelle Laurent Giraud, professeur agrégé des universités en gestion des RH et du changement, au sein de l’IAE Savoie-Mont-Blanc. Un commentaire dérangeant ? La tentation est grande de le partager. »

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À la tête d’Oreegami, académie du marketing digital, Yann Gabay a fait un petit sondage informel chez ses clients : « Un non sujet pour eux, tant que le flux de candidats est suffisant pour les postes à pourvoir. » Pourtant, 94 % des candidats se renseignent sur les réseaux avant de postuler. Ce chiffre ne cesse de progresser depuis cinq ans. Il n’était que de 50 % en 2018. « Aujourd’hui, toutes les boîtes – ou 80 % d’entre ellesont une page sur Welcome to the Jungle, avec une communication très positive, note Yann Gabay. Cela ne sert plus à se démarquer. Aussi, les candidats cherchent-ils le pendant de cette communication descendante, ou institutionnalisée, d’où l’intérêt porté aux plateformes de commentaires. Comme une course à l’échalote en matière d’information. »

Inviter les collaborateurs à poster des avis positifs : une pratique courante. « Une expérience vaut mille mots, analyse Pauline Caillat, directrice d’Havas Paris people. C’est dans les codes du moment. On croit davantage ses pairs, ceux qui sont sur la même ligne horizontale. La réputation est à travailler en priorité. Aussi, donne-t-on aux entreprises des formations en réseaux sociaux (qu’il s’agisse de LinkedIn, TikTok ou Twitter ) pour apprendre à faire un contenu dans les règles des plateformes. Plein de gens ne sont pas aguerris pour s’y exprimer. »

Qui est responsable ? Celui qui écrit ? Celui qui diffuse le commentaire ? Et qui l'emporte sur l'autre ? Toutes ces questions sont présentes à l’esprit des DRH. « Liberté d’expression d’un côté, devoir de loyauté de l’autre, met en balance Léa Martinerie, avocate en droit social au sein du cabinet Kopper. On a deux obligations qui ne sont pas au même niveau dans la hiérarchie des normes. La première étant un droit fondamental, le second du ressort du code du travail. » Est-ce-injurieux ? Ou calomnieux, fait dans l'optique de nuire avec la conscience que les propos sont inexacts ? « Ces nouveaux modes de communication sont piégeux, ajoute l'avocate, car le salarié se sent protégé derrière son écran. » En droit du travail, la peine encourue maximale est le licenciement pour faute lourde. Mais l'entreprise peut aussi y associer une plainte au pénal et quelques indemnités à la clé pour réparer le préjudice subi. Le juge pourra demander la levée de l’anonymat, même si c’est peu fréquent. Mais les adresses IP parlent… Ainsi, la plateforme NoteTonEntreprise n’a pas survécu aux coups de boutoir répétés des entreprises visées. Une jurisprudence de la Cour de cassation de 2018.

Aussi, le monde des avocats bruisse-t-il de transactions qui s’opèrent en coulisses. « Vous dire qu’elles n’existent pas serait mentir, reconnaît Benoît Serre, mais c’est illégal. Ceux qui s’y adonnent se placent dans une position désagréable. Je ne suis pas sûr que cela soit intelligent. » Selon Françoise de Saint-Sernin, « on vit un tournant. Glassdoor s’est substitué au conseil de prud’hommes, en tant que gendarme. Mieux vaut négocier et obtenir la confidentialité. »

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Plateforme 100 % française, ChooseMyCompany a décidé de s’éloigner de ce modèle souvent critiqué, en mettant fin aux avis spontanés – ils représentaient 20 % des publications - pour ne retenir que le principe des avis certifiés, avec des enquêtes internes. « Les fake news font du mal à la démocratie, du mal à la réputation des employeurs, analyse Laurent Labbé, son fondateur. On ne voulait plus contribuer à la destruction de valeur et porter atteinte à la relation au travail. » Parce que l’on n’est pas à un paradoxe près : certains patrons du CAC 40 voient leur bonus indexé sur les notations de Glassdoor...

Trois questions à Emmanuel Papadacci-Stephanopoli, membre du comité de direction à La Fabrique by CA, start-up studio du groupe Crédit Agricole

Les avis laissés par les salariés sur les plateformes constituent-ils aussi un enjeu pour vous ?

Tous les jours, des questions se posent pour nos neuf entreprises - les huit créées et le studio : sont-elles sensibles au sujet de leur attractivité ? Comment recrute-t-on ? Comment fidélise-t-on nos salariés ? Aussi, a-t-on un système de veille poussé.

Comment limiter les risques d’expression hors cadre ?

Nos collaborateurs sont sollicités toute les semaines pour avoir un feed-back. On créé des entreprises qui doivent « disrupter » leur marché. Et pour qu’elles aient une expérience client de qualité, il faut en amont avoir une expérience collaborateur de qualité. Si les salariés s’expriment à l’extérieur, c’est parce qu’ils n’ont pas trouvé un canal pour le faire en interne.

Avoir des sondages en interne toutes les semaines, n’est-ce pas trop intrusif ?

Est-ce que nos salariés se sentent accompagnés ? Ecoutés ? Quid du respect de l’équilibre vie personnelle vs vie professionnelle ? Autant de questions auxquelles ils répondent volontiers. Le taux de participation dépasse les 85 %. La jeune génération est extrêmement exigeante. Le modèle des start-up qui épuisent les collaborateurs a été mis au pilori. On essaie de les protéger.

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